Procédure devant le Cour :
Par une requête et des pièces complémentaires enregistrés les 26 et 29 juillet 2021, M. C..., représenté par Me Ingelaere, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1906070 du 18 juin 2021 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat (police aux frontières des aéroports Roissy Charles-de-Gaulle et Le Bourget) à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi ;
2°) de condamner l'Etat (police aux frontières des aéroports de Roissy Charles-de-Gaulle et le Bourget) à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a subi un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, laquelle a eu un comportement fautif ayant entraîné la dégradation de ses conditions de travail ;
- les trois sanctions disciplinaires, injustifiées, qui lui ont été infligées par arrêtés du 9 décembre 2018, ainsi que le refus de prendre les mesures appropriées en vue de lui permettre d'occuper un poste compatible avec son état de santé, et la discrimination dont il a fait l'objet, sont des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral ;
- ces agissements ont participé à la dégradation de ses conditions de travail et ont entraîné une atteinte à sa santé mentale ;
- il évalue son préjudice moral à hauteur de 30 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 novembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boizot,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., gardien de la paix de la police nationale, affecté depuis 2009 à la direction de la police aux frontières des aéroports Roissy Charles-de-Gaulle et Le Bourget, estimant qu'il a subi des préjudices moraux liés aux difficultés rencontrées dans son activité professionnelle, a présenté un recours indemnitaire préalable par un courrier reçu 25 mars 2019. L'administration ayant conservé le silence pendant plus de deux mois suivant la réception de cette demande, une décision implicite de rejet est née le 25 mai 2019. Par un jugement du 18 juin 2021, dont M. C... fait régulièrement appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'indemnisation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait du harcèlement moral dont il indique avoir été victime.
Sur la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne les faits de harcèlement moral et de discrimination :
2. En premier lieu, M. C... soutient que les manquements commis par l'administration dans le cadre des procédures disciplinaires dont il a fait l'objet sont constitutifs de harcèlement moral. Cependant, contrairement à ce que soutient le requérant, la circonstance qu'un fonctionnaire se trouve en congé maladie au moment où une action disciplinaire est engagée à son encontre ne le soustrait pas aux obligations incombant à tout fonctionnaire en activité ni ne fait obstacle à la poursuite de la procédure dont il est l'objet et notamment à sa convocation pour prendre connaissance de son dossier. Un tel fait ne saurait donc être regardé comme constituant un indice de harcèlement moral. Par ailleurs, si le requérant indique que son dossier aurait été incomplet lors de sa consultation, il ne le démontre pas. Enfin, s'il estime que les sanctions disciplinaires qui lui ont été infligées sont disproportionnées, le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement n° 1904028 du 7 mai 2021, devenu définitif, a jugé que les sanctions disciplinaires étaient parfaitement justifiées. Par suite, eu égard à l'autorité de la chose jugée qui s'attache à ce jugement, M. C... ne saurait reprocher à sa hiérarchie un quelconque harcèlement dans le cadre des procédures disciplinaires initiées à son encontre.
3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :/ 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de l'agent, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.
4. D'autre part, aux termes de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ". L'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable ". Aux termes de l'article 4 de cette même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (...) ". De manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Dans le cadre de ses écritures, si M. C... soutient qu'il n'a pu bénéficier de formations afin de lui permettre d'exercer avec sérénité ses fonctions et d'acquérir de nouvelles compétences notamment dans le domaine de la sûreté, il ne l'établit pas. En outre, à supposer qu'il fasse allusion à l'incident survenu le 14 décembre 2016 à l'occasion duquel il a refusé de conduire un véhicule de service au motif qu'il n'était pas titulaire du permis T dès lors que sa hiérarchie ne lui aurait pas proposé de suivre cette formation, il résulte de l'instruction que, suite à la clôture budgétaire des formations au mois de décembre 2016, celles-ci ont repris au cours de l'année 2017 et que le requérant, qui avait la possibilité de suivre une telle session de formation, n'établit pas avoir été privé de cette possibilité. En tout état de cause, l'arrêté préfectoral
2015-3248 du 3 décembre 2015 relatif à la police sur l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle autorise les fonctionnaires de police titulaires du permis B de conduire dans l'aire de trafic côté piste sans disposer du permis T et l'intéressé est titulaire dudit permis. M. C... fait également valoir que sa hiérarchie l'a obligé à nettoyer les vestiaires, un tel fait ne saurait être considéré comme constitutif de harcèlement moral, d'autres agents ayant été également sollicités pour accomplir cette mission et l'administration ne disposant pas des services d'un prestataire extérieur pour accomplir cette tâche.
