Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2015, MmeA..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 16 juin 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai et sous la même astreinte et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 ;
- la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Riou,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant MmeA....
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., de nationalité nigériane, née en 1985, est entrée irrégulièrement en France le 8 août 2010 selon ses déclarations. A la suite du rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 31 mars 2011 confirmé par la Cour nationale du droit d'asile le 31 août 2012, le préfet de la Gironde a pris à son encontre le 27 septembre 2012 un arrêté portant refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français, dont la légalité a été confirmée par un jugement du 12 mars 2013 du tribunal administratif de Bordeaux devenu définitif. Le 8 octobre 2013, Mme A...a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 313-14 et L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Gironde a, par un arrêté du 23 décembre 2013, rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de deux ans. Mme A...relève appel du jugement du 16 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté son recours dirigé contre cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme A...soutient que le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les décisions de refus de séjour, d'obligation de quitter le territoire français et d'interdiction de retour contestées ont été prises en violation directe des stipulations de l'article 12 de la convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des êtes humains.
3. Les stipulations d'un traité ou d'un accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à l'appui d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l'application d'une loi ou d'un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu'elles contiennent, dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir. Sous réserve des cas où est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, une stipulation doit être reconnue d'effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
4. Le 1 de l'article 12 de ladite convention renvoie à des mesures complémentaires pour la définition des mesures d'assistance aux victimes de la traite des êtes humains et le 6 du même article renvoie aussi à des mesures complémentaires pour rendre effective la dispense de témoignage qu'il accorde à la victime souhaitant accéder à ces mesures d'assistance. Dans ces conditions, la stipulation invoquée est dépourvue d'effet direct, de sorte que sa méconnaissance ne peut être utilement invoquée pour contester la légalité des décisions contestées. Le moyen tiré de cette méconnaissance étant, par suite, inopérant, le tribunal administratif a pu ne pas y répondre sans entacher son jugement d'irrégularité.
Au fond :
5. En premier lieu, l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" peut être délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. (...) ".
6. Si Mme A...soutient que ces dispositions sont incompatibles avec les stipulations de l'article 12 de la convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des êtes humains, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que ces stipulations sont dépourvues d'effet direct, ainsi qu'il a été dit au point 4. Cette absence d'effet direct fait également obstacle, comme il a été dit, à l'invocation de ces stipulations directement à l'encontre des décisions contestées.
7. En deuxième lieu, la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relative à la prévention de la traite des êtres humains et à la lutte contre ce phénomène, ainsi qu'à la protection des victimes ne porte pas, comme le rappel son considérant 17, sur les conditions de séjour des victimes de la traite des êtres humains sur le territoire des États membres et ne peut, dès lors, être utilement invoquée dans le présent litige.
8. En troisième lieu, l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : 1° De la possibilité d'admission au séjour et du droit à l'exercice d'une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l'article L. 316-1 (...) / Le service de police ou de gendarmerie informe également l'étranger qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 316-2 du présent code, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au deuxième alinéa (...) ". Et selon l'article R. 316-2 du même code : " L'étranger à qui un service de police ou de gendarmerie fournit les informations mentionnées à l'article R. 316-1 et qui choisit de bénéficier du délai de réflexion de trente jours mentionné au cinquième alinéa du même article se voit délivrer un récépissé de même durée par le préfet ou, à Paris, par le préfet de police, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 311-4. Ce délai court à compter de la remise du récépissé. Pendant le délai de réflexion, aucune mesure d'éloignement ne peut être prise à l'encontre de l'étranger en application de l'article L. 511-1, ni exécutée ".
9. D'une part, ces dispositions ne peuvent utilement être invoquées qu'à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français contestée. D'autre part, les pièces du dossier ne font pas ressortir que cette mesure d'éloignement a été prise en méconnaissance du délai de réflexion de trente jours prévu par ces dispositions.
10. En quatrième lieu, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313 11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. (...) ".
11. Mme A...soutient qu'elle a été victime d'un réseau de traite des êtres humains qui a organisé son départ pour la France et l'a obligée à se prostituer et qu'elle encourt des risques de représailles en cas de retour au Nigéria. S'il ressort des pièces produites par l'appelante et notamment d'une attestation d'un membre d'une association spécialisée d'aide aux victimes de la prostitution du 23 octobre 2012 que Mme A...a bien été victime d'un réseau de prostitution d'origine nigériane, les éléments versés au dossier ne permettent pas de regarder comme établi le fait qu'elle était encore exposée, à la date à laquelle l'arrêté contesté a été pris, à des risques de représailles de la part des membres de ce réseau. Dès lors, la décision portant refus de titre de séjour n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. En cinquième lieu, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ", et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
13. MmeA..., dont la demande d'asile a d'ailleurs été rejetée par une décision du 31 mars 2011 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides confirmée le 31 août 2010 par la Cour nationale du droit d'asile, n'apporte pas d'éléments permettant de tenir pour établi qu'elle était personnellement exposée, à la date à laquelle l'arrêté litigieux a été pris, en cas de retour dans son pays d'origine, des risques de la nature de ceux prohibés par les stipulations et les dispositions précitées.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la requérante, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions présentées au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
16. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE
Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.
''
''
''
''
3
N° 15BX03791