Procédure devant la cour :
Par une ordonnance n°19VE01979 du 8 juillet 2019, le président de la 9ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a transmis à la cour, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, le dossier de la requête, enregistrée le 18 juin 2019, présentée par la société SoftAtHome.
Par cette requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 10 juillet 2020, la société SoftAtHome, représentée par Me Quentin, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la restitution des sommes de 490 846 euros au titre de l'année 2010 et 630 483 euros au titre de l'année 2011 mises à sa charge par un avis de mise en recouvrement du 29 avril 2016 à la suite de la remise en cause de crédits d'impôt recherche et d'autre part, le rétablissement d'une créance de crédit d'impôt recherche d'un montant de 696 609 euros au titre de l'année 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le service a, à tort, estimé que certains de ses projets ne correspondaient pas à des opérations de recherche et de développement au sens de l'article 244 quater B du code général des impôts ; l'ensemble des projets a pour objectif de lever des incertitudes ou des verrous technologiques ;
- l'expert du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, a outrepassé les missions qui lui avaient été confiées et n'a pas respecté le principe d'impartialité.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Danielian,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Quentin, pour la société SoftAtHome.
Une note en délibéré présentée pour la société SoftAtHome, par Me Quentin, avocat, a été enregistrée le 10 février 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La société SoftAtHome, qui est un éditeur de logiciels fournissant des services numériques de pointe pour la connectivité et la télévision payante sur les terminaux domestiques des opérateurs, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service a remis en cause l'éligibilité au crédit d'impôt recherche de vingt des cent quatre-vingt-quinze projets développés par la société au titre des exercices clos de 2010 à 2012. La société SoftAtHome fait appel du jugement du 18 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes tendant d'une part, à la restitution des sommes de 490 846 euros au titre de l'année 2010 et 630 483 euros au titre de l'année 2011 mises à sa charge par un avis de mise en recouvrement du 29 avril 2016 et d'autre part, au rétablissement d'une créance de crédit d'impôt recherche d'un montant de 696 609 euros au titre de l'année 2012.
2. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année ". L'article 49 septies F de l'annexe III à ce code prévoit : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. / Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté ".
3. Il résulte de ces dispositions que ne peuvent être prises en compte pour le bénéfice du crédit d'impôt en faveur de la recherche, que les dépenses exposées pour le développement de logiciels dont la conception ne pouvait être envisagée, eu égard à l'état des connaissances techniques à l'époque considérée, par un professionnel averti, par simple développement ou adaptation de ces techniques. Des opérations consistant à perfectionner des matériels ou procédés existants, ou à en développer des fonctionnalités particulières, et qui se traduisent par des améliorations non substantielles de techniques déjà existantes ne caractérisent pas des opérations de développement expérimental présentant un caractère de nouveauté. Il appartient au juge de l'impôt de constater, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, qu'une entreprise remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par l'article 244 quater B du code général des impôts.
4. Il résulte de l'instruction que pour les années 2010, 2011 et 2012, la société SoftAtHome a identifié respectivement 44, 81 et 70 projets éligibles au crédit impôt recherche. La société requérante et l'administration ont échangé lors de plus d'une vingtaine de réunions sur une partie des projets analysés et expertisés par l'administration. La société a fait appel, en 2016, à un expert, M. A..., reconnu pour ses compétences dans le domaine en cause. A l'issue des échanges, si le service a reconnu le caractère éligible au crédit d'impôt recherche de la très grande majorité des cent quatre-vingt-quinze projets présentés par la société, il a remis en cause l'éligibilité de vingt projets, soit trois projets en 2010, sept projets en 2011 et dix projets en 2012, en estimant que ceux-ci ne présentaient pas un caractère nouveau et ne permettaient pas, en soi, de lever un verrou technologique.
