Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2019 et un mémoire en réplique enregistré le 12 mars 2020, la société Téléperformance France, représentée par Me Valette, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 février 2016 de l'inspectrice du travail ;
2°) d'annuler la décision du 18 février 2016 de l'inspectrice du travail ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement du 29 juillet 2019 :
- la minute du jugement ne comporte pas les signatures requises par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- l'expédition du jugement n'a pas été faite conformément aux dispositions de l'article R. 751-2 du code de justice administrative ;
- le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a privée de son droit à un recours effectif dès lors qu'il a enjoint au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France de réexaminer son recours hiérarchique tout en statuant sur le fond en jugeant que la décision du 18 février 2016 de l'inspectrice du travail n'était pas entachée d'une erreur d'appréciation ;
En ce qui concerne la légalité de la décision du 18 février 2016 :
- cette décision est entachée d'incompétence ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors que, d'une part, le respect d'une procédure contradictoire préalable a été méconnu et que, d'autre part, elle n'a pas été précédée d'une saisine des inspecteurs du travail dans le ressort desquels se trouve l'ensemble de ses établissements ;
- l'inspectrice du travail a commis une erreur d'appréciation en exigeant la modification des articles 8 et 9-1 de son règlement intérieur, dès lors que les restrictions imposées sont justifiées et proportionnées, en conformité avec les dispositions de l'article L. 1321-3 du code du travail.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coudert,
- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 septembre 2015, la société Téléperformance France, spécialisée dans le secteur des activités de centres d'appel, a adressé au service de l'inspection du travail de l'unité départementale des Hauts-de-Seine de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France un nouveau projet de règlement intérieur unique pour l'ensemble de ses établissements. Par décision du 25 septembre 2015, l'inspectrice du travail dans le ressort duquel se trouve le siège de la société a enjoint à l'entreprise de procéder à la modification ou la suppression de sept articles du règlement intérieur, demandant notamment le retrait du dernier paragraphe de l'article 8, relatif à la tenue vestimentaire, et la modification de l'article 9-1, relatif à la protection des données professionnelles et au secret professionnel. Le 8 décembre 2015, la société requérante a adressé à l'inspectrice du travail une version modifiée de son nouveau règlement intérieur. Par décision du 18 février 2016, l'inspectrice du travail a indiqué que cette nouvelle rédaction ne correspondait pas aux exigences spécifiées par sa décision du 25 septembre 2015 pour les article 8 et 9-1. Par courrier du 11 mars 2016, la société Téléperformance France a sollicité des explications complémentaires relatives à la décision du 18 février 2016. Elle a également formé, par courrier du 18 avril 2016, un recours hiérarchique contre cette décision auprès du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Par décision du 15 juin 2016, le directeur régional a rejeté ce recours hiérarchique comme irrecevable. Le 9 août 2016, la société requérante a formé un nouveau recours hiérarchique auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui a été implicitement rejeté par décision du 12 octobre 2016. La société Téléperformance France relève appel du jugement du 29 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir fait droit à sa demande tendant à l'annulation des décisions des 15 juin et 12 octobre 2016 et enjoint au directeur régional de réexaminer son recours hiérarchique, a rejeté le surplus de sa demande, tendant à l'annulation de la décision du 18 février 2016.
Sur la régularité du jugement du 29 juillet 2019 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Aux termes de l'article R. 751-2 du même code : " Les expéditions des décisions sont signées et délivrées par le greffier en chef ou, au Conseil d'Etat, par le secrétaire du contentieux ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par les dispositions précitées de l'article R. 741-7 du code de justice administrative.
4. D'autre part, si la société soutient qu'il n'est pas établi que la signature figurant sur l'expédition du jugement attaqué ait été apposée par le greffier en chef du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ou par un délégataire désigné à cet effet, cette circonstance n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué dès lors que les conditions de la notification d'une décision de justice sont sans incidence sur la régularité de celle-ci. Ces moyens doivent, par suite, être écartés.