6. Par ailleurs, il fait valoir que, depuis plusieurs années, il ne peut accéder librement au bureau du personnel, au pool maladie, à la cellule Geonet et au local des syndicats ainsi qu'au bureau de la psychologue. Cependant, aucun des éléments produits par l'intéressé ne permet d'établir qu'il lui était interdit d'entrer en contact avec les personnes ou services susmentionnés. Au contraire, il apparaît que l'intéressé a pu régulièrement adresser au service du personnel toutes demandes relatives à la gestion de sa situation administrative, qu'il a pu régulièrement, à sa demande, rencontrer le médecin de prévention pour évoquer sa situation médicale et lui communiquer tous les éléments médicaux qu'il estimait utiles, et qu'il a pu bénéficier d'une expertise psychiatrique. Enfin, une attestation de témoin établi par M. B..., représentant syndical unité SG, permet de constater que M. C... a pu se faire accompagner d'un représentant syndical pour consulter son dossier personnel.
7. De même, si M. C... prétend que, pour accéder aux services du personnel ou médical, il doit être accompagné d'un tiers, il ne le démontre pas. En tout état de cause, à supposer même que ce fait soit exact, il ne permet pas de caractériser l'existence d'une intention de lui nuire et ne saurait être qualifié de harcèlement moral.
8. En outre, si M. C... fait également valoir que sa situation financière s'est fortement dégradée depuis l'introduction de son premier recours et qu'il s'est vu imputer à tort des jours de carence, il n'apporte aucun élément permettant de confirmer ses dires. A cet égard, comme le précise le ministre de l'intérieur dans ses écritures en défense, la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a rétabli à compter du 1er janvier 2018 la journée de carence pour les agents de la fonction publique en congé de maladie.
9. Egalement, M. C... évoque une série d'événements touchant à ses demandes de mutation ainsi que des reproches sur la non-communication de documents administratifs établis à son intention pendant son congé de maladie. Toutefois, si l'ensemble des faits qu'il évoque et des éléments qu'il produit à l'appui de ses écritures établit certainement l'existence de tensions avec sa hiérarchie au regard des demandes multiples du requérant, il ne fait pas présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de celle-ci.
10. Enfin, M. C... fait valoir que ce harcèlement moral est caractérisé par un non-respect par l'administration des préconisations médicales effectués par la médecine de prévention concernant notamment ses horaires de travail et que cela a contribué à la dégradation de son état physique et psychique. Il résulte de l'instruction que le poste de travail du requérant a fait l'objet dès septembre 2012 d'un aménagement conformément aux préconisations médiales alors énoncées, l'intéressé occupant un poste de travail sédentaire en zone d'attente pour personnes en instance (ZAPI), conformément à ses vœux, en bureau et sans arme. Puis, face aux difficultés pour le requérant de supporter les cycles horaires de travail pratiqués dans son service, exprimées dès 2016, le médecin de prévention a préconisé son affectation sur un poste comportant des horaires plus réguliers, en journée. S'il apparaît que l'administration a tardé à l'affecter sur un poste comportant des horaires hebdomadaires, soit à compter du 26 avril 2019, conformément à l'avis émis par le médecin de prévention le 23 octobre 2018 après plusieurs congés de maladie dont il a bénéficié au cours des années 2017 et 2018, elle l'a affecté à compter du 18 novembre 2020 sur un poste " D2 ", n'impliquant pas de contact avec le public, et dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique. Par suite, les faits relatés ne sont pas susceptibles de faire présumer un harcèlement moral.
11. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que M. C... ne pouvait être regardé comme apportant les éléments de fait susceptibles de faire présumer que les actes et faits reprochés constitueraient des agissements répétés de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies précité de la loi du 13 juillet 1983. Pour les mêmes raisons, le requérant ne peut être regardé comme ayant fait l'objet d'une discrimination liée à son état de santé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal Administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat (police aux frontières des aéroports Roissy Charles-de-Gaulle et Le Bourget) à lui verser la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président de chambre,
- Mme Boizot, première conseillère,
- Mme Fullana, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 11 mars 2022.
La rapporteure,
S. BOIZOTLe président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°21PA04237