Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie en ce que, d'une part, l'affectation d'une nouvelle magistrate dans le ressort du tribunal de première instance de Papeete a pour effet d'écarter pour un long moment sa candidature, dès lors que la prise de fonction de la magistrate aura lieu à compter de la prochaine rentrée judiciaire en septembre, d'autre part, sa situation familiale est rendue particulièrement difficile, notamment en ce que cette décision implique qu'il continue de vivre séparé de sa famille et, enfin, son état de santé nécessite un suivi médical dont il ne peut bénéficier en raison des conditions de prises en charge à Mayotte ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- le décret contesté méconnaît les dispositions de l'article 29 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature modifiée et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit à une vie familiale normale, dès lors sa situation familiale n'a pas été prise en considération ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que son état de santé justifiait sa mutation ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors notamment que ses aptitudes et expériences correspondent particulièrement aux qualifications requises pour sa candidature, par rapport à celles de la magistrate nommée, et que la nomination de celle-ci ne peut être justifiée par des impératifs liés au bon fonctionnement du service public de la justice ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il applique une doctrine du Conseil supérieur de la magistrature prévoyant l'accomplissement d'un délai de deux ans d'exercice des fonctions, alors qu'en premier lieu, cette règle ne résulte ni de l'ordonnance du 22 décembre 1958, ni du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 pris pour l'application de l'ordonnance du 22 décembre 1958, qu'en deuxième lieu, elle ne saurait faire obstacle à l'application des dispositions de l'article 29 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, qu'en troisième lieu, elle ne saurait prévaloir sur le principe d'égalité entre magistrats et, en particulier, entre les magistrats nommés juges des contentieux de la protection n'y étant pas soumis et les magistrats n'ayant pas souhaité être nommés à ce poste, et qu'en dernier lieu, l'utilisation d'instruments de droit souple ne peut se traduire par une application automatique de ses principes qui l'assimilerait illégalement à un acte réglementaire, sans examen de la situation personnelle des magistrats.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 1er septembre 2020, à 9 heures 30 :
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- le représentant du garde des sceaux, ministre de la justice ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 4 septembre 2020 à 17 heures.
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 2 et 4 septembre 2020, produits par M. B... ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 3 septembre 2020, produit par le garde de sceaux, ministre de la justice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-1 du même code : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. M. B..., magistrat en poste à Mamoudzou, demande la suspension du décret du Président de la République du 14 août 2020 portant nomination (magistrature) en tant qu'il nomme au poste de vice-présidente du tribunal de première instance de Papeete Mme D..., magistrate du premier grade placée en position de service détaché.
3. Aux termes de l'article 29 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service et les particularités de l'organisation judiciaire, les nominations des magistrats tiennent compte de leur situation de famille ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que M. B..., après une première affectation de magistrat en métropole, a exercé ses fonctions pendant 18 ans dans le ressort de la cour d'appel de Nouméa, au sein de la section détachée de Koné. Il a été nommé à compter du 1er septembre 2017 vice-président du tribunal de grande instance de Mamoudzou, chargé du tribunal d'instance, avant d'être nommé à compter du 1er janvier 2020, à la suite de sa demande de décharge des fonctions spécialisées de juge des contentieux de la protection, vice-président du tribunal judiciaire de Mamoudzou.
5. En premier lieu, M. B... soutient que le refus de le nommer au tribunal de première instance de Papeete, nomination qui lui aurait permis de se rapprocher de sa famille, demeurée en Nouvelle-Calédonie, et de bénéficier d'une meilleure prise en charge médicale, est intervenu sans qu'il soit tenu compte de sa situation de famille ni de son état de santé, tandis que la règle dont il lui a été fait application, énoncée dans une note du 22 novembre 2017, imposant une durée d'exercice minimale de deux ans dans les fonctions auxquelles un magistrat est nommé, ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire et que le calcul de cette durée à compter du 1er janvier 2020, date de sa décharge de ses fonctions spécialisées, serait contraire au principe d'égalité.
6. Il ne résulte cependant pas de l'instruction, eu égard notamment au courrier du Conseil supérieur de la magistrature du 21 mars 2019 signalant, sur la base de ses observations, sa situation à la garde des sceaux, ministre de la justice et au courrier du 9 juillet 2020 par lequel M. B... a fait part de ses difficultés personnelles au Conseil supérieur de la magistrature et au garde des sceaux, ministre de la justice, qu'il n'ait pas été tenu compte de sa situation familiale ni de son état de santé. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la décision contestée ait été prise par application automatique d'une règle tenant à la durée d'exercice des fonctions. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions, citées au point 3 ci-dessus, de l'article 29 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'obligation d'examen de la situation personnelle de l'intéressé ne sont pas de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité du décret attaqué. Il en va de même des moyens tirés de l'illégalité de la règle de durée minimale des fonctions et du décompte du délai de deux ans à compter de sa nomination, le 1er janvier 2020, dans les fonctions de vice-président du tribunal judiciaire de Mamoudzou.
7. En second lieu, M. B..., pour soutenir que le décret attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, invoque la gravité de l'atteinte à son droit à mener une vie familiale normale eu égard à la distance qui sépare son poste actuel de sa famille, domiciliée en Nouvelle Calédonie, ainsi que son expérience et ses qualifications particulières pour le poste en cause, par comparaison avec celle de la magistrate qui a été nommée par le décret attaqué.
8. Il appartient au garde des sceaux, lorsqu'il propose au Conseil supérieur de la magistrature la candidature d'un magistrat parmi celles qu'il a reçues sur un poste déterminé, et au Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu'il porte son appréciation sur la proposition de nomination, de tenir compte de l'expérience et des aptitudes des différents candidats, des caractéristiques du poste à pourvoir, des exigences déontologiques et des besoins de l'institution judiciaire ainsi que, le cas échéant, de la situation de famille des différents candidats. Il ne résulte pas de l'instruction, eu égard notamment au déroulement de la carrière des deux magistrats concernés et aux appréciations sur leur manière de servir qui figurent au dossier, que le choix de Mme C..., qui faisait également valoir des motifs familiaux pour demander une affectation en Polynésie française où réside sa famille, aurait été manifestement erroné. Ainsi, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entaché le décret attaqué n'est pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.
9. Il résulte de ce qui précède qu'aucun des moyens invoqués par M. B... ne paraît, en l'état de l'instruction, propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, sa demande de suspension ne peut être accueillie.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.