1°) d'annuler pour excès de pouvoir les extraits du site internet " parcoursup.fr " reproduits à l'appui de la requête ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la charte du 6 décembre 2017 " pour une mise en oeuvre partagée des attendus des formations " et les éléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence y étant associés ;
3°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation autorisant la mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Parcoursup " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à chacune des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code de l'éducation, notamment son article L. 612-3 ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 ;
- le décret n° 2018-172 du 9 mars 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, auditeur,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, du Syndicat national de l'enseignement supérieure - Fédération syndicale unitaire, de la Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture CGT , l'Union nationale des étudiants de France et de l'Union nationale lycéenne.
Vu la note en délibéré, présentée par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, enregistrée le 19 juin 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 19 janvier 2018, la ministre chargée de l'enseignement supérieur a autorisé la mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Parcoursup ", en vue de collecter, d'une part, les voeux d'inscription des élèves sollicitant une préinscription dans une formation initiale de premier cycle d'un établissement d'enseignement supérieur à la rentrée universitaire 2018/2019 ainsi que, d'autre part, plusieurs renseignements susceptibles d'être ultérieurement utilisés pour traiter ces voeux aux fins de proposer une affectation aux candidats. Il ressort également des pièces du dossier que les données dont la collecte était autorisée par cet arrêté avaient vocation à être recueillies par le biais d'un téléservice hébergé sur un site internet dénommé " parcoursup.fr ", ce dernier comportant également divers contenus informatifs destinés aux candidats à une préinscription dans une formation initiale de premier cycle de l'enseignement supérieur. Enfin, l'ensemble de ce dispositif de préinscription a fait l'objet d'une " charte pour une mise en oeuvre partagée des attendus des formations ", signée le 6 décembre 2017 entre les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale et plusieurs représentants des universités, de grandes écoles et d'écoles d'ingénieurs, laquelle comporte une annexe fixant des " attendus " nationaux pour plusieurs mentions de licence.
2. Il ressort également des pièces du dossier que, lorsqu'ont été signés la charte et l'arrêté mentionnés ci-dessus et qu'ont été mis en ligne les contenus du site internet " parcoursup.fr ", un projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants, qui comportait de profondes modifications de la procédure d'inscription dans l'enseignement supérieur était, depuis le 22 novembre 2017, en cours de discussion devant le Parlement, et avait déjà fait l'objet d'une discussion publique à l'Assemblée nationale, aux fins d'être rendu applicable aux inscriptions universitaires pour l'année 2018-2019. Les modalités d'inscription jusque-là mises en oeuvre, dites " Admission Post-Bac ", avaient d'ailleurs été annulées par une décision du 22 décembre 2017 du Conseil d'Etat statuant au contentieux et sa plateforme d'inscription avait été fermée.
3. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) au Sénat et autres, d'une part, et Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes (SESL) et l'Union nationale lycéenne-syndicale et démocratique (UNL-SD), d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté du 19 janvier 2018 par lequel la ministre chargée de l'enseignement supérieur a autorisé la mise en oeuvre du traitement automatisé de données dénommé " Parcoursup ".
4. SESL et l'UNL-SD, dont la requête est, contrairement à ce que soutient la ministre chargée de l'enseignement supérieur, présentée par des personnes ayant qualité pour représenter ces organisations, demandent, en outre, l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la charte du 6 décembre 2017 mentionnée au point 1 et, d'autre part, de certains extraits du site internet " parcoursup.fr " reproduits à l'appui de leur requête.
Sur l'arrêté du 19 janvier 2018 :
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés :
5. Aux termes de l'article 6 de cette loi : " Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes : / 1° Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ; / 2° Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités (...) / 3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs ; / (...) 5° Elles sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ".
S'agissant des finalités du traitement autorisé :
6. En premier lieu, si l'article 1er de l'arrêté attaqué ne mentionne, pour le traitement automatisé qu'il autorise, que la finalité de recueil des voeux des futurs étudiants, il ressort de l'ensemble de ses dispositions que cet arrêté fixe également au traitement qu'il autorise, ainsi qu'il a été dit au point 1, la finalité de recueillir plusieurs renseignements destinées à rendre possible le traitement ultérieur de ces mêmes voeux. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté méconnaît, faute que les finalités du traitement soient suffisamment déterminées ou explicites, les dispositions du 2° de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 citées ci-dessus.
7. En deuxième lieu, eu égard au nombre de candidats à l'inscription en première année d'enseignement supérieur et à la nécessité dans laquelle se trouvait l'administration, dans le contexte rappelé au point 2, d'être en capacité d'analyser sans délai, dès l'entrée en vigueur du nouveau dispositif législatif, les voeux émis pour la rentrée universitaire de l'automne 2018, la finalité de recueil, non seulement des voeux eux-mêmes mais aussi de renseignements destinés à l'analyse de ces voeux, doit être regardée comme légitime au sens des dispositions du 2° de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, alors même que les dispositions législatives et réglementaires régissant l'emploi des données ainsi collectées n'étaient, comme il a été dit, pas encore entrées en vigueur à la date de l'arrêté attaqué.
