Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 février 2018, M. B...A..., représenté par la SCP Breillat - Dieumegard - Masson, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 31 janvier 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 23 janvier 2018 par lesquels le préfet des Deux-Sèvres a, d'une part, décidé son transfert auprès des autorités danoises, d'autre part, l'a assigné à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet des Deux-Sèvres, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé dans le délai de quarante-huit heures à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991, subsidiairement, à lui verser en cas de refus du bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- les deux arrêtés sont entachés d'un vice d'incompétence ;
S'agissant de l'arrêté portant transfert aux autorités danoises :
- l'arrêté méconnaît l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- l'entretien individuel s'est déroulé tardivement au regard des prescriptions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013;
- il n'est pas établi que la personne ayant conduit cet entretien préalable et dont l'identité n'est pas connue était qualifiée ;
- il n'est pas établi que l'entretien se soit déroulé dans son intégralité en anglais ou pachto, seules langues qu'il comprend ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- il n'a pas été procédé à l'examen de sa situation personnelle ;
- le préfet, en n'usant pas de la faculté ouverte par l'article 17 du règlement a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision portant assignation à résidence :
- elle est insuffisamment motivée et il n'a pas été procédé à l'examen de sa situation personnelle ;
- elle est privée de base légale.
M.A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 22 mars 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil
du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Didier Salvi a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant afghan né le 1er février 1997, est entré en France, selon ses déclarations, le 11 août 2017. Il a présenté une demande d'asile le 24 août 2017 auprès des services de la préfecture de police de Paris. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, le relevé de ses empreintes digitales a révélé l'existence d'une demande d'asile antérieure, déposée le 5 octobre 2015 auprès des autorités danoises. Saisies le 31 août 2017, celles-ci ont accepté la demande de reprise en charge émanant des autorités françaises le 7 septembre 2017. Par deux arrêtés du 23 janvier 2018, la préfète des Deux-Sèvres a décidé de le transférer aux autorités danoises et de l'assigner à résidence. M. A...relève appel du jugement du 31 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur la légalité de l'arrêté portant transfert aux autorités danoises :
2. En premier lieu, l'appelant se borne à reprendre en appel les moyens tirés du vice d'incompétence, du défaut de motivation et de l'absence d'examen particulier de sa situation sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux. Dans ces conditions, il y a lieu, par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge, d'écarter ces moyens.
3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'État responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément. / L'étranger est tenu de coopérer avec l'autorité administrative compétente en vue d'établir son identité, sa ou ses nationalités, sa situation familiale, son parcours depuis son pays d'origine ainsi que, le cas échéant, ses demandes d'asile antérieures. Il présente tous documents d'identité ou de voyage dont il dispose. / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'État. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 211-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux 5° et 6° de l'article L. 743-2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention. " En vertu de l'article L. 742-3 du même code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 20 du règlement (UE) n°604/2013 : " 1. Le processus de détermination de l'État membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État
membre. (...) ". Aux termes de l'article 4 du même règlement : " Droit à l'information/ 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20,
paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment:/ a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ;/ d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ;/ e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère
personnel./ 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3./ Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5./ 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux
États membres (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit, ou en cas d'analphabétisme, verbalement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus à l'article 4.1 de ce règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a été initialement reçu en entretien individuel à la préfecture de police de Paris le 24 août 2017. Cet entretien individuel s'est tenu en langue dari que l'intéressé a reconnu comprendre avant la demande de reprise en charge effectuée le 31 août 2017 auprès des autorités danoises et, a fortiori, avant l'arrêté en litige portant transfert à ces mêmes autorités. M. A...a reconnu avoir reçu, dans une langue qu'il a déclaré comprendre, un exemplaire des brochures d'information générale sur " la procédure Dublin " et sur " les empreintes digitales et Eurodac ", ces documents constituant la " brochure commune " prévue par les dispositions précitées de 1'article 4 du règlement du 26 juin 2013 et il a pu présenter tous les éléments utiles à l'appui de sa demande d'asile. Par ailleurs, l'intéressé ne peut utilement se prévaloir de ce que l'enregistrement de sa demande d'asile n'a pas été effectué dans un délai maximum de dix jours suivant sa demande présentée auprès de la préfecture de police de Paris, ni même du défaut de remise de l'attestation de demande d'asile dès lors que cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la procédure de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile. Au demeurant, cette circonstance n'a pu, dans les circonstances de l'espèce, fait perdre à l'intéressé une garantie alors notamment que les autorités danoises ont accepté de le reprendre en charge sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui prévoit la reprise en charge en cas de demande d'asile rejetée.
7. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. "
8. Aucune disposition légale n'impose la mention de l'identité de l'agent qui a conduit cet entretien. L'appelant n'apporte aucun élément susceptible d'établir que ledit agent de préfecture n'aurait pas été qualifié en vertu du droit national pour le conduire. Par ailleurs, la circonstance que M. A...a de nouveau bénéficié d'un second entretien individuel réalisé le 14 octobre 2017 au sein des services de la préfecture de la Vienne est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants. ".
10. La décision contestée a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé au Danemark et non dans son pays d'origine. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et alors même que le Danemark a accepté de reprendre en charge l'intéressé sur le fondement du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui prévoit la reprise en charge en cas de demande d'asile rejetée, que les autorités danoises n'évalueront pas d'office les risques réels et actuels de mauvais traitements qui naîtraient pour M. A...du seul fait de son éventuel retour en Afghanistan. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit être écarté.
Sur la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :
11. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 23 janvier 2018 portant transfert aux autorités danoises ne peut qu'être écarté.
12. L'appelant se borne à reprendre en appel les moyens tirés du vice d'incompétence, du défaut de motivation et de l'absence d'examen particulier de sa situation sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux. Dans ces conditions, il y a lieu, par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge, d'écarter ces moyens.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 31 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande dirigée contre les décisions du 23 janvier 2018 portant transfert aux autorités danoises et assignation à résidence. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2018 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 mai 2018
Le rapporteur,
Didier Salvi
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00621