Procédure devant la cour
I) Par une requête enregistrée le 30 août 2017 sous le n° 17LY03295, la commune de Lélex, représentée par la SELARL Philippe Petit et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 4 juillet 2017 ;
2°) de rejeter les déférés du préfet de l'Ain ;
3°) à titre subsidiaire de surseoir à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, dans l'attente du dépôt d'une demande de permis de construire modificatif ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- si le plan de zonage comportait une erreur matérielle, le bâtiment devant faire l'objet de la réhabilitation étant identifié comme un bâtiment agricole situé en zone A, l'intention des auteurs du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) était d'identifier ce bâtiment comme une construction à mettre en valeur ou à requalifier, au titre du 7° de l'article L. 123-1-5 du code de l'urbanisme ; dans ces conditions, le projet ne méconnaît pas les dispositions de l'article 2.N du règlement du PLUi ;
- les autres moyens soulevés par le préfet de l'Ain sont infondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 avril 2018, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le projet, qui ne porte pas sur un bâtiment de bâti traditionnel identifié au titre de l'article L. 123-1-5 du code de l'urbanisme, méconnaît les dispositions de l'article 2.N du règlement du PLUi ;
- le projet, qui prévoit une surélévation de la toiture, ne conserve pas le caractère du bâtiment existant, de sorte que les arrêtés des 18 mars 2014 et 5 novembre 2014 méconnaissent les dispositions des articles 2.N et 11.N du règlement du PLUi ;
- l'arrêté du 5 novembre 2014, délivré alors que le bâtiment devant être réhabilité a été détruit, remet en cause l'économie du projet initial, autorise la construction d'un nouveau bâtiment, sans qu'un permis de démolir ait été préalablement délivré et en méconnaissance des dispositions de l'article 2.N du règlement du PLUi ;
- l'arrêté du 5 novembre 2014 a été pris en méconnaissance de la règle de hauteur maximale fixée à l'article 10.N du règlement du PLUi.
II) Par une requête enregistrée le 4 septembre 2017 sous le n° 17LY03317, M. B... D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 4 juillet 2017 ;
2°) de rejeter les déférés du préfet de l'Ain ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- si le plan de zonage comportait une erreur matérielle, le bâtiment devant faire l'objet de la réhabilitation étant identifié comme un bâtiment agricole situé en zone A, l'intention des auteurs du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) était d'identifier ce bâtiment comme une construction à mettre en valeur ou à requalifier, au titre du 7° de l'article L. 123-1-5 du code de l'urbanisme ; dans ces conditions, le projet ne méconnaît pas les dispositions de l'article 2.N du règlement du PLUi ;
- les autres moyens soulevés par le préfet de l'Ain sont infondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 avril 2018, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Il reprend les moyens soulevés dans l'instance n° 17LY03295.
La clôture de l'instruction a été fixée au 28 septembre 2018 dans les deux instances, par une ordonnance du 29 août 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Besse, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Vaccaro-Planchet, rapporteur public,
- et les observations de Me E... pour la commune de Lélex, ainsi que celles de Me C... pour M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a déposé le 24 février 2014 une demande de permis de construire portant sur la transformation en habitation d'une construction ancienne appelée "martinet", implantée au bord de la rivière Valserine et conçue initialement pour abriter un marteau à bascule utilisant l'énergie hydraulique. Par arrêté du 18 mars 2014, le maire de Lélex a accordé le permis de construire sollicité. Par ordonnance du 7 octobre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, saisi par le préfet de l'Ain, a suspendu l'exécution de cet arrêté. Le 3 novembre 2014, M. D... a déposé une demande de permis modificatif portant sur l'aspect extérieur du bâtiment et sa surélévation, afin d'aménager un étage supplémentaire. Par arrêté du 5 novembre 2014, le maire de Lélex a délivré ce permis modificatif. Par jugement du 4 juillet 2017, le tribunal administratif de Lyon, saisi de deux déférés du préfet de l'Ain, a annulé ces deux arrêtés. La commune de Lélex et M. D... relèvent chacun appel de ce jugement.
