Procédure devant la Cour :
Par une requête et trois mémoires, enregistrés les 24 février, 4 mai et 28 juillet 2017 et 13 juillet 2018, la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH, représentée par Me Dhaou, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3° d'ordonner le remboursement de ces impositions assorti des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
4° subsidiairement, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la conformité des dispositions de l'article 235 ter ZAA au principe de liberté d'établissement ;
5° de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il y a lieu de joindre la présente affaire avec la requête n°16VE03667 relative à la demande de décharge de la contribution exceptionnelle au titre de l'année 2011 ;
- dans sa décision n° 395015 du 9 décembre 2016, le Conseil d'État a simplement sanctionné le fait que la Cour de céans ne pouvait recourir à la notion de territorialité de l'impôt pour justifier la limitation du chiffre d'affaires à prendre en considération pour l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés ; par suite, cette décision ne permet pas de tirer la conclusion selon laquelle le chiffre d'affaires à retenir devrait être le chiffre d'affaires total réalisé par la société étrangère plutôt que celui de la seule succursale française de celle-ci ;
- dès lors que l'article 235 ter ZAA fait reposer l'assujettissement à la contribution litigieuse sur la qualité de redevable et que le redevable de cet impôt est la succursale française, et non son siège étranger, il y a lieu de ne retenir que le chiffre d'affaires de la succursale ;
- l'article 235 ter ZAA est également contraire à la liberté d'établissement dès lors qu'elle fait l'objet d'un traitement discriminatoire ; en l'espèce, la succursale française d'une société étrangère est passible de la contribution exceptionnelle lorsqu'elle réalise un chiffre d'affaires inférieur à 250 millions d'euros si le chiffre d'affaires mondial du siège étranger est supérieur à ce montant, alors qu'une société résidente, y compris la filiale française d'une société étrangère dont le chiffre d'affaires est inférieur à 250 millions d'euros n'est pas passible de cette contribution ;
- les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts ne sont pas conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution ; elle entend, par conséquent, soulever une question prioritaire de constitutionnalité par le biais d'un mémoire distinct et motivé ;
- ces dispositions contreviennent également au principe de non discrimination stipulé au paragraphe 4 de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande ;
- les commentaires administratifs publiés au BOFIP sous la référence BOI-IS-AUT-20 sur lesquels repose l'interprétation extensive de la notion de redevable retenue par l'administration méconnaissent les principes constitutionnels régissant la fixation de l'assiette des impôts, le principe d'interprétation stricte des textes fiscaux, conduisant à une violation du principe d'égalité, et contreviennent aussi à sa propre interprétation de textes fiscaux similaires ou identiques.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 49
et 54 ;
- la convention entre la France et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproques en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ribeiro-Mengoli,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Khodabacus, avocat de la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH .
Une note en délibéré, présentée pour la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH, par Me Khodabacus et Me Dhaou, a été enregistrée le 18 octobre 2018.
1. Considérant que la société de droit allemand SEB Investment GmbH, qui réalisait en France des investissements dans l'immobilier de bureaux qu'elle donnait en location, aux droits de laquelle vient la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH, a été assujettie au titre de l'exercice clos des années 2012 et 2013 à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés en application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts ; qu'elle relève appel du jugement du 29 décembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition à concurrence d'une somme totale de 927 608 euros ;
Sur la demande de jonction :
2. Considérant que le juge, saisi de plusieurs affaires présentant à juger la même question ou des questions connexes, a la faculté, sans en avoir jamais l'obligation, de joindre ces affaires pour y statuer par une seule décision ; que si la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH demande à la Cour de prononcer la jonction de sa demande avec la requête n° 16VE03667 relative à la demande de décharge de la contribution exceptionnelle au titre de l'année 2011, cette dernière requête a été rejetée par un arrêt du 4 juillet 2017 ; qu'il s'en suit que les conclusions aux fins de jonction sont donc devenues sans objet ;
Sur les conclusions à fins de décharge :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
3. Considérant qu'aux termes du I de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts dans sa rédaction applicable : " Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables (...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant, et pour la société mère d'un groupe mentionné à l'article 223 A, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe " ; qu'aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du même code : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article
164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions " ; que l'article 4 de la convention conclue entre la France et l'Allemagne le 21 juillet 1959 stipule que " 1. Les bénéfices d'une entreprise de l'un des Etats contractants ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'effectue des opérations commerciales dans l'autre Etat par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise effectue de telles opérations commerciales, l'impôt peut être perçu sur les bénéfices de l'entreprise dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices peuvent être attribués audit établissement stable. Cette fraction des bénéfices n'est pas imposable dans le premier mentionné des Etats contractants (...) " ;
4. Considérant, d'une part, qu'en application de l'article 235 ter ZAA précité, l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés repose sur la qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés et sur la réalisation d'un chiffre d'affaires annuel d'au moins 250 millions d'euros ; que si la territorialité de l'impôt sur les sociétés résultant de l'article 209 du code général des impôts limite les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés à ceux réalisés en France, sous réserve des stipulations des conventions internationales relatives aux doubles impositions, elle n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le chiffre d'affaires pris en compte pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle à celui réalisé en France ; qu'il en résulte que le seuil de chiffre d'affaires de 250 millions d'euros s'apprécie par référence aux recettes retirées de l'ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle, exercée en France et hors de France, quel que soit le régime fiscal du résultat des opérations correspondant à ce chiffre d'affaires ; que, par suite, pour l'application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, l'administration était fondée à retenir le chiffre d'affaires mondial réalisé par la société SEB Investment GmbH ;
5. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de ce qui précède que c'est par une exacte application de la loi fiscale que l'administration a retenu, pour l'application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, le chiffre d'affaires mondial réalisé par la société SEB Investment GmbH ; que, l'imposition ayant été établie conformément à la loi, et alors qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative de contrôler la conformité de celle-ci à des principes ou règles constitutionnels, la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH ne peut utilement soutenir que l'interprétation faite par l'administration fiscale de l'article
235 ter ZAA méconnaitrait les principes constitutionnels régissant la fixation de l'assiette des impôts ou encore le principe d'égalité au sens de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe d'égalité des contribuables devant les charges publiques posé par l'article 13 de cette Déclaration ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de liberté d'établissement découlant de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :
6. Considérant qu'aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des Etats membres " ; que le principe de liberté d'établissement, qui découle de ces stipulations, s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui, en restreignant la possibilité pour les opérateurs économiques établis dans un État membre de choisir librement la forme juridique appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre État membre, interdit, gêne ou rend moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement ;
7. Considérant que la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH soutient que le principe de liberté d'établissement impose que l'établissement stable français d'une société étrangère et la société française filiale d'une société étrangère soient traités de manière identique et qu'en retenant, pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle, le chiffre d'affaires de la société étrangère dans le premier cas et celui de la société française dans le second cas, les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts sont à l'origine d'une différence de traitement entre l'établissement stable et la filiale d'une société étrangère et, par suite, d'une restriction à la liberté d'établissement compromettant le principe de libre choix de la forme juridique de son établissement secondaire par une société étrangère, et, en conséquence, celui de non discrimination ;
8. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de l'arrêt rendu le 17 mai 2017 dans l'affaire C-68/15, que le libre choix laissé aux opérateurs économiques par l'article 49, premier alinéa, deuxième phrase du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de retenir la forme juridique qu'ils estiment la plus appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre État membre implique seulement, pour l'État membre d'accueil, qui demeure libre de déterminer le fait générateur de l'impôt, l'assiette imposable ainsi que le taux d'imposition qui s'appliquent aux différentes formes d'établissement des sociétés y opérant, d'accorder aux sociétés non-résidentes un traitement qui ne soit pas discriminatoire par rapport aux établissements nationaux comparables ; qu'au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie dans un autre État membre ayant une filiale ou une succursale en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant une filiale ou une succursale en France ou dans un autre État membre ; que dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'il existerait une différence de traitement selon le lieu d'établissement de la société ou selon la structure juridique de l'établissement secondaire de cette société qui serait de nature à compromettre le libre choix de la forme juridique de son établissement secondaire par une société étrangère, ne peut qu'être écarté ; que par voie de conséquence, il ne saurait avoir non plus été porté atteinte au principe de non discrimination découlant également de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non discrimination prévu au paragraphe 4 de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande :
9. Considérant qu'aux termes du paragraphe 4 de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande susvisée : " L'imposition d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant n'est pas établie dans cet autre Etat d'une façon moins favorable que l'imposition des entreprises de cet autre Etat qui exercent la même activité (...) " ;
10. Considérant, d'une part, qu'au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie en Allemagne disposant d'un établissement stable en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant un établissement stable en France ou à l'étranger, et notamment en Allemagne, dès lors que, dans l'une ou l'autre de ces situations, le seuil d'assujettissement à cette contribution s'apprécie au regard du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise et que, par ailleurs, seul le bénéfice réalisé en France est retenu pour l'assiette de l'impôt ;
11. Considérant, d'autre part, que la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH ne saurait utilement soutenir qu'elle se trouve placée dans une situation plus défavorable que celle qui serait la sienne si son activité était exercée en France par l'intermédiaire d'une filiale, et non d'une succursale, dès lors que le principe de non-discrimination n'implique pas que les différentes structures susceptibles d'être choisies par les opérateurs pour exercer leurs activités économiques soient soumises à un seul et même traitement fiscal alors, de surcroît, que la filiale et la succursale françaises d'une société résidente ne sont pas elles-mêmes l'objet d'un traitement similaire ;
12. Considérant, par suite, que le moyen tiré de ce que les modalités d'application de la contribution exceptionnelle, telles que précisées ci-dessus, méconnaîtraient la clause de non-discrimination prévue à l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande ne peut qu'être écarté ;
En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité de la doctrine fiscale :
13. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que l'imposition litigieuse a été établie conformément à la loi ; que, par suite, si la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH a entendu soutenir que l'administration s'est à tort fondée sur une doctrine illégale, en tant notamment qu'elle méconnaîtrait les principes constitutionnels régissant la fixation de l'assiette des impôts et le principe d'interprétation stricte des textes fiscaux conduisant à une violation des principes d'égalité davant la loi et devant les charges publiques, un tel moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à obtenir la décharge de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés établies au titre des exercices clos des années 2012 et 2013 ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions tendant au versement des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société requérante au titre des frais exposés par elle et non comprise dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société SAVILLS FUND MANAGEMENT GMBH est rejetée.
N° 17VE00616 2