Par un pourvoi enregistré le 30 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Maquère Arras a été assujettie à un supplément de cotisation foncière des entreprises au titre de l'année 2010 dans les rôles de la commune d'Arras (Pas-de-Calais) à raison de locaux mis à sa disposition par la société Babou, en vertu d'une convention de gérance-mandat, aux fins d'exploiter un fonds de commerce. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Lille du 19 décembre 2017 prononçant la décharge de cette imposition.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ". L'article L. 80 B du même livre dispose que : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; / (...) ". Peuvent se prévaloir de cette garantie, pour faire échec à l'application de la loi fiscale, les contribuables qui se trouvent dans la situation de fait sur laquelle l'appréciation invoquée a été portée ainsi que les contribuables qui, à la date de la prise de position de l'administration, ont été partie à l'acte ou participé à l'opération qui a donné naissance à cette situation sans que les autres contribuables puissent utilement invoquer une rupture à leur détriment du principe d'égalité.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a rejeté, par décision du 29 septembre 2009, une réclamation contentieuse de la société Babou tendant à la décharge de la taxe professionnelle à laquelle elle avait été assujettie au titre de l'année 2008 au motif que : " (...) selon les éléments communiqués et exposés ci-avant, la SAS Babou doit être considérée comme disposant des biens qu'elle confie à ses mandataires, objets des conventions de gérance-mandat, pour les besoins de son activité professionnelle au sens de l'article 1467 du CGI ". Après avoir relevé que la société Maquère Arras était liée à la société Babou par une convention de gérance-mandat conclue le 1er novembre 2008 et renouvelée dans des termes identiques les 1er novembre 2009 et 2010, en exécution de laquelle les biens nécessaires à son exploitation lui avaient été confiés, la cour en a déduit que la société Maquère Arras se trouvait, à la date de la prise de position formelle de l'administration sur l'application de l'article 1467 du code général des impôts résultant de cette décision du 29 septembre 2009, dans la même situation de fait que celle sur laquelle cette appréciation avait été portée, alors même qu'elle n'y a pas été nommément désignée. Elle a jugé que la société Maquère Arras était, par suite, fondée à se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de cette prise de position pour soutenir qu'au cours de l'année d'imposition en litige, c'était la société Babou et non elle-même qui devait être regardée comme disposant pour les besoins de son exploitation, au sens et pour l'application de l'article 1467 du code général des impôts, des biens mis à sa disposition par son mandant et à demander en conséquence la décharge de l'imposition qu'elle contestait. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la prise de position de l'administration portait sur les conditions d'assujettissement à la taxe professionnelle due au titre de l'année 2008, lesquelles s'apprécient à la date du fait générateur de cette imposition, c'est-à-dire le 1er janvier 2008, et, d'autre part, que la convention de gérance-mandat avait été conclue par la société Maquère Arras avec la société Babou postérieurement à cette date, de sorte que la prise de position formelle de l'administration, qui ne concernait que la société Babou, à laquelle le courrier du 29 septembre 2009 était adressé, ainsi, le cas échéant, que les entreprises titulaires au 1er janvier 2008 d'un contrat de gérance-mandat pour l'exploitation d'un magasin de cette société mentionné dans ce courrier, ne pouvait être regardée comme visant également la société Maquère Arras, la cour a commis une erreur de droit.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. D'une part, aux termes de l'article 2 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, repris à l'article 1447-0 du code général des impôts : " Il est institué une contribution économique territoriale composée d'une cotisation foncière des entreprises et d'une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ". Aux termes de l'article 1640 B du même code, issu de la même loi, dans sa version applicable à l'année 2010 : " I. Pour le calcul des impositions à la cotisation foncière des entreprises au titre de l'année 2010, les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre votent un taux relais, dans les conditions et limites prévues pour le taux de la taxe professionnelle par le présent code dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2009, à l'exception du 4 du I de l'article 1636 B sexies. / Les impositions à la cotisation foncière des entreprises établies au titre de l'année 2010 sont perçues au profit du budget général de l'Etat. Elles sont calculées en faisant application des délibérations relatives aux exonérations et abattements prévues au I du 5. 3. 2 de l'article 2 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 et en appliquant les taux communaux et intercommunaux de référence définis aux 1 à 6 du I de l'article 1640 C. / L'Etat perçoit 3% du montant des impositions de cotisation foncière des entreprises établies au titre de l'année 2010. Ces sommes sont ajoutées au montant de ces impositions. / II. 1. a) Par dérogation aux dispositions des articles L. 2331-3, L. 3332-1, L. 4331-2, L. 5214-23, L. 5215-32, L. 5216-8 et L. 5334-4 du code général des collectivités territoriales et des articles 1379, 1586, 1599 bis, 1609 bis, 1609 quinquies C, 1609 nonies B et 1609 nonies C du présent code, les collectivités territoriales, à l'exception de la région Ile-de-France, et les établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre reçoivent au titre de l'année 2010, en lieu et place du produit de la taxe professionnelle, une compensation relais. / Le montant de cette compensation relais est, pour chaque collectivité ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, égal au plus élevé des deux montants suivants : - le produit de la taxe professionnelle qui résulterait pour cette collectivité territoriale ou cet établissement public de l'application, au titre de l'année 2010, des dispositions relatives à cette taxe dans leur version en vigueur au 31 décembre 2009. Toutefois, pour le calcul de ce produit, d'une part, il est fait application des délibérations applicables en 2009 relatives aux bases de taxe professionnelle, d'autre part, le taux retenu est le taux de taxe professionnelle de la collectivité territoriale ou de l'établissement public pour les impositions au titre de l'année 2009 dans la limite du taux voté pour les impositions au titre de l'année 2008 majoré de 1%; / - le produit de la taxe professionnelle de la collectivité territoriale ou de l'établissement public au titre de l'année 2009 ".
7. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 56, lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts ou de l'article L. 2333-55-2 du code général des collectivités territoriales, les rectifications correspondantes sont effectuées suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 A ". Aux termes du 1° de l'article L. 56 du même livre, la procédure de rectification contradictoire n'est pas applicable " (...) en matière d'impositions directes perçues au profit des collectivités locales (...) ".
8. Il résulte des dispositions citées au point 6 que la cotisation foncière des entreprises a été instaurée à compter du 1er janvier 2010 en remplacement de la taxe professionnelle par l'article 2 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 dont les dispositions sont insérées au chapitre I, " Impôts directs et taxes assimilées ", du titre I, " Impositions communales ", de la deuxième partie du code général des impôts, consacrée aux " Impositions perçues au profit des collectivités locales et de divers organismes ". Cette cotisation constitue l'une des deux composantes de la contribution économique territoriale. Si, pour l'année de sa mise en place, il a été prévu qu'elle serait affectée au budget général de l'Etat, cette affectation constitue le premier volet d'un dispositif dont le second volet consiste en la redistribution du produit de la cotisation foncière des entreprises aux collectivités territoriales et leurs groupements, afin de maintenir au même niveau les ressources qu'ils tiraient l'année précédente de la perception de la taxe professionnelle, au moyen d'une " compensation relais " calculée sur la base du produit de la taxe professionnelle perçu en 2009 ou du produit qui résulterait, au titre de l'année 2010, de l'application des dispositions en vigueur au 31 décembre 2009, en retenant le taux de 2009, dans la limite du taux appliqué en 2008 majoré de 1%. Il suit de là que les dispositions de l'article 1640 B du code général des impôts ne sauraient être interprétées comme ayant donné à cette imposition, du seul fait de l'affectation du produit de la cotisation foncière des entreprises au titre de l'année 2010 au budget de l'Etat, le caractère d'une imposition d'Etat à laquelle la procédure contradictoire serait applicable, en vertu des dispositions des articles L. 55 et L. 56 du livre des procédures fiscales citées au point 7.
9. Par suite, le supplément de cotisation foncière des entreprises mis à la charge de la société Maquère Arras au titre de l'année 2010 ne saurait être regardé comme ayant été établi à l'issue d'une procédure irrégulière au seul motif que n'aurait pas été observée la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille s'est fondé sur l'irrégularité de la procédure d'établissement du supplément de cotisation foncière des entreprises en litige pour en accorder la décharge à la contribuable.
11. Il résulte, par ailleurs, de ce qui a été dit au point 3 que l'autre moyen soulevé par la société Maquère Arras au soutien de sa demande, tiré de l'invocation, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de la prise de position contenue dans la décision du 29 septembre 2009 par laquelle l'administration fiscale a rejeté la réclamation formée par la société Babou contre la taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de 2008, n'est pas fondé.
12. Le ministre est par suite fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Lille et à ce que les suppléments de cotisation foncière des entreprises auxquels la société Maquère Arras a été assujettie au titre de 2010 soient remis à sa charge.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise sur leur fondement à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans cette instance
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 4 décembre 2019 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.
Article 2 : Les articles 1er et 2 du jugement du 19 décembre 2017 du tribunal administratif de Lille sont annulés.
Article 3 : Les suppléments de contribution foncière des entreprises auxquels la société Maquère Arras a été assujettie au titre de l'année 2010 sont remis à sa charge.
Article 4 : Les conclusions de la société Maquère Arras tendant à la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société à responsabilité limitée Maquère Arras.