2. Les requêtes de la commune de Lélex et de M. D... sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre et de statuer par le même arrêt.
Sur le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
3. Le règlement du PLUi du SIVOM de la Valserine, approuvé le 16 février 2012, applicable sur le territoire de la commune de Lélex crée au sein de la zone N, couvrant les espaces naturels et forestiers à protéger, un secteur Nh défini comme un " secteur strictement protégé pour des raisons écologiques et/ou de régulation du milieu hydraulique (zones humides) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 1.N de ce règlement : " Dans l'ensemble de la zone sont interdites toutes les occupations et les utilisations du sol qui ne figurent pas à l'article 2.N ci-après. ". Selon cet article 2.N relatif aux occupations et utilisations du sol admises soumises à conditions particulières : " (...) Pour les constructions identifiées au titre des articles L. 123-1, 7 et L. 145-3, 1 du code de l'urbanisme : / Toute construction traditionnelle et tout bâtiment d'exploitation agricole désaffecté d'intérêt architectural ou patrimonial peut être réaffecté à l'habitation ou à une activité touristique ou de loisirs de plein air (gîtes ruraux, fermes auberges, chambres d'hôtes, (...) ".
4. Aux termes des dispositions alors en vigueur de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme auxquelles le règlement cité au point précédent fait référence : " (...) Les plans locaux d'urbanisme comportent un règlement qui fixe, en cohérence avec le projet d'aménagement et de développement durable, les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols permettant d'atteindre les objectifs mentionnés à l'article L. 121-1, qui peuvent notamment comporter l'interdiction de construire, délimitent les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger et définissent, en fonction des circonstances locales, les règles concernant l'implantation des constructions. / A ce titre, ils peuvent : / (...) 7° Identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou écologique et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur protection. (...) ". Et aux termes de l'article L. 123-3-1 alors en vigueur du même code : " Dans les zones agricoles, le règlement peut désigner les bâtiments agricoles qui, en raison de leur intérêt architectural ou patrimonial, peuvent faire l'objet d'un changement de destination, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l'exploitation agricole. ".
5. Il ressort du plan de zonage du PLUi du SIVOM de la Valserine que le bâtiment devant faire l'objet d'un réaménagement est entouré d'un cercle orange correspondant, selon la légende annexée, à une construction traditionnelle située en zone agricole et identifiée au titre des dispositions précitées de l'article L. 123-3-1 du code de l'urbanisme. Cette identification est entachée d'une erreur matérielle, le terrain d'assiette du bâtiment, qui n'avait au demeurant pas un usage agricole mais abritait un ouvrage destiné à la transformation en énergie de la force hydraulique, étant situé en zone Nh. Il ressort suffisamment clairement des documents composant le PLUi, notamment de la carte du bâti existant annexé à celui-ci, qui a identifié l'ensemble des bâtiments ayant fait l'objet d'une protection au titre de l'une ou l'autre des dispositions précitées, parmi lesquels le martinet en litige, que l'intention des auteurs du PLUi était d'identifier ce bâtiment ancien comme une "construction traditionnelle identifiée au titre de l'article L. 123-1 7° du code de l'urbanisme" qui aurait dû être entouré d'un cercle rouge selon la légende du plan de zonage. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que, faute d'avoir été identifiée au titre des dispositions du 7° de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, ce bâtiment ne pouvait faire l'objet d'aucun aménagement ni changement de destination et qu'ils ont annulé pour ce motif les permis de construire en litige comme ayant été délivrés en méconnaissance des dispositions des articles 1.N et 2.N du règlement du PLUi.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le préfet de l'Ain à l'encontre des deux arrêtés.