5. En second lieu, la société Téléperformance France soutient que, en enjoignant au directeur régional de réexaminer son recours hiérarchique, tout en ayant statué sur le fond et jugé que la décision du 18 février 2016 de l'inspectrice du travail n'était pas entachée d'une erreur d'appréciation, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a privée de son droit à un recours hiérarchique effectif contre la décision en litige de l'inspectrice du travail. Il ressort néanmoins du dossier de première instance que la société avait présenté, outre des conclusions tendant à l'annulation des décisions de rejet de ses recours hiérarchiques des 15 juin et 12 octobre 2016, des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 18 février 2016 de l'inspectrice du travail, ainsi que des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au directeur régional et à la ministre du travail de réexaminer ses recours hiérarchiques. Par suite, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en prononçant la mesure d'injonction en cause après avoir également statué sur la légalité de la décision de l'inspectrice du travail, s'est borné, ainsi qu'il y était tenu, à statuer sur les conclusions dont il était saisi et à répondre aux moyens soulevés à l'appui de celles-ci. Ce faisant, les premiers juges ne peuvent être regardés comme ayant privé la société requérante d'un droit à un recours hiérarchique effectif. La société Téléperformance France n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité de ce chef.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur la légalité de la décision du 18 février 2016 :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision :
6. Aux termes de l'article L. 1311-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " L'établissement d'un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins vingt salariés (...) ". Aux termes de l'article L. 1321-4 du même code : " En même temps qu'il fait l'objet des mesures de publicité, le règlement intérieur, accompagné de l'avis du comité social et économique, est communiqué à l'inspecteur du travail (...) ". Aux termes de l'article L. 1322-1 du code du travail : " L'inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L. 1321-1 à L. 1321-3 et L. 1321-6 ". Aux termes de l'article L. 1322-2 du même code, relatif aux décisions concernant les règlements intérieurs des entreprises : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ". Aux termes de l'article R. 1321-6 du même code : " La demande prévue à l'article L. 1322-1-1 (...) est présentée à l'inspecteur du travail dans le ressort duquel est établie l'entreprise ou l'établissement concerné, par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Lorsqu'un règlement intérieur unique est établi ou modifié pour l'ensemble des établissements de l'entreprise, la demande est adressée à l'inspecteur du travail territorialement compétent pour son siège (...) ".
7. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 8122-11 du code du travail : " Pour l'exercice des compétences en matière d'actions d'inspection de la législation du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi peut déléguer sa signature au chef du pôle en charge des questions de travail et aux responsables d'unités territoriales chargées des politiques du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et de développement des entreprises. En accord avec le délégant, ceux-ci peuvent donner délégation pour signer des actes relatifs aux affaires pour lesquelles ils ont eux-mêmes reçu délégation aux agents du corps de l'inspection du travail placés sous leur autorité. Le directeur régional peut mettre fin à tout ou partie de cette délégation. Il peut également fixer la liste des compétences qu'il souhaite exclure de la délégation que peuvent consentir ces chefs de service aux agents du corps de l'inspection du travail placés sous leur autorité. Les responsables d'unité territoriale exercent, au nom du directeur régional, le pouvoir hiérarchique sur les agents chargés des actions d'inspection de la législation du travail ".
8. En premier lieu, le siège de la société Téléperformance France se situe dans le ressort territorial de la section d'inspection du travail 1-6 tel qu'il résulte de la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France du 4 décembre 2015 relative à la localisation et à la délimitation des unités de contrôle et des sections d'inspection du travail de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de région Ile-de-France du 8 décembre 2015. De plus, il résulte des termes de la décision du 21 janvier 2016 de la directrice régionale adjointe, responsable de l'unité départementale des Hauts-de-Seine de la DIRECCTE d'Ile-de-France, régulièrement publiée le 1er février 2016 au recueil des actes administratifs de la préfecture du département des Hauts-de-Seine, que Mme B... A..., inspectrice du travail, est notamment chargée, sur cette section d'inspection, du contrôle des établissements de la société Téléperformance France, et, sur l'ensemble de la section, de prendre les décisions relevant, comme celle qui est contestée en l'espèce, de la compétence exclusive de l'inspecteur du travail en vertu des dispositions législatives ou réglementaires. Ainsi, Mme A... était compétente pour prendre la décision en litige. La circonstance que la décision comporte la mention, inappropriée compte tenu des précisions apportées en défense par la ministre du travail, qu'elle a signé " par suppléance " est sans incidence sur ce point. Le moyen tiré de l'incompétence doit dès lors être écarté.