8. Enfin, le groupe CRCE et autres ne peut utilement soutenir que le traitement automatisé en question, qui n'a pour objet que la collecte d'informations à l'exclusion de toute utilisation de ces mêmes informations, aurait pour but de " sélectionner les lycéens " et serait, pour ce motif, entaché d'illégalité.
S'agissant de la nature des données collectées :
9. Les requérants soutiennent que l'arrêté litigieux est illégal en ce que le traitement qu'il autorise prévoit la collecte de renseignements qui excèdent ce qui est nécessaire à l'appréciation des trois critères de classement des candidatures limitativement prévus par les dispositions de l'article L. 612-3 du code de l'éducation, dans la rédaction qui était encore applicable à la date de signature de cet arrêté, à savoir le domicile du candidat, les préférences exprimées par lui et sa situation de famille.
10. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu des modifications qui étaient apportées aux critères de l'article L. 612-3 du code de l'éducation par le projet de loi qui était en cours d'examen dans les conditions décrites au point 2, d'autres données que celles résultant de cet article étaient alors susceptibles de revêtir, pour le nouveau processus d'orientation qui devait être adopté, un caractère adéquat et pertinent, notamment celles rassemblées dans la fiche " Avenir ", le curriculum vitae ou les informations relevant du dispositif dit " meilleur bachelier ".
11. D'autre part, il résulte des termes mêmes de l'article 4 de l'arrêté attaqué que les données ainsi recueillies par le traitement litigieux ne doivent être conservées que jusqu'au 2 avril 2018, date à laquelle leur suppression est prévue à moins que leur utilisation dans le cadre de la procédure nationale de préinscription soit expressément autorisée par la législation et la réglementation en vigueur à cette date.
12. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les renseignements dont la collecte est prévue par le traitement autorisé par l'arrêté qu'ils attaquent méconnaissent les dispositions du 3° de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, au motif qu'elles ne seraient pas pertinentes ou adéquates au regard de ses finalités.
S'agissant de la conservation des données collectées :
13. Comme il a été dit au point 11, l'article 4 de l'arrêté attaqué n'autorise la conservation des données que jusqu'au 2 avril 2018 à moins que leur utilisation dans le cadre de la procédure nationale de préinscription soit expressément autorisée par la législation et la réglementation en vigueur à cette date. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu du calendrier alors prévisible d'entrée en vigueur du nouveau dispositif législatif et réglementaire d'orientation dans l'enseignement supérieur, cette durée de conservation excède ce qui est nécessaire aux finalités du traitement qu'il autorise.
14. Par ailleurs, si ce même article 4 évoque, comme il a également été dit, la possibilité d'une conservation des données collectées au-delà de cette date, les requérants ne sauraient utilement soutenir que ces dispositions méconnaissent les dispositions du 5° de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, dès lors qu'il ressort de leurs termes mêmes, ainsi qu'il vient d'être dit, qu'une telle prolongation est subordonnée à l'intervention d'une nouvelle règlementation.
En ce qui concerne les autres moyens :
15. Premièrement, les requérants ne sauraient utilement invoquer les dispositions du règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, qui n'est, ainsi qu'en dispose son article 99, applicable qu'à partir du 25 mai 2018.
16. Deuxièmement, le traitement autorisé par l'arrêté attaqué ayant, ainsi qu'il a déjà été dit, pour seul objet la collecte de voeux et de renseignements et non le traitement de ces données, les requérants ne sauraient utilement soutenir qu'il méconnaît l'article L. 612-3 du code de l'éducation en ce qu'il permettrait l'affectation d'étudiants suivant des critères différents de ceux prévus par cet article dans sa version alors en vigueur.
17. Enfin, la circonstance que certains destinataires des données collectées par le traitement litigieux sont placés sous l'autorité hiérarchique du ministre chargé de l'éducation nationale ne fait pas obstacle à ce qu'un autre ministre, en l'espèce le ministre chargé de l'enseignement supérieur, leur en accorde l'accès, dès lors qu'il a qualité de responsable du traitement.
18. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 19 janvier 2018.
Sur la " charte " du 6 décembre 2017 :
19. Il ressort des termes mêmes de ce document, conjointement établi, ainsi qu'il a été dit, par les ministre chargés de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et les présidents des conférences des présidents d'université, des grandes écoles et des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, qu'il entend seulement favoriser ce que ses auteurs appellent une " compréhension partagée " des " attendus " des inscriptions en licence dans les différents types d'établissements.
