Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juillet 2015, 20 octobre 2015 et 18 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCEA Domaine du Grand Mas demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté son appel ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit, dans cette mesure, à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu:
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de La SCEA Domaine du Grand Mas ;
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de la vérification de comptabilité, portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, de la SCEA Domaine du Grand Mas, qui a pour objet la culture de céréales et de graines oléagineuses, l'administration fiscale a remis en cause les déductions de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait opérées au titre des travaux effectués dans les locaux mis à sa disposition par la SCI Le Grand Mas, au motif que ces dépenses ne pouvaient être regardées comme affectées aux besoins de son exploitation. Elle lui a notifié, en conséquence, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 341,04 euros pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2007 et 127 369,09 euros pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2008. Par un arrêt du 19 mai 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a partiellement déchargé la SCEA Domaine du Grand Mas des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2008 et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête. La SCEA Domaine du Grand Mas se pourvoit contre cet arrêt en tant qu'il n'a pas fait droit intégralement à ses conclusions.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; b) Celle qui est due à l'importation ; c) Celle qui est acquittée par les redevables eux-mêmes lors de l'achat ou de la livraison à soi-même des biens ou des services (...) ".
3. La société requérante soutient que la cour a commis une erreur de droit et entaché son arrêt de contradiction de motifs en se bornant à citer les règles de déductibilité issues des dispositions de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts tout en faisant application du critère de déductibilité relatif à la nécessité des dépenses qui était exigé par les dispositions de l'ancien article 230 de la même annexe. En l'espèce, les règles de déductibilité de la TVA applicables aux rappels de TVA notifiés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2007 étaient celles résultant de l'ancien article 230 de l'annexe II au code général des impôts alors que celles applicables aux impositions relatives à la période du 1er janvier au 31 décembre 2008 étaient celles de l'article 206 de la même annexe. Si la cour n'a pas explicitement procédé à cette distinction des règles applicables, il résulte toutefois des énonciations de son arrêt qu'elle a, sans erreur de droit, ni contradiction de motifs, apprécié le droit de la requérante à la déductibilité de la TVA conformément au critère des besoins de son exploitation, tel qu'il résulte des dispositions, citées au point 2, de l'article 271 du code général des impôts.
4. En deuxième lieu, il résulte des dispositions tant de l'ancien article 230 de l'annexe II au code général des impôts que du paragraphe IV de l'article 206 de la même annexe, que n'ouvre pas droit à déduction la TVA ayant grevé la fourniture à titre gratuit du logement des dirigeants ou du personnel de l'entreprise, à l'exception de celui du personnel de gardiennage, de sécurité ou de surveillance sur les chantiers ou dans les locaux de l'entreprise.
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la SCEA du Grand Mas avait engagé M. A...en qualité de chef de culture et que ses fonctions portaient sur la gestion de l'exploitation agricole. En déduisant de ces appréciations souveraines, qui ne sont pas entachées de dénaturation, que M. A... ne pouvait être regardé comme investi, à titre principal, d'une mission de surveillance ou de sécurité du domaine, au sens des dispositions rappelées au point 4, la cour n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. En regardant comme non déductible la TVA afférente aux dépenses relatives aux travaux d'aménagement du logement de fonction de M.A..., la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a commis aucune erreur de qualification juridique des faits.
6. En troisième lieu, dès lors qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour avait estimé que les éléments fournis par l'administration fiscale, qui n'étaient pas sérieusement contestés par la requérante, justifiaient la remise en cause de la déductibilité de la TVA afférente à certains travaux engagés par la SCEA Domaine du Grand Mas au motif qu'ils ne correspondaient pas aux besoins de son exploitation, elle n'a ni commis d'erreur de droit dans l'application des règles de la preuve, ni entaché son arrêt de contradiction de motifs.
7. En dernier lieu, aux termes des dispositions de l'article 205 de l'annexe II au code général des impôts, applicables à la période d'imposition du 1er janvier au 31 décembre 2008 : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction ". Aux termes de l'article 206 de la même annexe, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission./ II. - Le coefficient d'assujettissement d'un bien ou d'un service est égal à sa proportion d'utilisation pour la réalisation d'opérations imposables. Les opérations imposables s'entendent des opérations situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des articles 256 et suivants du code général des impôts, qu'elles soient imposées ou légalement exonérées./ III. - 1. Le coefficient de taxation d'un bien ou d'un service est égal à l'unité lorsque les opérations imposables auxquelles il est utilisé ouvrent droit à déduction./ 2. Le coefficient de taxation d'un bien ou d'un service est nul lorsque les opérations auxquelles il est utilisé n'ouvrent pas droit à déduction. /3. Lorsque le bien ou le service est utilisé concurremment pour la réalisation d'opérations imposables ouvrant droit à déduction et d'opérations imposables n'ouvrant pas droit à déduction, le coefficient de taxation est calculé selon les modalités suivantes :/ 1° Ce coefficient est égal au rapport entre : a. Au numérateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ; b. Et, au dénominateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations imposables, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations (...) ".
8. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour refuser à la SCEA Domaine du Grand Mas le droit de déduire la TVA afférente, d'une part, à deux factures relatives aux travaux du " chantier 901 ", à savoir la facture 2008/173, datée du 11 août 2008, et la facture 2008/247, datée du 23 décembre 2008, et, d'autre part, aux factures " CGE " relatives à l'aménagement d'un bureau, factures émises entre le 28 janvier et le 31 juillet 2008, la cour s'est fondée sur le fait que la société n'établissait pas que ces dépenses avaient été engagées exclusivement pour les besoins de l'exploitation agricole. Si cette condition d'affectation exclusive des dépenses aux besoins de l'exploitation était prévue par les dispositions de l'ancien article 230 de l'annexe II au code général des impôts, cette condition ne figurait plus dans les dispositions, citées au point 7, de l'article 206 de la même annexe, qui étaient seules applicables aux dépenses en litige, le droit à déduction de la TVA reposant désormais sur un mécanisme de coefficient de déduction. En se fondant sur l'absence d'affectation exclusive des travaux aux besoins de l'exploitation agricole de la société contribuable pour écarter le droit de la société contribuable à déduction de la TVA pour les factures du " chantier 901 " et les factures " CGE ", la cour a donc commis une erreur de droit. Dès lors, son arrêt doit être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la SCEA Domaine du Grand Mas relatives à la TVA afférente aux factures du " chantier 901 " n° 2008/13 et 2008/247 ainsi qu'aux factures " CGE ".
9. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la SCEA Domaine du Grand Mas au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1: L'article 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 19 mai 2015 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions relatives à la TVA afférente aux factures du " chantier 901 " n° 2008/13 et 2008/247 ainsi qu'aux factures " CGE ".
Article 2: L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à cette cour.
Article 3 : L'Etat versera à la SCEA Domaine du Grand Mas une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SCEA Domaine du Grand Mas est rejeté.
Article 5: La présente décision sera notifiée à la SCEA Domaine du Grand Mas et au ministre des finances et des comptes publics.