9. En deuxième lieu, la société requérante soutient que, s'agissant de l'article 9-1 du règlement intérieur, la décision du 18 février 2016 est entachée d'une insuffisance de motivation dès lors que le courrier de l'inspectrice du travail n'expose pas de manière précise les considérations de faits ayant conduit à prendre cette décision, et que la motivation de cette dernière ne pouvait fonctionner par référence à la décision du 25 septembre 2015. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, saisie le 7 septembre 2015 par la société Téléperformance France de son règlement intérieur modifié, l'inspectrice du travail a, par sa décision du 25 septembre 2015, indiqué de manière détaillée les considérations de fait fondant son appréciation sur le caractère général et absolu des interdictions prévues à cet article ainsi que sur le caractère disproportionné des atteintes qu'il porte aux droits et libertés individuelles des salariés, puis elle a considéré par conséquent que l'article 9-1 de ce règlement intérieur devait être modifié. Par sa décision en litige du 18 février 2016, l'inspectrice du travail a estimé que les modifications apportées à l'article 9-1 par la nouvelle version du règlement intérieur transmise par la société le 8 décembre 2015 ne satisfaisaient pas " aux exigences de [sa] décision du 25 septembre 2015 " en relevant que les précisions apportées n'étaient ni de nature à ôter à cette clause son caractère général et absolu, ni de nature à justifier les restrictions apportées aux droits des personnes et aux libertés individuelles. Si les deux décisions des 25 septembre 2015 et 18 février 2016 sont distinctes, il n'en demeure pas moins qu'elles s'inscrivent dans un processus d'échanges au sujet du règlement intérieur de la même entreprise. Dans ces conditions, la motivation de la seconde décision pouvait se référer aux termes de la décision initiale, suffisamment motivée, alors même qu'elle n'était pas jointe et que sa teneur n'était pas reprise dans ses motifs. Il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse n'était pas suffisamment motivée.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Aux termes de l'article L. 211-2 de ce même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 3° (...) imposent des sujétions ; / (...) ".
11. Les décisions prises par l'inspection du travail sur le fondement des dispositions précédemment citées de l'article L. 1322-1 du code du travail sont au nombre des décisions qui imposent des sujétions, au sens du 3° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors que la communication par une société à l'inspection du travail de son règlement intérieur, exigée par l'article L. 1321-4 du code du travail, ne peut s'analyser comme une demande, il résulte de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, applicable en l'absence de toute procédure contradictoire particulière, que ces décisions sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. Elles ne peuvent donc en principe intervenir qu'après que l'entreprise intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales.
12. La société Téléperformance France soutient qu'elle n'a pas été en mesure de présenter des observations écrites préalablement à l'édiction de la décision litigieuse du 18 février 2016. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit, que, par une première décision en date du 25 septembre 2015, l'inspectrice du travail avait enjoint à l'entreprise de procéder à la modification ou la suppression de sept articles du règlement intérieur de la société, demandant notamment le retrait du dernier paragraphe de l'article 8, relatif à la tenue vestimentaire, et la modification de l'article 9-1, relatif à la protection des données professionnelles et au secret professionnel. Il n'est pas contesté que la directrice des ressources humaines de la société a été reçue par l'inspectrice du travail le 18 novembre 2015 afin d'obtenir des précisions sur les demandes de modification ainsi formulées par l'administration. Postérieurement à cette réunion, le 8 décembre 2015, la société requérante a adressé à l'inspectrice du travail une nouvelle version de son règlement intérieur. Le 18 février 2016 la directrice des ressources humaines de la société a été reçue à nouveau par l'inspectrice du travail. Cette dernière a ensuite, le même jour, pris la décision litigieuse, indiquant que la nouvelle rédaction du règlement intérieur transmis par la société ne correspondait pas aux exigences spécifiées par sa décision du 25 septembre 2015, en ce qui concerne les articles 8 et 9-1. Ainsi, au regard des échanges intervenus entre la société Téléperformance France et l'administration du travail à compter du 25 septembre 2015, la requérante doit être regardée, alors même qu'elle n'a pas pu présenter d'observations écrites préalablement à l'édiction de la décision du 18 février 2016, comme ayant bénéficié d'une procédure contradictoire préalable suffisante au regard des garanties prévues par les dispositions précédemment citées du code des relations entre le public et l'administration. Il suit de là que le moyen tiré du non-respect de la procédure contradictoire préalable doit, en l'espèce, être écarté.
