Par un jugement n°s 1706840, 1706843 du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles correspondantes mises à la charge de la société EDF au titre des années 2011 et 2012, relatives à l'imposition des revenus de capitaux mobiliers de la société Océane Ré et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 février 2019, 20 août 2019, 4 décembre 2019 et 5 février 2020, ainsi qu'un mémoire récapitulatif, enregistré le 29 octobre 2020 et un mémoire en réplique enregistré le 26 novembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement, en ce qu'il a partiellement fait droit à la demande de la société EDF.
Il soutient que :
- la société Océane Ré n'a aucune substance depuis sa création, il s'agit d'un montage artificiel au sens de l'article 209 B du code général des impôts : elle n'a pas de compétences techniques en matière d'assurance, son fonctionnement est totalement transparent ; en tout état de cause, EDF n'établit pas que les sociétés AGF et WRR, qui ont été reprises par Océane Ré, exerçaient effectivement leur activité sur le sol luxembourgeois ;
- l'appel incident de la société EDF est irrecevable, dès lors qu'il porte sur un litige distinct ;
- en tout état de cause, Océane Ré a bien bénéficié d'un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du code général des impôts, l'application des dispositions de l'article 209 B du code général des impôts ne méconnaît ni les stipulations de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, ni le droit de l'Union européenne, ni l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il s'en remet à la sagesse de la cour quant à l'erreur minime de montants qui figure dans la lettre d'information adressée à la société intégrante le 7 mai 2015 et mentionnant des pénalités pour manquement délibéré à hauteur de 3 125 328 euros, et non de 3 155 449 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 en matière d'impôts sur les revenus, modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public,
- et les observations de Me B... et Me C..., pour la société EDF.
Considérant ce qui suit :
1. La société C3 a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité au titre, d'une part, des exercices clos en 2010 et 2011 et, d'autre part, des exercices clos en 2012 et 2013. A l'issue de ces contrôles, l'administration a considéré que ses filiales, les sociétés Océane Ré et Wagram Insurance Company, localisées respectivement au Luxembourg et en Irlande, étaient établies dans des pays à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238 A du code général des impôts, au titre des années 2011 et 2012 pour Océane Ré et au titre de l'année 2010 pour Wagram Insurance Company. Elle a, par suite, par deux propositions de rectification des 20 décembre 2013 et 23 décembre 2015, notifié à la société C3 des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles, résultant de la réintégration dans les résultats de la société, sur le fondement des dispositions de l'article 209 B du code général des impôts, des résultats de la société Océane Ré en 2011 et 2012 et de la société Wagram Insurance Company en 2010. Le ministre de l'action et des comptes publics relève régulièrement appel du jugement du 11 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles correspondantes mises à la charge de la société EDF, en sa qualité de société mère intégrant fiscalement la société C3, au titre des années 2011 et 2012, relatives à l'imposition des bénéfices réalisés par la société Océane Ré en tant que revenus de capitaux mobiliers de la société C3. Par la voie de l'appel incident, la société EDF demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'année 2010, relatives à l'imposition des bénéfices réalisés par la société Wagram Insurance Company en tant que revenus de capitaux mobiliers de la société C3.
Sur l'appel principal du ministre de l'action et des comptes publics :
2. Aux termes de l'article 209 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. - 1. Lorsqu'une personne morale établie en France et passible de l'impôt sur les sociétés exploite une entreprise hors de France ou détient directement ou indirectement plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique : personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable, établie ou constituée hors de France et que cette entreprise ou entité juridique est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A, les bénéfices ou revenus positifs de cette entreprise ou entité juridique sont imposables à l'impôt sur les sociétés. Lorsqu'ils sont réalisés par une entité juridique, ils sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers imposable de la personne morale établie en France dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement. [...] II. - Les dispositions du I ne sont pas applicables : / - si l'entreprise ou l'entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de la Communauté européenne et / - si l'exploitation de l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de l'entité juridique par la personne morale passible de l'impôt sur les sociétés ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. [...] ".