20. Cette " charte " du 6 décembre 2017 ne saurait, par suite, être regardée, y compris en ses éléments annexés relatifs aux " attendus ", comme ayant le caractère d'un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. La ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation est ainsi fondée à soutenir que les conclusions par lesquelles SESL et l'UNL-SD demandent son annulation sont irrecevables.
Sur les contenus du site " parcoursup.fr " :
21. En premier lieu, la partie du site " parcousup.fr " qui permet la saisie individuelle des voeux et la constitution de leurs dossiers par les futurs étudiants, que les requérants désignent comme " la partie privée du site Parcoursup.fr ", vise seulement à permettre la collecte des données dont le recueil automatisé est autorisé par l'arrêté du 19 janvier 2018 mentionné ci-dessus, ainsi qu'à permettre aux établissements d'enseignement supérieur d'informer les candidats sur les connaissances et les compétences favorisant la réussite dans chaque filière. Par suite, SESL et l'UNL-SD ne sauraient utilement soutenir que ce contenu méconnaît, en raison des conséquences alléguées du traitement qui doit être fait de ces données, le principe d'égalité ou les dispositions de l'article L. 612-3 du code de l'éducation, dans sa rédaction alors en vigueur.
22. En revanche et en second lieu, il ressort des pièces du dossier que le site " parcoursup.fr " comportait également, dès son ouverture, différents contenus librement accessibles qui avaient pour objet d'indiquer à tout usager les règles applicables aux inscriptions dans l'enseignement supérieur et les modalités d'utilisation du service de saisie des voeux mentionné au point précédent. Cette partie du site rappelle ainsi, notamment, l'obligation de recourir au téléservice " Parcoursup " pour procéder à une préinscription dans une formation initiale du premier cycle de l'enseignement supérieur, le calendrier de cette procédure de préinscription pour l'année 2018-2019 et ses échéances impératives, les conditions de formulation et d'examen des voeux, ainsi que les règles qui gouvernent les suites qui leur sont données.
23. S'il incombait à la ministre chargée de l'enseignement supérieur, dans un souci de sécurité juridique, d'informer les candidats des modalités d'inscription dans l'enseignement supérieur susceptibles de leur être prochainement applicables après l'aboutissement de la discussion parlementaire mentionnée au point 2, les contenus qui viennent d'être cités se présentent, non comme de simples informations sur un futur dispositif en cours d'adoption, mais comme des instructions d'application immédiate, adressées aux usagers en vue qu'ils se conforment au nouveau dispositif qu'ils décrivent. Par suite, ils ne pouvaient être légalement publiés qu'après l'entrée en vigueur de la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants qui instaure ce nouveau dispositif. S'agissant en particulier des règles relatives au calendrier de préinscription et à ses échéances impératives, la ministre chargée de l'enseignement supérieur ne pouvait compétemment les fixer qu'à compter de l'entrée en vigueur des dispositions du nouvel article D. 612-1-2 du code de l'éducation qui lui confère cette compétence, lequel a été introduit dans ce code par l'article 2 du décret du 9 mars 2018 relatif à la procédure nationale de préinscription pour l'accès aux formations initiales du premier cycle de l'enseignement supérieur et modifiant le code de l'éducation, soit à compter du 11 mars 2018.
24. Il résulte de ce qui précède que SESL et l'UNL-SD ne sont fondés à demander l'annulation des contenus mentionnés au point 22 qu'en tant qu'ils n'ont pas été accompagnés, avant le 11 mars 2018, de mentions sur le site " parcoursup.fr " en soulignant le caractère non définitif. En revanche, il résulte de ce qui a été dit aux points 21 à 23 que ces requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation dans cette mesure de ces mêmes contenus en tant qu'ils ont figuré sur la partie publique de ce site après le 11 mars 2018, ni des autres contenus qu'ils désignent comme " la partie privée du site Parcoursup.fr ".
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
26. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demandent SESL et l'UNL-SD au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demandent, au même titre, le groupe CRCE et autres.
D E C I D E :
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Article 1er : Les mentions du site internet " Parcoursup.fr ", autres que celles qui figurent dans sa " partie privée ", attaquées par Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes et l'Union nationale lycéenne - syndicale et démocratique sont annulées en tant seulement qu'elles n'ont pas été accompagnés, avant le 11 mars 2018, de mentions en soulignant le caractère non définitif.
Article 2 : Le surplus de la requête de Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes (SESL) et de l'Union nationale lycéenne - syndicale et démocratique (UNL-SD) est rejeté.
Article 3 : La requête du groupe CRCE et autres est rejetée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes, à l'Union nationale lycéenne - syndicale et démocratique, au groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste au Sénat, premier requérant dénommé pour la requête enregistrée sous le n° 417906, et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.