13. En quatrième lieu, si la société requérante a choisi d'édicter un règlement intérieur unique pour l'ensemble de ses établissements, possibilité offerte en application des dispositions de l'article L. 1311-2 et R. 1321-6 du code du travail dès lors que ces établissements ne présentent pas de spécificités nécessitant l'édiction de dispositions propres, elle soutient néanmoins que l'inspectrice du travail dans le ressort de laquelle se trouve le siège de la société, et à qui le règlement intérieur a été adressé, aurait dû, en amont de sa décision, consulter l'ensemble des inspecteurs du travail compétents pour les divers établissements de la société. La société se prévaut à cet égard de la circulaire n° 2009-09 du 17 avril 2009 du directeur général du travail. Il ressort cependant des termes de l'ensemble des situations décrites par la circulaire précitée que celle-ci a vocation à fournir des lignes de conduite permettant d'unifier les pratiques des inspecteurs du travail en accord avec l'article R. 1321-6 du code du travail et la jurisprudence en la matière, selon laquelle seul l'inspecteur du travail dans le ressort duquel se trouve le siège social de la société est compétent pour connaître la validité d'un règlement intérieur. A cet égard, le fait de solliciter les inspecteurs du travail dans le ressort desquels se situent les établissements respectifs ne constitue pour les inspecteurs du travail qu'une recommandation et ne présente donc pas un caractère impératif. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision du 18 février 2016 a été prise sans procéder à de telles consultations doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision :
14. Aux termes de l'article L. 1321-1 du code du travail : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : / 1° Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 ; / 2° Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises ; / 3° Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur ". Aux termes de l'article L. 1321-3 de ce code : " Le règlement intérieur ne peut contenir : / 1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ; / 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; / 3° Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap ".
15. La société requérante soutient que l'inspectrice du travail a commis une erreur d'appréciation en exigeant, par décision du 18 février 2016, le retrait de l'article 9-1 et la modification de l'article 8, alors que les restrictions apportées par ces articles sont justifiées et proportionnées.
S'agissant de l'article 9-1 du règlement intérieur :
16. L'article 9-1 du règlement intérieur, dans sa version du 8 décembre 2015 sur laquelle l'inspectrice du travail s'est prononcée par sa décision du 18 février 2016, prévoit que : " Afin de garantir la protection des informations clients confiées par les entreprises clientes de la société - notamment dans le cadre des engagements contractuels pris avec elles - sont applicables aux postes de travail des salariés dont la fonction les amène à utiliser ces informations clients ou à être en contact avec ces informations, les mesures suivantes : / a) Seuls les outils et supports fournis par l'entreprise peuvent être utilisés au poste de travail pour effectuer les tâches relatives à ces informations clients ; / b) Sous réserve des dispositions du point d) ci-dessous, tous supports personnels - papier, stylos, ordinateurs ou autres matériels permettant les enregistrements - ne sont pas autorisés au poste de travail et doivent être déposés dans les vestiaires individuels conformes aux normes mis à disposition par la Direction ; / c) Les effets personnels (manteaux, sacs, cartables...) pouvant contenir les supports visés au point b) doivent également être déposés dans les vestiaires ; d) Les téléphones portables personnels peuvent être conservés sur eux par les salariés, en mode silencieux ; ils ne doivent en aucun cas être visibles ou utilisés au poste de travail. Cette possibilité n'est toutefois pas ouverte aux salariés travaillant sur les plateaux soumis, en raison de la nature des informations traitées, aux règles de la norme PCI-DSS. Tous les salariés peuvent être joints très rapidement par l'extérieur en cas d'urgence, sur un numéro spécifique d'urgence fourni par la direction de leur centre d'affectation ".
