Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 9 avril 2018, le Préfet du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement du 22 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon.
Le préfet du Rhône soutient que :
- Mme D... ne remplit pas les conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- entrée récemment sur le territoire français, elle ne justifie pas d'une vie privée et familiale suffisamment stable et ancienne en France, elle est sans enfant à charge en France et ne justifie pas d'une intégration d'une particulière intensité, n'est pas isolée en République Démocratique du Congo où elle a vécu l'essentiel de son existence et où résident ses parents et ses trois frères et soeurs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2018, Mme B... D...conclut au rejet de la requête et demande à la cour de confirmer le jugement du 22 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon, d'annuler la décision attaquée et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, distrait directement au profit de son conseil Me C..., à charge pour celui-ci de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet du Rhône n'est fondé.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme A..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante congolaise de la République Démocratique du Congo née le 20 octobre 1989, entrée irrégulièrement à la date déclarée du 20 août 2013, pour y solliciter l'asile, a vu sa demande rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 22 octobre 2014, rejet confirmé par la Cour nationale du droit d'asile. Elle a ensuite sollicité le 21 janvier 2014 un titre de séjour en application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet du Rhône, par un arrêté du 16 février 2015 a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité. Le préfet du Rhône relève appel du jugement du 22 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon en tant qu'il a annulé cet arrêté du 16 février 2015 et a condamné l'Etat à verser à son conseil une somme de 900 euros en application de la combinaison des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur le motif d'annulation retenu par le juge de première instance :
2. Aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
4. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé conforme à ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Pour annuler l'arrêté du préfet du Rhône du 16 février 2015, le tribunal administratif de Lyon a estimé que le préfet du Rhône avait méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que les termes du certificat médical circonstancié du docteur Ph. Chambaud produit par l'intéressée indiquant que sa prise en charge dans son pays d'origine était irréalisable, était de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le préfet du Rhône sur la disponibilité des soins en République Démocratique du Congo, fondée sur les éléments fournis par l'ambassade de France dans ce pays en 2013, rédigés quant à eux en termes très généraux.
6. Il ressort des pièces du dossier que le médecin de l'agence régionale de santé dans son avis du 21 mars 2014, produit en première instance, a estimé que l'état de santé de Mme D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut est susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, que le traitement approprié à son état de santé n'est pas disponible dans son pays d'origine, vers lequel elle ne peut voyager sans risque du fait de son état de stress et que ce traitement doit être poursuivi pendant une durée de douze mois. Le préfet du Rhône soutient néanmoins que l'intéressée ne remplit pas les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade en application du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'un traitement approprié existe en République Démocratique du Congo où elle pourra être suivie de la même manière qu'en France.
7. Mme D... a indiqué qu'elle souffrait d'un syndrome post-traumatique et qu'elle a besoin d'un suivi en raison de son hépatite B chronique. En se prévalant de la liste nationale des médicaments essentiels et des fiches Medcoi, le préfet du Rhône soutient que la plupart des médicaments antipsychotiques, stabilisant de l'humeur, anxiolytiques et antidépresseurs susceptibles de lui être prescrit sont disponibles dans ce pays, et que les structures médico-sanitaires locales sont en capacité de prendre en charge son état de santé de manière appropriée, y compris le suivi de l'hépatite B. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment des certificats médicaux versés au dossier par Mme D... que son état de stress post-traumatique pour lequel elle bénéficie en France d'un traitement médicamenteux composé d'un anxiolytique, d'un antidépresseur et d'un neuroleptique et d'un suivi psychothérapeutique mensuel au centre médico-psychologique Louis Becker, affilié au centre hospitalier du Vinatier, est en lien direct avec les évènements traumatiques vécus et les sévices subis en République Démocratique du Congo qui empêchent d'envisager un traitement approprié de son état de santé dans ce pays, en raison même de l'impact qu'un retour sur les lieux de son traumatisme comporterait sur son état de santé. Ce que confirme la mention portée par le médecin de l'agence régionale de santé quant à son incapacité à voyager sans risque vers son pays d'origine du fait de son état de stress. Par suite, les premiers juges étaient fondés à annuler pour ce motif l'arrêté du préfet du Rhône.
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 16 février 2015 et mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros, à verser à Me C..., conseil de Mme D..., en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., conseil de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de lui verser la somme de 1 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Rhône est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me C..., conseil de Mme D..., une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône, au conseil de Mme B... D... et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 8 janvier 2019.
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N° 18LY01290
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