5. En premier lieu, si la société requérante soutient que l'expert du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, dont elle a sollicité l'expertise au cours de l'instance devant le tribunal administratif et qui a rendu son rapport le 24 octobre 2018, a outrepassé les missions qui lui ont été confiées en examinant l'ensemble des projets que la société a soumis au crédit d'impôt recherche et non seulement les projets dont l'administration a écarté l'éligibilité à ce crédit d'impôt, il ne ressort pas du courrier du médiateur des ministères économiques et financiers, en date du 22 novembre 2017, que ce dernier aurait entendu cantonner les missions de l'expert à l'examen des seuls projets remis en cause. De plus, la circonstance que l'expert, dont il ne ressort ni du rapport d'expertise ni d'aucune autre pièce du dossier qu'il aurait manifesté un quelconque manque d'impartialité en faveur de l'administration, soit le même que celui désigné pour examiner les créances de crédit d'impôt recherche de la société au titre des années 2013, 2014 et 2015 est sans incidence. Enfin, si la société soutient qu'il est incohérent que ce même expert ait pu considérer des projets identiques inéligibles au titre de la période 2010-2012, puis éligibles au titre de la période 2013-2015, il est toutefois constant que l'expertise réalisée au titre des années 2013-2015, datée du 25 octobre 2017, est antérieure à celle réalisée au titre de la période en litige et datée du 29 septembre 2018 et qu'après avoir déclaré éligibles les projets des années 2013-2015, l'expert a clairement estimé ensuite qu'il n'en allait pas de même pour la période antérieure. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que l'expert mandaté par le ministère de la recherche n'aurait pas présenté les garanties d'impartialité requises pour mener à bien la mission qui lui a été confiée ou aurait outrepassé son mandat et qu'en conséquence son avis ne pourrait pas être pris en compte pour apprécier le caractère innovant des projets développés par la société requérante.
6. En deuxième lieu et concernant les projets " STB_SAGEM_FT_ZE_LOT2 ", " STB_PACE_BOXER_PHASE_1 " et " STB_SAGEM_FT_ZE_LOT1BIS " de 2010, les projets " STB_SAGEM_FT_ZE_LOT2 ","STB_PACE_BOXER_PHASE_1 "," STB_BOXER_PHASE2 ", " STB_SAGEM_TPSA ", " STB_PACE_BOXER_PHASE3 " de 2011, ainsi que les projets " STB_SAGEM_BOXER_PHASE1 "," STB_BOXER_PHASE2 "," STB_SAGEM_FT_ZE_LOT2 ", " STB_SAGEM_FT_ZE_LOT3 " et " STB_SAGEM_TPSA " de 2012, le service vérificateur n'a reconnu l'éligibilité des dépenses de recherche que sur une seule des plateformes de chacun des projets et a considéré que les autres ne constituaient que des adaptations, ne rompant pas avec l'état des connaissances existantes. Si la société soutient que l'utilisation de ces différentes composantes constitue une différence majeure entre les projets, l'élément principal ne pouvant pas se limiter au processeur, lequel est identique à d'autres projets éligibles, et que chaque projet a permis d'expérimenter de nouvelles fonctions impliquant une reconstruction quasi-complète afin de prendre en compte des nouvelles contraintes techniques, il ressort de l'avis du ministère de la recherche, non utilement combattu par celui de M. A..., que l'ajout de nouvelles fonctionnalités ne procède pas de la levée d'incertitudes technologiques et scientifiques, dont l'existence préalable n'a d'ailleurs pas été mise en évidence par des références précises, mais pouvait être atteint par simple développement ou adaptation des techniques connues.
7. L'administration a également considéré que les projets " HGW_FTFR_LBV2_STEP4 " et " HGW_ZTE_FTFR_LBV2_STEP4 " de 2011 ainsi que les projets " HGW_FTFR_LBV2_STEP4 ", " HGW_FT_FR_LBV2_STEP4 ", " STB_Generic_5.1 " et " STB_ETISALAT_IPTV2.0_PHASE-2.5 " de 2012 constituaient des adaptations de technologies existantes sans amélioration substantielle au sens des dispositions de l'article 49 septies F de l'annexe III du code général des impôts précité. Si la société soutient que les différences matérielles et logicielles démontrent l'existence de contraintes impliquant un redéveloppement complet des mécanismes de sécurité, il résulte de l'instruction, et notamment des tableaux fournis par la société ainsi que l'a relevé le tribunal, qu'il s'agit principalement pour la société de lever des incertitudes liées à une question de sécurisation des projets, lesquels se situent dans le prolongement des projets déjà reconnus éligibles pour les années précédentes, de sorte qu'il ne s'agit que d'une adaptation. Par suite, et alors que la société ne précise pas les verrous technologiques et les incertitudes levées pour chaque projet individuellement, mais seulement pour chaque axe, il ne résulte pas de l'instruction, qu'au-delà d'une optimisation des performances, ils constitueraient une " amélioration substantielle " au sens de l'article 49 septies F de l'annexe III du code général des impôts.
8. Enfin, s'agissant du projet " HGW_ASKEY_SILIGENCE " de 2012, si la société soutient que la plateforme utilisée dans le cadre de ce projet, incluant, à titre expérimental, de nouveaux chipsets et des circuits additionnels, était l'une des plateformes les plus avancées, elle ne fait précisément état d'aucune incertitude scientifique ou technologique de nature à faire regarder ce projet comme marquant une rupture significative par rapport à l'état des connaissances disponibles.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société SoftAtHome n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société SoftAtHome est rejetée.
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N° 19VE02493