Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 22 décembre 2017, la SASU THAI UNION FRANCE HOLDING 2, représentée par Mes Renoux et Cachia, avocats, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la restitution des impositions litigieuses et de procéder à la correction du déficit du groupe qui est demandée au titre de l'exercice clos en 2014 ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont inclus, dans l'assiette du dispositif dit " du rabot fiscal " prévu par l'article 212 bis du code général des impôts, le montant des intérêts d'emprunt différés et déduits de manière extra-comptable du résultat imposable du groupe au titre de l'exercice clos en 2014 en vertu du dernier alinéa de l'article 223 B du même code, dans la mesure où les dispositions de l'article 212 bis et de l'article 223 B bis du code général des impôts doivent s'interpréter, à défaut de mention expresse contraire, comme limitant l'inclusion des charges financières supportées par une société tête d'un groupe fiscalement intégré dans l'assiette du dispositif du " rabot fiscal " aux seuls intérêts inscrits en comptabilité au titre de l'exercice pour lequel ce dispositif est appliqué, ce qui exclut les intérêts déduits de manière différée ;
- en tout état de cause, les intérêts différés déduits de l'exercice clos en 2014 ne pouvaient être pris en compte pour le calcul de l'assiette du " rabot " que dans la mesure où ils auraient été comptabilisés postérieurement à l'entrée en vigueur de ce dispositif fiscal, créé par l'article 23 de la loi n° 2012-1509 de finances pour 2013 ; en l'espèce, les intérêts différés inclus dans l'assiette de son " rabot fiscal " ont tous été comptabilisés avant l'entrée en vigueur de ces dispositions ;
- l'application des dispositions combinées des articles 223 B bis et 212 bis du code général des impôts, en ce qu'elle lui a fait perdre une partie du bénéfice de la possibilité de déduire de son résultat imposable les intérêts différés non imputés sur des exercices antérieurs, porte atteinte au droit au respect de ses biens, constitués par l'espérance légitime de maintien de cet avantage fiscal dont elle pouvait se prévaloir et, par suite, méconnaît les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 15 octobre 2019 :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Huon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SASU THAI UNION FRANCE HOLDING 2 est la société mère d'un groupe de sociétés fiscalement intégrées au sens de l'article 223 A du code général des impôts. Elle a déduit extra-comptablement du résultat d'ensemble du groupe au titre de l'exercice clos le
31 décembre 2014, en application des dispositions du dernier alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, les intérêts acquittés par des sociétés membres de son groupe lors d'exercices antérieurs à hauteur de la somme de 1 731 036 euros. Au titre de ce même exercice, la SASU THAI UNION FRANCE HOLDING 2 a réintégré dans le résultat d'ensemble du groupe une fraction des charges financières nettes déduites au titre de cet exercice, dont les intérêts différés déduits extra-comptablement mentionnés ci-dessus, au titre du dispositif dit du " rabot fiscal " prévu par les articles 223 B bis et 212 bis du code général des impôts. Elle fait appel du jugement du 2 novembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution partielle des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution exceptionnelle à cet impôt et de contribution sociale de solidarité des sociétés dont elle s'est acquittée au titre de l'exercice clos en 2012 ainsi qu'à la correction du déficit de groupe qui devait résulter, selon elle, de l'exclusion des intérêts déduits extra-comptablement de son résultat d'ensemble au titre de l'année 2014 de l'assiette du mécanisme dit du " rabot fiscal " appliqué au titre de l'exercice correspondant.
2. D'une part, l'article 223 B du code général des impôts dispose : " (...) Par exception aux dispositions prévues au sixième alinéa du 1 du II de l'article 212, les intérêts non admis en déduction, en application des cinq premiers alinéas du 1 du II du même article, du résultat d'une société membre d'un groupe et retenus pour la détermination du résultat d'ensemble ne peuvent être déduits des résultats ultérieurs de cette société. / Lorsque, au titre de l'exercice, la somme des intérêts non admis en déduction chez les sociétés membres du groupe en application des cinq premiers alinéas du 1 du II de l'article 212 est supérieure à la différence entre : / 1° La somme des intérêts versés par les sociétés du groupe à des sociétés liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 n'appartenant pas au groupe, à l'exclusion de la fraction des intérêts versés à une société intermédiaire, à une société étrangère ou à l'entité mère non résidente pour laquelle la société mère apporte la preuve qu'elle a été reversée au cours du même exercice à une société du groupe, et des intérêts versés par des sociétés du groupe au titre d'exercices antérieurs à leur entrée dans le groupe et déduits sur l'exercice en vertu des dispositions du sixième alinéa du 1 du II de l'article 212 ; / 2° Et une limite égale à 25 % d'une somme constituée par l'ensemble des résultats courants avant impôts de chaque société du groupe majorés, d'une part, des amortissements pris en compte pour la détermination de ces résultats, de la quote-part de loyers de crédit-bail prise en compte pour la détermination du prix de cession du bien à l'issue du contrat et des intérêts versés à des sociétés liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 n'appartenant pas au groupe, à l'exclusion de la fraction des intérêts versés à une société intermédiaire, à une société étrangère ou à une entité mère non résidente pour laquelle la société mère apporte la preuve qu'elle a été reversée au cours du même exercice à une société du groupe, et minorés, d'autre part, des dividendes perçus d'une autre société du groupe, d'une société intermédiaire, d'une société étrangère ou