Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2016, M.B..., représenté par Me Hugon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er décembre 2015 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 mai 2014 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Dordogne, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer un titre de séjour, à défaut de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 513 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau,
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., de nationalité mongole, a quitté la Mongolie en 2009 pour se rendre en Espagne où il a vécu, selon ses dires, jusqu'en décembre 2011. Un procès-verbal d'audition établit son entrée en France à tout le moins le 15 mars 2012 pour y rejoindre son ex-femme, qui bénéficiait du statut de réfugiée depuis l'année 2009, et leur fille née en 2001. Le 5 avril suivant, il a présenté une demande de titre de séjour, que le préfet de la Dordogne a rejetée le 13 septembre suivant en assortissant ce refus d'une mesure d'éloignement à laquelle n'a pas déféré M.B.... Celui-ci a présenté, le 8 novembre 2013, en se prévalant de son remariage, une nouvelle demande, également rejetée le 9 mai 2014 par le préfet de la Dordogne. M. B... relève appel du jugement du 1er décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce second refus de séjour.
2. Une seconde décision dont l'objet est le même que la première revêt un caractère confirmatif, dès lors que ne s'est produit entre temps aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à emporter des conséquences sur l'appréciation des droits ou prétentions en litige. Sans opposer expressément une fin de non-recevoir, le préfet de la Dordogne fait valoir qu'en l'absence d'élément nouveau produit par M.B..., le rejet de sa nouvelle demande, contesté devant la cour, est purement confirmatif du refus de séjour opposé par l'arrêté du 13 septembre 2012, devenu définitif. Toutefois, tant le remariage des époux célébré le 2 novembre 2012 à Périgueux que la stabilité de leur communauté de vie depuis la première demande de titre de séjour n'étaient pas sans conséquence sur l'appréciation du droit au séjour de l'intéressé puisqu'elles permettaient en particulier de s'assurer de la réalité de la vie commune, dont la " sincérité " avait été mise en doute dans le précédent arrêté. A la supposer invoquée, la fin de non-recevoir sur ce point doit donc être écartée.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser un titre de séjour à un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à sa situation. Le préfet peut, toutefois, tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
4. L'épouse de M.B..., de même nationalité, a quitté la Mongolie en raison des représailles auxquelles elle était exposée de la part des gardiens de la prison où elle a été incarcérée à compter du 1er juillet 2008 en tant qu'opposante politique, elle s'est vu reconnaître le statut de réfugiée le 23 juin 2009. L'impossibilité de reconstitution de la cellule familiale en Mongolie n'est d'ailleurs pas contestée. Alors divorcés depuis l'année 2008, M. B...et son ex-épouse ont repris contact par téléphone et par internet, puis se sont retrouvés en France à tout le moins à compter du 15 mars 2012, ce qui est attesté par la présence de son ex-épouse à ses cotés pour lui servir d'interprète lors de son audition du 15 mars 2012 par les services de gendarmerie. A la date du 9 mai 2014 à laquelle le préfet a pris sa décision, la communauté de vie de M. B...avec son épouse et sa fille durait depuis plus de dix-huit mois. Dès le 16 décembre 2012, Mme B... avait d'ailleurs établi une attestation en ce sens, certifié vivre sous le même toit que son conjoint depuis le 15 mars 2012 et demandé à l'administration de cesser d'" instrumentaliser une crise de couple passagère ". Le contrat de bail conclu le 10 septembre 2014 et les déclarations de revenus aux deux noms confirment la réalité et la stabilité de la vie familiale de l'intéressé, qui fait valoir en outre, qu'il a pu renouer des liens avec sa fille adolescente, alors âgée de treize ans, et participer à son éducation. Aucun élément postérieur à la décision contestée, dont le juge de l'excès de pouvoir ne s'interdit pas de connaître, ne révèle l'absence de communauté de vie à la date à laquelle il a été statué sur la demande de titre de séjour. En appel, le préfet se borne à soutenir que la séparation intervenue en 2008 est imputable à M. B...et à lui opposer la nécessité de respecter la procédure du regroupement familial. Ce faisant, il ne conteste sérieusement ni la réalité des liens familiaux, confirmée par le remariage célébré en 2012, neuf mois après les retrouvailles, ni le caractère effectif, la durée et la stabilité de la communauté de vie. S'il fait valoir que sa demande de titre de séjour formée en Espagne le 8 juillet 2014 révèle la volonté de l'intéressé de ne pas établir sa résidence habituelle en France et, partant, de " détourner la réglementation ", cet élément ne révèle à lui seul ni l'absence de communauté de vie entre époux, ni, plus généralement, de fraude. Si le préfet fait valoir que la séparation des époux B...était imputable à des violences conjugales, le requérant allègue par un récit circonstancié, non sérieusement contredit, avoir été informé par les codétenues de son épouse, de ce qu'il avait été manipulé par les autorités mongoles, qui ont emprisonné son épouse, lui ont fait subir des sévices et ont porté gravement atteinte à son honneur et sa réputation, ce qui a inévitablement créé de graves tensions conjugales. Il ajoute qu'à ces épreuves sont imputables son alcoolisme et son comportement violent. Si le préfet se prévaut du caractère temporaire de la séparation impliquée par la régularisation de la situation de M.B..., le requérant, réplique sans être davantage sérieusement contesté sur ce point, d'une part, qu'en l'espèce, il n'est pas certain que sa demande de visa de long séjour présentée en Mongolie puisse rapidement trouver une issue favorable. Dans les circonstances de l'affaire, compte tenu en outre des efforts d'intégration de M. B..., qui a suivi des cours de français et activement recherché un emploi, qu'il a d'ailleurs trouvé en septembre 2014, en dépit de la courte durée et des conditions d'une partie de son séjour en France et alors même qu'il n'était pas dépourvu de toute attache en Mongolie et qu'il pouvait bénéficier, en y retournant, du regroupement familial sollicité par son épouse, le refus de séjour a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie familiale garanti notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il en résulte, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de la décision préfectorale du 9 mai 2014. Cette annulation implique nécessairement, eu égard au motif qui en constitue le soutien, la délivrance à M. B...d'une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale". Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer ce titre dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
6. M. B...ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hugon de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés pour l'instance et non compris dans les dépens, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE
Article 1er : Le jugement du 1er décembre 2015 du tribunal administratif de Bordeaux et la décision du 9 mai 2014 du préfet de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B...un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Hugon, avocate de M. B...la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B...est rejeté.
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N° 16BX01068