3. Pour réintégrer les résultats des exercices clos en 2010 et 2011 de la société Océane Ré, dans les résultats des exercices clos en 2011 et 2012 de la société C3, l'administration a, après avoir considéré que la société Océane Ré était établie dans un pays à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238 A du code général des impôts, estimé que cette dernière était constitutive d'un montage artificiel dont le but était de contourner la législation fiscale. Elle a, en particulier, relevé que cette société ne dispose d'aucun salarié, qu'elle ne loue qu'un bureau de 15 m2 au cours des années en litige, qu'elle a délégué l'ensemble de ses missions et que deux de ses trois administrateurs sont des salariés de la société EDF. Il résulte, toutefois, de l'instruction que la société EDF a créé, en 2003, sa propre captive de réassurance, Océane Ré, détenue par sa filiale C3, après que la société AGF Ré, captive à compartiments sise au Luxembourg, auprès de laquelle son assureur fronteur se réassurait, a cessé ses activités au Luxembourg et a transféré une partie seulement de son portefeuille à la société de réassurance White Rock Reinsurance. Il n'est pas contesté que la société Océane Ré, qui bénéficie depuis 2003 d'un agrément du ministre du trésor et du budget luxembourgeois, a, dans un premier temps, exercé son activité de réassurance, entre 2003 et 2010, au titre d'une partie des provisions historiquement détenues par la société AGF Ré, avant de reprendre la totalité du portefeuille de cette société, suite aux transferts de la société White Rock Reinsurance, intervenus en avril 2010 et mars 2011. L'intimée fait, en outre, valoir, sans être utilement contredite, que le secteur de la réassurance du risque atomique est réglementé et fait l'objet d'une supervision particulière par les autorités de contrôle nationales, qui rend les transferts transnationaux complexes, y compris au sein de l'Union européenne. Elle produit également des documents financiers relatifs à d'autres entreprises faisant appel à leurs propres captives de réassurance, ainsi qu'un rapport de l'Assemblée nationale sur le coût de la filière nucléaire qui révèle que le recours à des sociétés de réassurance constitue une alternative moins coûteuse que le recours au système de " pools de réassurance ", qui tendent à démontrer qu'eu égard à la spécificité de certains risques, l'externalisation des missions des entreprises de réassurance constitue une pratique courante qui les conduit à n'employer directement aucun salarié. Dans ces conditions, compte tenu de l'activité de la société Océane Ré, l'implantation de cette société au Luxembourg n'avait pas principalement pour objet d'échapper à l'impôt français et la société Océane Ré ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel au sens du II de l'article 209 B du code général des impôts. C'est, par suite, à bon droit que les premiers juges ont prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés et des contributions additionnelles correspondantes mises à la charge de la société C3 au titre des années 2011 et 2012, à raison de la réintégration des bénéfices réalisés par la société Océane Ré.
4. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics, n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des rehaussements d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles qui ont été mis à la charge de la société EDF au titre des années 2011 et 2012 relatifs à l'imposition des bénéfices réalisés par la société Océane Ré, en tant que revenus de capitaux mobiliers de la société C3.
Sur la recevabilité de l'appel incident de la société EDF :
5. Il est constant que la société EDF n'a pas interjeté appel, dans le délai du recours contentieux, du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 11 octobre 2018, en tant que ce jugement rejette ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles mises à sa charge au titre de l'année 2010, relatives à l'imposition des revenus de capitaux mobiliers de la société Wagram Insurance Company. Toutefois, l'appel principal du ministre ne porte que sur les impositions supplémentaires établies au titre des années 2011 et 2012. Si la société EDF se prévaut de ce que le ministre demande également l'annulation de l'article par lequel les premiers juges ont accordé à la société EDF la somme de 2 000 euros au titre de ses frais d'instance, et de ce que les impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l'année 2010 ont été additionnées à celles mises à sa charge au titre de l'année 2011 et présentées dans un montant total au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, sur l'avis de mise en recouvrement du 30 septembre 2016, ces circonstances sont sans incidence sur le fait que les impositions supplémentaires mises à sa charge l'ont été au titre d'exercices clos distincts. En tout état de cause, si la société EDF soutient qu'elle serait, par rapport au ministre qui dispose d'un délai de quatre mois pour faire appel, dans une situation de net désavantage, contraire aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales, il résulte des dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales que le contribuable est en mesure d'écourter le délai ouvert à l'administration, en signifiant directement au ministre, seul compétent pour faire appel, le jugement dont il a lui-même reçu notification. Par suite, les conclusions incidentes présentées par la société EDF, qui portent sur un litige distinct de l'appel principal du ministre de l'action et des comptes publics, sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à la société EDF, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.
Article 2 : L'appel incident de la société EDF est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la société EDF une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 19VE00473