Sur la légalité du permis de construire du 5 novembre 2014 qualifié de modificatif :
7. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que la demande de permis de construire porte sur le réaménagement d'un bâtiment existant, celui-ci avait été entièrement détruit à la date à laquelle M. D... a déposé la demande de permis de construire modificatif, suite à la suspension des travaux ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon. Dans ces conditions, cette nouvelle demande devait être regardée comme portant sur la construction d'un nouveau bâtiment, après démolition de l'ancien martinet. L'économie générale du projet ayant été modifiée, le permis délivré doit être regardé comme un nouveau permis de construire, sans qu'y fasse obstacle le fait que la commune n'avait pas été informée de la démolition du bâtiment.
8. En premier lieu, l'article 2.N du PLUi prévoit qu'une construction identifiée au titre du 7° de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme peut être réaffectée notamment à l'habitation " (...) dans la mesure où : / (...) son volume et ses murs extérieurs sont conservés à l'exception d'éventuelles ouvertures ou d'une extension limitée à 20% du volume existant, si elle est justifiée par la nature du projet ou les caractéristiques de la construction, qui devront préserver le caractère de son architecture, (...) ".
9. Ainsi qu'il a été dit, la demande de M. D... doit être regardée comme tendant à la construction d'un nouveau bâtiment, en lieu et place de l'ancien martinet, au demeurant plus petit, qui avait été détruit. Une telle opération, qui ne saurait être regardée comme portant sur la réaffectation à l'habitation d'une construction traditionnelle impliquant la conservation des murs et du volume existants, méconnaît les dispositions de l'article N.2 du règlement du PLUi applicables en secteur Nh.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 10.N du règlement du PLUi : " Pour les constructions identifiées au titre des articles L. 123-1, 7 et L. 145-3, 1 du code de l'urbanisme, la hauteur de la construction ne doit pas dépasser le faîtage des bâtiments préexistants. ". Le projet, qui prévoit une hauteur au faîtage de 6,25 mètres, alors que la hauteur de l'ancien martinet était au faîtage de 5,11 mètres, méconnaît ces dispositions.
11. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît susceptible de fonder, en l'état du dossier, l'annulation du permis du 5 novembre 2014.
Sur la légalité du permis de construire du 18 mars 2014 :
12. Le permis délivré à M. D... le 5 novembre 2014, au demeurant illégal, n'étant pas un permis modificatif mais un nouveau permis, il n'a pu régulariser les vices pouvant entacher le permis initial.
13. Aux termes de l'article N.11 du règlement du PLUi : " (...) En cas de réhabilitation ou extension des constructions existantes relevant du patrimoine traditionnel ou historique des communes, identifiées au titre des articles L. 123-1, 7 et L. 145-3, 1 du code de l'urbanisme : il est demandé de respecter les caractéristiques architecturales des volumes, des façades de ladite construction, ainsi que l'unité de ses abords (petits jardins, petits parcs, vergers...). (...) Les constructions en madrier plein ou rondins apparents assemblés à mi-bois (style chalet) d'une typologie étrangère à une typologie locale sont interdites. ". Le projet prévoit la construction d'une habitation de type chalet en bois en lieu et place de l'ancien martinet dont les façades étaient bâties en maçonnerie de pierres et de pisé recouverte d'un crépi, ainsi que la surélévation du bâtiment. Un tel projet, qui ne respecte pas les caractéristiques du bâtiment existant relevant du patrimoine traditionnel de la commune, méconnaît les dispositions de l'article N.11 du règlement du PLUi.
14. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît susceptible de fonder, en l'état du dossier, l'annulation du permis de construire du 18 mars 2014.
Sur l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :
15. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce et eu égard en particulier au fait que le bâtiment à réaménager a été détruit ainsi qu'il est dit au point 7, les vices affectant la légalité des permis de construire en litige ne sont pas susceptibles d'être régularisés par un permis modificatif. Par suite, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente d'une telle régularisation comme le permettent les dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Lélex et M. D... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé les permis de construire des 18 mars et 5 novembre 2014.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes que la commune de Lélex et M. D... demandent sur leur fondement au titre des frais exposés soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans les présentes instances.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de la commune de Lélex et de M. D... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lélex, à M. B... D... et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée au préfet de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
M. Thierry Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 janvier 2019.
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N° 17LY03295, 17LY03317
md