Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juillet 2015 et 28 juillet 2015, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1431738/5-3 du 17 juin 2015 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...B...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 27 novembre 2014 méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- s'agissant des autres moyens soulevés par la requérante en première instance, il s'en rapporte à ses écritures présentées devant le Tribunal administratif de Paris.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2016, M. A... B..., représenté par Me Lucet, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale dans un délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter de la notification du jugement ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et à ce que le versement de la somme de 1 500 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a annulé à bon droit l'arrêté du 27 novembre 2014 en jugeant que le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- la décision portant refus de séjour est insuffisamment motivée ; elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité par voie d'exception d'illégalité du refus de séjour ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination est entachée d'illégalité par voie d'exception d'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 16 octobre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Notarianni,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me Lucet, avocat de M. B... ;
1. Considérant que M.B..., ressortissant tunisien né le 27 mars 1976, a sollicité le 4 juin 2014 son admission au séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par un arrêté du 27 novembre 2014, le préfet de police a opposé un refus à la demande de M. B... et a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français en fixant le pays de destination ; que le préfet de police relève appel du jugement du 17 juin 2015, par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ;
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
3. Considérant qu'en application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise ; que la circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé ; que cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure ;
4. Considérant que M. B...est le père de trois enfants, nés en France en 2009, 2010 et 2014 de son union avec une ressortissante marocaine, titulaire d'une carte de séjour temporaire depuis 2009, avec laquelle il est marié depuis le 6 novembre 2012 ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. B...a fait l'objet le 10 septembre 2009 d'une interdiction du territoire français d'une durée de trois ans par un arrêt de la Cour d'appel de Paris ; qu'il justifie néanmoins d'une résidence en France et d'une vie commune avec son épouse en 2009, 2013 et 2014 par la production de pièces établies à leurs deux noms et mentionnant une adresse commune à Paris, en particulier des avis d'imposition, des factures d'électricité et des attestations de la caisse d'allocations familiales ; que le mariage des intéressés en Tunisie le 6 novembre 2012, la naissance de leur deuxième enfant le 16 juillet 2010 et les voyages réalisés par son épouse et ses enfants en Tunisie attestent que la communauté de vie n'a pas cessé en dépit de l'interdiction de territoire français dont il a fait l'objet et qu'il a exécutée ; que, par ailleurs, si le préfet de police se prévaut de diverses condamnations prononcées à l'encontre de M. B...relatives à des faits d'entrée ou de séjour irrégulier, d'usage de faux documents administratifs, de conduite de véhicule sans permis commis, les infractions en cause, dont la plus récente a été commise plus de six ans avant l'arrêté contesté, ne présentent pas un caractère de gravité permettant de considérer que la présence de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public à la date de l'arrêté attaqué ; que, dans ces circonstances, eu égard notamment à la stabilité et à l'ancienneté de la communauté de vie entre les époux et alors même que M. B... n'a pas respecté la procédure de regroupement familial et ne conteste pas avoir conservé des attaches familiales dans son pays d'origine, où résident notamment sa mère et sa fratrie, l'arrêté contesté a porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; qu'ainsi, l'arrêté litigieux méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 27 novembre 2014 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant que le présent arrêt n'implique aucune autre mesure d'exécution que celles déjà ordonnées par les premiers juges ; que, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme B...en appel ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lucet, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lucet de la somme de 1 500 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Lucet, avocat de M.B..., une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de police et à Me Lucet.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Dalle, président assesseur,
- Mme Notarianni, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 23 juin 2016.
Le rapporteur,
L. NOTARIANNILe président,
C. JARDINLe greffier,
C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA02900