1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa protestation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code électoral ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 ;
- la décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune de Beauvais, dans l'Oise, les 45 sièges de conseillers municipaux ont été pourvus. 35 sièges de conseillers municipaux ont été attribués à des candidats de la liste " Beauvais c'est vous " conduite par Mme D... qui a obtenu 50,76 % des suffrages exprimés ; 7 sièges ont été attribués à la liste " Beauvais osons l'avenir avec Roxane B... " conduite par Mme B... qui a obtenu 31,73 % des suffrages exprimés ; 2 sièges ont été attribués à la liste " Beauvais, notre ambition " conduite par Mme J... qui a obtenu 9,76 % des suffrages exprimés ; 1 siège a été attribué à la liste " Ensemble pour Beauvais " conduite par M. H.... Le taux d'abstention s'est élevé à 63,91 %. Mme C... relève appel de l'ordonnance du 5 juin 2020 par laquelle la présidente de la troisième chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté comme tardive la protestation qu'elle a formée contre ces opérations électorales.
Sur la tardiveté de la protestation :
2. L'article R. 119 du code électoral dispose que : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. / Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai (...) ".
3. L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) 2° (...) b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 (...) ". Sur le fondement de cette habilitation, le 3° du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dispose que : " Les réclamations et les recours mentionnées à l'article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 susvisée ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article ". Aux termes de l'article 1er du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020 : " (...) les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction le 18 mai 2020 ".
4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, combinées avec celles du second alinéa de l'article 642 du code de procédure civile selon lesquelles " Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ", que les réclamations contre les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pouvaient être formées au plus tard le lundi 25 mai 2020 à dix-huit heures.
5. La protestation de Mme C... a été enregistrée le 26 mai 2020 au greffe du tribunal administratif d'Amiens, soit après l'expiration du délai de recours. Il résulte néanmoins de l'instruction que la protestation de Mme C... a été déposée au bureau de poste le vendredi 22 mai 2020, soit plus de 48 heures avant l'expiration du délai imparti. En l'absence de circonstances particulières propres à la période considérée et de nature à rendre prévisible un allongement de la durée d'acheminement du courrier, cette protestation doit être regardée comme ayant été remise au service postal en temps utile pour parvenir dans le délai imparti pour contester les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020. Par suite, il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la protestation de Mme C....
Sur la campagne et les opérations électorales :
6. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de coronavirus covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.
7. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 dispose au premier alinéa du paragraphe I que : " Lorsque, à la suite du premier tour organisé le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n'ont pas été pourvus, ce second tour, initialement fixé au 22 mars 2020, est reporté au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l'impérative protection de la population face à l'épidémie de covid-19. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire permet l'organisation des opérations électorales au regard, notamment, de l'analyse du comité de scientifiques institué sur le fondement de l'article L. 3131-19 du code de la santé publique " et au quatrième alinéa du même paragraphe que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Par sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions des premier et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 conformes à la Constitution.
En ce qui concerne les griefs tirés de l'inconstitutionnalité de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 :
8. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. (...) ". L'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. (...). ". Enfin, aux termes de l'article 23-5 de la même ordonnance : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d'office ".
9. Mme C... fait valoir que le maintien des résultats du premier tour de scrutin dans les communes comme celle de Beauvais où l'élection était acquise dès le 15 mars 2020 et le report du second tour dans les autres communes à une date indéterminée entrainent une
rupture d'égalité devant les charges publiques entre communes, en particulier au sein d'un même établissement de coopération intercommunale, en méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, et une violation du principe de l'égalité devant le suffrage qui résulte de l'article 3 de la Constitution et de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Toutefois, cette situation résulte des dispositions des premier et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020, citées au point 7, qui ont maintenu les élections acquises au premier tour tout en reportant la date du second tour. Or, la conformité de la loi aux droits et libertés garantis par la Constitution ne saurait être contestée devant le juge administratif en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution. Il s'ensuit que ce grief ne peut qu'être écarté.
10. Mme C... fait également valoir qu'elle entend soulever une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier son article 3, des dispositions de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020, notamment le quatrième alinéa de son paragraphe I en ce qu'il déclare acquise l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020. Toutefois, cette question, faute d'avoir été introduite par un mémoire distinct dans les formes prescrites par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et l'article R. 771-13 du code de justice administrative, est irrecevable.
En ce qui concerne les autres griefs :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 262 du code électoral applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ".
12. Ni par ces dispositions ni par celles de la loi du 23 mars 2020 citées au point 7 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.
13. En l'espèce, Mme C... fait seulement valoir que le taux d'abstention s'est élevé à 63,91 % dans la commune de Beauvais. En l'absence de l'invocation d'aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune de Beauvais qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.
14. En deuxième lieu, si Mme C... soutient que l'épidémie de covid-19 a affecté le déroulement de la campagne électorale, elle n'apporte aucun élément justifiant de ce que la campagne d'un ou plusieurs candidats aux élections municipales de Beauvais aurait été de ce fait perturbée au point que la sincérité des résultats du scrutin en aurait été altérée. Ce grief ne peut dès lors qu'être écarté.
15. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 52-1 du code électoral : " Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. / A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ".
16. Mme C... soutient que la réunion tenue le 25 novembre 2019 à l'hôtel de ville de Beauvais, consacrée à la présentation de l'état d'avancement des projets du plan " Coeur de ville ", a été organisée par la ville et la communauté d'agglomération de Beauvais en méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral citées au point 15. Toutefois, l'affiche diffusée pour l'annonce de cette réunion, comportant simplement son objet, son lieu et sa date, accompagnés d'un montage graphique illustrant un coeur ainsi que des logos de la ville, de la communauté d'agglomération et des plans " grand coeur de ville " et " action coeur de ville " n'excède pas les limites d'une information institutionnelle. Elle ne saurait être regardée comme une campagne de promotion publicitaire prohibée par l'article L. 52-1 du code électoral. Ce grief ne peut dès lors qu'être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de la commune de Beauvais.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance de la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens est annulée.
Article 2 : La protestation de Mme C... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C..., à Mme G... D..., à Mme F... B..., à Mme E... J..., à M. I... H... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et à la commune de Beauvais.