Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 31 août 2020, la société Clauphidan, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802097/5-3 du 1er juillet 2020 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la maire de la ville de Paris a rejeté sa demande préalable ;
3°) d'enjoindre à la maire de la ville de Paris de lui verser la somme de 1 001 856 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;
4°) de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, chacune de ses trois enseignes implantées au sein du centre commercial du Forum des Halles a subi un préjudice anormal et spécial du fait des travaux publics de réaménagement du quartier des Halles générant un préjudice commercial total de 1 001 856,79 euros que la ville de Paris doit être condamnée à l'indemniser en tant que responsable, même sans faute, des dommages causés aux tiers dans le cadre de cette opération de travaux publics.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2020, la maire de la ville de Paris, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Clauphidan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Clauphidan ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 16 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 janvier 2021 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me C... substituant Me D..., représentant la maire de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. La société Clauphidan exploite trois magasins de prêt-à-porter, à l'enseigne " Blue Wave ", " Levi's " et " Uranium ", aux niveaux -1 et -3 du centre commercial du Forum des Halles à Paris. Par un courrier du 6 novembre 2017 reçu le 10 novembre 2017, la société a demandé à la maire de la ville de Paris l'indemnisation du préjudice commercial qu'elle estime avoir subi du fait des travaux de réaménagement du quartier des Halles. Compte tenu du silence gardé sur cette demande, une décision implicite de rejet est née le 10 janvier 2018. La société Clauphidan relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la ville de Paris à l'indemniser de son préjudice qu'elle a évalué à la somme de 1 001 856 euros.
Sur la responsabilité de la ville de Paris :
2. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.
3. Si les travaux de réaménagement du Forum des Halles qui ont commencé en mai 2010 ont entraîné une gêne importante pour l'activité des commerces situés en son sein, notamment en raison des modifications dans les conditions de la circulation automobile et piétonne et de la fermeture temporaire de certaines portes d'accès au centre commercial, il résulte toutefois de l'instruction, d'une part, que les fermetures temporaires, partielles ou complètes, de la voirie souterraine des Halles nécessitées par les travaux ont été effectuées le plus souvent la nuit et n'ont pu, ainsi, occasionner de gêne significative à l'accès aux trois magasins de la société Clauphidan. Si les parcs de stationnement Berger et Rambuteau ont été affectés par les travaux (le parc de stationnement Berger a été définitivement fermé à partir du 2 juillet 2012), l'incidence de la suppression de ces places de stationnement sur l'activité du magasin n'est pas établie dès lors qu'il était loisible de se rendre au Forum des Halles par d'autres moyens que des véhicules et que, au surplus, d'autres parcs de stationnement à proximité (parking du centre Georges Pompidou et parking Sébastopol) pouvaient accueillir les visiteurs motorisés. D'autre part, si les portes d'accès Lescot, Berger et Rambuteau au Forum des Halles ont pu être temporairement fermées, ces fermetures ont été de courte durée. De plus, le maître d'ouvrage a pris garde à ce que, lorsque la fermeture d'une porte était temporairement rendue nécessaire par les travaux en cours, les autres portes d'accès les plus proches demeurent ouvertes. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de constat d'huissier du 25 septembre 2014 produit par la société Clauphidan, que l'accès permanent au niveau -1 où se trouvent les boutiques " Blue Wave " et " Uranium " a été assuré puisque le niveau -1 était directement accessible depuis la porte Lescot, au moment de la fermeture pour maintenance du grand escalator descendant directement de la rue Pierre Lescot au niveau -3, via l'emprunt d'un escalier, comme le relève également le procès-verbal de constat d'huissier du 16 avril 2015 qui constate la possibilité d'accéder au niveau -1 en empruntant " des escaliers provisoires ". En outre, si la société Clauphidan soutient que les travaux les plus bruyants ont été effectués de jour et non de nuit contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, et si elle établit, par le constat d'huissier du 25 janvier 2013 qu'elle produit, que ce jour-là un bruit assourdissant a été produit par le tronçonnage " sur le bardage qui sert de toiture provisoire au droit de la dalle percée ouvrant directement sur le niveau inférieur du centre ", la ville de Paris, quant à elle, produit la charte de chantier qui indique que les travaux les plus bruyants ont été réalisés de nuit dans le souci d'épargner de trop grandes nuisances aux riverains et clients du centre commercial. Enfin, contrairement à ce que soutient la société Clauphidan, d'ailleurs sans l'établir, l'enseigne " FNAC " n'a pas été fermée pendant les travaux, mais seuls certains de ses accès, en permettant néanmoins à ce magasin de rester ouvert pendant la totalité de la période de travaux concernée, la société requérante n'établissant pas que cette circonstance, pour gênante qu'elle ait pu être, ait été un obstacle à la fréquentation de ses trois magasins par sa propre clientèle.