17. L'inspectrice du travail a estimé que, malgré les modifications rédactionnelles apportées à la suite de sa décision du 25 septembre 2015, l'article 9-1 ne répondait toujours pas aux exigences formulées dans cette décision, du fait de son caractère général et absolu, et de l'absence de justification nécessaire aux restrictions apportées aux droits des personnes et aux libertés individuelles des employés de la société requérante. La société Téléperformance France soutient pour sa part que les restrictions apportées ne sont pas générales mais spécifiques à une catégorie d'employés, et qu'elles sont justifiées et proportionnées au regard de son activité.
18. D'une part, les salariés auxquels s'appliquent les mesures prévues par l'article
9-1 du règlement intérieur sont ceux " dont la fonction les amène à utiliser [les] informations clients ou à être en contact avec ces informations ". Ainsi que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a jugé, compte tenu de cette définition peu précise pouvant donner lieu à interprétation et de la nature de l'activité de la société Téléperformance France, les restrictions prévues par cet article s'appliquent potentiellement à une majorité de ses salariés. La société requérante ne conteste pas sérieusement cette appréciation en se bornant à faire valoir que ces termes désigneraient " essentiellement les téléopérateurs ". Dans ces conditions, la société Téléperformance France n'est pas fondée à soutenir que l'inspectrice du travail a commis une erreur d'appréciation en estimant que l'article en cause conservait, malgré les modifications qui y avaient été apportées, un caractère général et absolu.
19. D'autre part, si la société soutient que l'ajout du point d) dans la version transmise le 8 décembre 2015 à l'inspectrice du travail a permis d'autoriser une partie des employés à conserver sur eux, à leur poste de travail, leur téléphone portable en mode silencieux, il ressort des termes de l'article 9-1 que celui-ci, outre l'interdiction totale des supports d'enregistrements et de transcription, ainsi que des effets personnels tels que les manteaux ou sacs, empêche, pour l'ensemble des salariés concernés, tout assouplissement relatif à l'usage effectif du téléphone portable dès lors que celui-ci ne peut être ni visible ni utilisé par les salariés. Si la société soutient que les salariés peuvent conserver leur téléphone portable en mode vibreur afin d'être alertés et pouvoir sortir prendre un éventuel appel téléphonique, cette affirmation n'est pas corroborée par le règlement intérieur qui ne fait mention d'aucune possibilité de quitter son poste de travail en cas d'appel et indique par ailleurs que les téléphones doivent être laissés en mode silencieux. En outre, l'interdiction du téléphone portable sur les plateaux téléphoniques demeure totale en ce qui concerne une partie des salariés, ce que la société justifie par des engagements stricts en matière de sécurité et de protection des données bancaires. Cependant, il ressort du dossier que les normes auxquelles la société dit devoir se plier n'impliquent aucunement une interdiction totale du téléphone portable pour les employés. Par ailleurs, si la société soutient qu'elle est confrontée à des menaces réelles de mise en danger de la confidentialité des informations traitées, et fournit à cet égard un certain nombre de lettres de licenciement, il apparaît qu'aucune des situations présentées n'était relative à l'utilisation par les employés de leur téléphone portable personnel, mais étaient liées aux difficultés et contraintes inhérentes à l'activité de service client, dès lors que les employés disposent effectivement de moyens permettant d'effectuer des opérations au bénéfice des clients. Dans ces conditions, les interdictions introduites par l'article 9-1 du règlement intérieur, dans sa rédaction soumise à l'inspectrice du travail, qui sont particulièrement restrictives pour les libertés individuelles et ne tiennent pas compte des nécessités de la vie privée et familiale, n'apparaissent ni justifiées ni proportionnées. A cet égard, les circonstances que, d'une part, le précédent règlement intérieur édicté par la société requérante, datant de 2009, interdisait déjà l'utilisation du téléphone portable aux postes de travail et que, d'autre part, la société affirme faire une application souple et mesurée du règlement intérieur, sont sans incidence sur la légalité de la décision de l'inspectrice du travail. Il résulte de ce qui précède que, en estimant par sa décision du 18 février 2016 que les clauses de l'article 9-1 du règlement intérieur de la société Téléperformance France étaient contraires aux dispositions de l'article L. 1321-3 du code du travail, l'inspectrice du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