de l'entité mère non résidente dont le montant ou le montant de la quote-part y afférente est retranché du résultat d'ensemble dans les conditions des deuxième et troisième alinéas du présent article, / L'excédent correspondant est déduit du résultat d'ensemble de cet exercice, cette déduction ne pouvant être supérieure à la somme des intérêts non admis en déduction mentionnée au quinzième alinéa. / Les intérêts non déductibles immédiatement du résultat d'ensemble sont déductibles au titre de l'exercice suivant, puis le cas échéant au titre des exercices postérieurs, sous déduction d'une décote de 5 % appliquée au titre de chacun de ces exercices, à concurrence de la différence, calculée pour chacun des exercices de déduction, entre la limite prévue au 2° et la somme des intérêts mentionnée au 1° majorée des intérêts déduits immédiatement en application du dix-huitième alinéa ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 223 B bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux exercices clos à compter du 31 décembre 2014 : " I. - Les charges financières nettes afférentes aux sommes laissées ou mises à disposition de sociétés membres du groupe par des personnes qui n'en sont pas membres sont réintégrées au résultat d'ensemble pour une fraction égale à 25 % de leur montant. / II. - Le I ne s'applique pas lorsque le montant total des charges financières nettes du groupe est inférieur à trois millions d'euros. / III. - Pour l'application des I et II, le montant des charges financières nettes est entendu comme la somme des charges ou produits financiers nets de chacune des sociétés membres du groupe tels que définis au III de l'article 212 bis. / IV. - Pour l'application du I, le montant des charges financières est diminué des fractions des charges financières non admises en déduction en application du IX de l'article 209, de l'article 212 et du septième alinéa ainsi que des six derniers alinéas de l'article 223 B. (...) ". En outre, le III de l'article 212 bis du code général des impôts, dans sa rédaction en litige, dispose : " III. - Pour l'application des I et II, le montant des charges financières nettes est entendu comme le total des charges financières venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de l'entreprise, diminué du total des produits financiers venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition par l'entreprise... ".
4. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article 223 B bis et 212 bis du code général des impôts qu'afin de plafonner à 75 % la déduction de l'ensemble des charges financières nettes, une fraction de 25 % des charges financières nettes déductibles au titre d'un exercice est réintégrée de manière extracomptable au résultat de cet exercice. Ainsi, les charges financières fiscalement déduites du résultat d'un exercice donnent lieu à réintégration partielle au résultat imposable de cet exercice, quand bien même elles ont été constatées en comptabilité au titre d'un exercice antérieur. Au demeurant, le IV de l'article 223 B bis du code général des impôts précité indique, de manière limitative, les charges financières qui, n'étant pas fiscalement déductibles au titre de l'exercice de leur comptabilisation, ne sont pas incluses dans l'assiette du dispositif du " rabot fiscal, et au nombre desquelles ne figurent pas les intérêts différés déduits d'un exercice postérieur à leur comptabilisation en vertu du dernier alinéa de l'article 223 B du même code.
5. En second lieu, les dispositions de l'article 223 B bis du code général des impôts, créés par l'article 23 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, s'appliquent à l'établissement de l'impôt sur les sociétés dû par les sociétés têtes de groupes fiscalement intégrés à compter de cette dernière date. Dès lors que les intérêts différés sont imputés, par une telle société, sur son résultat d'ensemble au titre d'un exercice postérieur à l'entrée en vigueur de ces dispositions et viennent en déduction du bénéfice imposable de cet exercice, ils sont nécessairement inclus dans l'assiette du dispositif de plafonnement de la déduction des charges financières, dit du " rabot fiscal ", en application de celles-ci, quand bien même ils auraient été inscrits en comptabilité au cours d'un exercice antérieur à l'entrée en vigueur de ces dispositions. Ainsi, la SASU THAI UNION FRANCE HOLDING 2 n'est pas fondée à soutenir que le montant des intérêts différés qu'elle a déduit de son résultat d'ensemble au titre de l'exercice clos en 2014 ne devait pas être inclus dans l'assiette du dispositif de " rabot fiscal " prévu par l'article 223 B bis du code général des impôts au titre du même exercice.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
" Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Toutefois, lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de ces stipulations.
7. En créant le dispositif du " rabot fiscal " prévu, en ce qui concerne les sociétés têtes d'un groupe fiscalement intégré, par l'article 223 B bis du code général des impôts, le législateur n'a entendu que limiter, pour l'avenir, les effets du droit à déduction du résultat d'ensemble d'un tel groupe des charges financières supportées par les sociétés membres, sans remettre en cause de manière rétoactive ce droit ni, d'une manière générale, les principes applicables aux groupes fiscalement intégrés qui ont été fixés sans limitation de durée. Dans ces conditions, le législateur n'a privé la société requérante d'aucune espérance légitime au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a, par suite, pas méconnu cet article.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SASU THAI UNION FRANCE HOLDING 2 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, l'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante, les conclusions de la société requérante présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SASU THAI UNION FRANCE HOLDING 2 est rejetée.
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N° 17VE03899