4. S'agissant particulièrement du magasin " Blue Wave ", la société Clauphidan soutient et démontre que les travaux de réaménagement du Forum des Halles ont porté atteinte à la visibilité de son enseigne ainsi qu'à une partie de sa vitrine et ont rendu difficile l'accès à la boutique et à la réserve. Il résulte, néanmoins, de l'instruction et notamment du procès-verbal de constat d'huissier du 25 janvier 2013 produit par la société Clauphidan que, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, dès lors que le magasin a pu rester ouvert durant toute la période des travaux et que son accès a toujours été maintenu à la fois par la construction d'un escalier provisoire, le maintien d'un passage d'une largeur d'au moins 1,50 mètre entre les palissades et la vitrine du magasin et par la mise en place d'un dispositif adapté de signalisation et que l'accès à sa réserve est resté possible avec seulement un trajet rallongé de quelques minutes, il n'est pas établi que ces circonstances, pour gênantes qu'elles aient pu être, puissent être regardées comme ayant rendu extrêmement difficile l'accès au magasin " Blue Wave " et à sa réserve, la société Clauphidan n'établissant pas le caractère exceptionnel des difficultés d'accès dont elle se prévaut. Le préjudice allégué à ce titre par la société Clauphidan ne peut donc pas être regardé comme étant anormal. Ensuite, s'agissant de l'existence alléguée de températures anormalement basses aux alentours de ce magasin et à l'intérieur de celui-ci, si la société Clauphidan établit que le 3 février 2012 la température au sein de l'établissement " Blue Wave " variait de 11 à 12 degrés comme l'a relevé l'inspection du travail lors du contrôle qu'elle a effectué, elle n'établit pas que ces températures anormalement basses auraient été constatées antérieurement et postérieurement à cette date comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de constat du 25 janvier 2013, que la température à proximité de l'enseigne " Blue Wave " était de 17,1 degrés et ne peut ainsi pas être qualifiée de température anormalement basse. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance ait eu une influence sur la fréquentation du magasin quand bien même les essayages de vêtements en auraient été empêchés le 3 février 2012. Il s'en suit que la société Clauphidan n'établit l'existence de températures basses au sein du magasin " Blue Wave " que pour une période très brève au cours de l'hiver 2012 ce qui ne saurait excéder les sujétions normales pouvant être imposées aux riverains des voies publiques. Enfin, s'il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires de ce magasin a effectivement baissé pendant la période des travaux, cette baisse doit être mise en regard de la tendance générale baissière du chiffre d'affaires des autres fonds de commerce de la société requérante implantée dans des sites autres que le Forum des Halles au titre des années 2010 à 2016 et ne peut donc être imputée principalement à la gêne occasionnée à la clientèle par les travaux effectués au sein du Forum des Halles. Il s'en suit que, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, si la société Clauphidan, en tant qu'elle exploite l'enseigne " Blue Wave ", a subi un préjudice spécial du fait des travaux effectués au sein du Forum des Halles, ce préjudice, qui n'a pas excédé les sujétions normales pouvant être imposées sans indemnité aux riverains des voies publiques, ne présente pas un caractère anormal.