S'agissant de l'article 8 du règlement intérieur :
20. L'article 8 du règlement intérieur prévoit que : " Les locaux de l'Entreprise étant ouverts en permanence aux clients, fournisseurs et autres partenaires de celle-ci, une tenue vestimentaire correcte est exigée de tous les collaborateurs, à savoir une tenue propre et soignée, adaptée au cadre professionnel et respectant la bienséance. Sont ainsi prohibées les tenues inconvenantes ou négligées, les tenues de plage ainsi que les couvre-chefs. / Ces prescriptions sont édictées dans le souci d'une part de préserver l'image de l'Entreprise à l'égard de ses clients et partenaires économiques, et d'autre part d'éviter tout trouble dans l'Entreprise découlant d'une tenue inappropriée. / Afin de garantir une cohabitation harmonieuse entre les différentes appartenances, croyances et opinions qui composent le personnel de l'Entreprise, quelles qu'elles soient, les collaborateurs sont tenus de respecter une obligation de discrétion relative à leurs convictions, sans que ne soient remises en cause les libertés de conscience, d'opinion et de religion de chacun ". En l'espèce, malgré la suppression par la société de la clause qui prévoyait d'interdire les " signes et démonstrations manifestement ostentatoires d'appartenance politique, ethnique, religieuse ou philosophique ", conformément à la première décision du 25 septembre 2015, l'inspectrice du travail a estimé que la clause de l'article 8 prohibant les couvre-chefs dans la version modifiée du règlement intérieur devait être retirée, afin de lever toute ambiguïté quant à une possible utilisation de celle-ci visant à réintroduire d'une manière détournée les dispositions retirées sur sa demande, et en relevant à ce propos les inquiétudes exprimées par des représentants du personnel.
21. La société requérante soutient que l'interdiction des couvre-chefs a pour objectif d'obliger ses employés à porter une tenue vestimentaire correcte et à préserver l'image de l'entreprise auprès de ses clients et partenaires, ainsi que d'instituer une politique de neutralité afin de garantir le bon fonctionnement de l'entreprise et une cohabitation harmonieuse entre les différentes convictions des salariés, tout en respectant chacune de celles-ci. Il ressort toutefois des termes précités de l'article 8 du règlement intérieur que, même en l'absence de la clause en litige relative aux couvre-chefs, ce texte permet d'ores et déjà à la société d'imposer une tenue vestimentaire correcte aux salariés ainsi qu'une obligation de discrétion relative à leurs convictions. Par ailleurs, si la société soutient que les locaux dans lesquels sont situés les plateaux téléphoniques sont ouverts en permanence à ses partenaires, clients et fournisseurs, qui peuvent venir les visiter, il n'en demeure pas moins que la nature même de l'activité des téléopérateurs implique que ces derniers ne sont pas en contact physique avec les clients contactant le centre d'appels. Ainsi, eu égard aux motifs soulevés par l'inspectrice du travail, notamment la volonté de pacifier le climat et les relations sociales dans l'entreprise à la suite d'inquiétudes exprimées par les représentants du personnel, ainsi qu'à la nature même de l'activité de la société requérante, l'interdiction des couvre-chefs prévue par l'article 8 de la version modifiée du règlement intérieur n'apparaît ni justifiée ni proportionnée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail aurait entaché sa décision du 18 février 2016 d'une erreur d'appréciation en exigeant que la société requérante retire les clauses en litige de l'article 8 de son règlement intérieur doit être écarté.
22. Il résulte de tout ce qui précède que la société Téléperformance France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal de Cergy-Pontoise a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par la société Téléperformance France ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Téléperformance France est rejetée.
N° 19VE03329 4