5. S'agissant particulièrement du magasin " Uranium ", si la société Clauphidan soutient que les travaux de réaménagement du Forum des Halles ont porté atteinte à la visibilité de son enseigne " Uranium " et ont rendu difficile l'accès à cette boutique, le maître d'ouvrage a pris soin de mettre en place les mêmes aménagements que ceux précités pour le magasin " Blue Wave ", ce qui lui a permis de rester ouvert pendant toute la période de travaux concernée, de sorte que le préjudice allégué à ce titre par la société Clauphidan ne peut donc pas être regardé comme étant anormal. Par ailleurs, si celle-ci se prévaut de la faiblesse des éclairages et du cloisonnement des escalators et la condamnation de l'escalator entre les niveaux -1 et -2, elle n'établit pas que ces circonstances, pour gênantes qu'elles aient pu être, puissent être regardées comme ayant rendu extrêmement difficile l'accès au magasin " Uranium ". De plus, si la société Clauphidan soutient que les travaux ont engendré pour son magasin la présence de poussière et d'infiltrations, elle ne l'établit pas en se bornant à produire un formulaire de demande d'informations de l'inspection du travail rempli par son gérant. Par ailleurs, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés pour le précédent magasin, la société Clauphidan n'établit pas davantage que l'existence de températures peu élevées et de courants d'air au sein du magasin " Uranium " ait pu avoir une influence sur la fréquentation de ce magasin et excèderait les sujétions normales pouvant être imposées aux riverains des voies publiques. Enfin, s'il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires de ce magasin a effectivement baissé pendant la période des travaux, cette baisse doit être mise en regard de la tendance générale baissière du chiffre d'affaires des autres fonds de commerce de la société requérante implantée dans des sites autres que le forum des Halles au titre des années 2010 à 2016 et ne peut donc être imputée principalement à la gêne occasionnée à la clientèle par les travaux effectués au sein du Forum des Halles. Il s'en suit que, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, si la société Clauphidan, en tant qu'elle exploite l'enseigne " Uranium ", a subi un préjudice spécial du fait des travaux effectués au sein du Forum des Halles, ce préjudice, qui n'a pas excédé les sujétions normales pouvant être imposées sans indemnité aux riverains des voies publiques, ne présente pas un caractère anormal.
6. S'agissant particulièrement du magasin " Levi's ", si la société Clauphidan soutient que les travaux de réaménagement du Forum des Halles ont diminué la visibilité de son enseigne " Levi's " et ont rendu difficile l'accès à cette boutique, elle a bénéficié comme pour ces deux précédents magasins des aménagements que le maître d'ouvrage a pris soin de mettre en place, et notamment la création de nouvelles entrées dans la gare au niveau -3 venant compenser la fermeture de l'entrée à partir de la gare RER depuis le niveau -3 du secteur Lescot et la possibilité d'emprunter un escalator lors de la neutralisation des escaliers permettant de descendre du niveau -2 au niveau -3 comme le relève le procès-verbal de constat du 25 septembre 2014 produit par la société requérante. Ainsi, le préjudice allégué à ce titre par la société Clauphidan ne peut donc pas être regardé comme étant anormal. De plus, il résulte de l'instruction que dès lors que le maître d'ouvrage a pris garde de ne fermer qu'une seule porte à la fois, l'accès à la boutique " Levi's " de la société Clauphidan est toujours resté possible tant par la porte Rambuteau que par la porte Berger lors de la fermeture de la porte Lescot, comme indiqué au point 2 du présent arrêt. Par ailleurs, il résulte de résulte de l'instruction que si l'enseigne du magasin " Levi's " a été temporairement occultée, le magasin exploité par la société Clauphidan a néanmoins pu rester ouvert durant toute la période des travaux et que son accès a toujours été maintenu. La société Clauphidan n'établit pas que ces circonstances, pour gênantes qu'elles aient pu être, puissent être regardées comme ayant rendu extrêmement difficile l'accès à ce magasin et aient pu avoir une influence sur sa fréquentation et excèderait les sujétions normales pouvant être imposées aux riverains des voies publiques. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que le chiffre d'affaires de ce magasin a effectivement baissé pendant la période des travaux alors qu'il était plus élevé en 2010, 2012, 2013, 2014 et 2016 que le chiffre d'affaires réalisé en 2009, année précédant le début des travaux de réaménagement du Forum des Halles. Néanmoins, si le chiffre d'affaires réalisé par cette enseigne a effectivement baissé en 2011 et 2015, cette baisse doit être mise en regard de la tendance générale baissière du chiffre d'affaires des autres fonds de commerce de la société requérante implantée dans des sites autres que le Forum des Halles au titre des années 2010 à 2016 et ne peut donc être imputée principalement à la gêne occasionnée à la clientèle par les travaux effectués au sein du Forum des Halles. Il s'en suit que, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, si la société Clauphidan, en tant qu'elle exploite l'enseigne " Levi's ", a subi un préjudice spécial du fait des travaux effectués au sein du Forum des Halles, ce préjudice, qui n'a pas excédé les sujétions normales pouvant être imposées sans indemnité aux riverains des voies publiques, ne présente pas un caractère anormal.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Clauphidan n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement n° 1802097/5-3 du 1er juillet 2020 du tribunal administratif de Paris. Les conclusions à fin d'indemnisation de la société Clauphidan ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la ville de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à la société Clauphidan la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la ville de Paris présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Clauphidan est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la maire de Paris présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Clauphidan et à la maire de Paris.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président de la formation de jugement,
- Mme B..., premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le président de la formation de jugement,
I. LUBEN
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02517