Le préfet de la Savoie soutient que :
- les intéressés n'ont pas établi de manière probante devant la Cour nationale du droit d'asile leur appartenance à la communauté des témoins de Jéhovah ;
- l'arrêté ne fixe pas la Russie comme pays de destination mais celui dont ils ont la nationalité ou bien où ils seraient légalement admissibles ;
- si l'arrêté indique leur nationalité azerbaïdjanaise, c'est parce qu'ils ont eux-mêmes indiqué cette nationalité lors de leur demande d'asile et l'OFPRA a retenu cette nationalité également ;
- en l'absence de refus de titre de séjour, le tribunal administratif ne pouvait lui enjoindre de délivrer un titre de séjour aux intéressés.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 23 avril 2019, Mme H...J..., Mme A...G...épouse J...et M. B...J..., représentés par Me D..., concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils établissent leur appartenance à la communauté des témoins de Jéhovah et l'interdiction de ce culte en Russie ;
- leur nationalité n'étant pas déterminée, le préfet ne pouvait se borner à indiquer comme pays de destination de la mesure d'éloignement le pays dont ils ont la nationalité ou dans lequel ils seraient légalement admissibles.
Mme H...J..., Mme A...G...épouse J...et M. B...J...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B...J...et son épouse Mme A...J..., nés en 1972 et 1979 en Azerbaïdjan, ainsi que leurs filles ViolettaJ..., née en 1997 et Lalita J...née en 2004, sont entrés en France le 12 mars 2015. Ils ont sollicité leur admission au titre de l'asile. Leurs demandes ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 23 novembre 2015 confirmées par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 6 décembre 2016. Le préfet de la Drôme les a obligés à quitter le territoire français par des arrêtés du 18 janvier 2017, qu'ils ont contesté sans succès devant le tribunal administratif de Lyon puis la présente cour administrative d'appel. Ils ont ensuite présenté une première demande de réexamen, rejetée pour irrecevabilité par l'OFPRA puis la CNDA en 2017, puis une seconde demande de réexamen le 11 juillet 2018, également rejetée pour irrecevabilité par l'OFPRA le 17 juillet 2018. Par des décisions du 25 octobre 2018, le préfet de la Savoie a refusé de renouveler l'attestation de demande d'asile des époux J...et de leur fille majeure Violetta, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, leur a interdit d'y revenir pendant un an et a désigné le pays à destination duquel ils pourraient être éloignés. Le préfet de la Savoie relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces arrêtés et lui a enjoint de délivrer aux intéressés un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
2. En premier lieu, si les époux J...et leur fille majeure ont soutenu avoir été victimes en Russie de violences qui seraient amenées à se reproduire en cas de retour dans ce pays, ils ne produisent aucun élément de nature à établir leurs allégations, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été considérées comme plausibles par l'OFPRA et la CNDA, amenés à se prononcer à plusieurs reprises sur ce point. La seule circonstance que M. J...aurait eu un commerce, à la supposer établie, ne peut révéler, en soi, que le départ de la famille I...ne pourrait s'expliquer que par les violences qu'ils auraient subies, le caractère florissant de ce commerce n'étant, en tout état de cause, pas établi, les requérants soutenant eux-mêmes qu'il était exploité dans des conditions précaires.
3. En second lieu, si les époux J...et leur fille majeure se prévalent de leur appartenance au mouvement religieux des témoins de Jéhovah, il ressort des pièces du dossier qu'ils ont déclaré, à l'occasion de l'instruction de leur demande d'asile devant l'OFPRA, appartenir à l'église orthodoxe arménienne. Les attestations qu'ils produisent, émanant de personnes se réclamant du culte des témoins de Jéhovah et de cette association elle-même, ne peuvent suffire à établir que, contrairement à leurs propres déclarations initiales, dont ils ne s'expliquent d'ailleurs pas, ils auraient appartenu au culte des témoins de Jéhovah, dès 2005 et 2007 pour M. et MmeJ..., et dès 2014 s'agissant de leur fille majeure. Les documents présentés par les consorts J...comme émanant des autorités russes et selon lesquels ils seraient poursuivis pour leur appartenance à ce culte sont par ailleurs dépourvus d'authenticité, ainsi que l'ont d'ailleurs estimé tant l'OFPRA que la Cour nationale du droit d'asile, qui se sont également prononcés sur cette question.
4. Il suit de là que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que, c'est à tort que, pour annuler les arrêtés litigieux du 25 octobre 2018, la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble s'est fondée sur les risques de violences auxquelles la famille serait exposée en Russie pour estimer que lesdits arrêtés étaient entachés d'erreur manifeste d'appréciation.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie du litige dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les demandeurs tant en première instance qu'en appel.
Sur les décisions d'obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, M. F...E...ayant, par un arrêté du 9 juillet 2018, reçu délégation de signature pour signer notamment les arrêtés pris en matière d'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré du défaut qualité de celui-ci pour signer les décisions litigieuses doit être écarté.
7. En second lieu, la décision litigieuse, qui mentionne les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde est suffisamment motivée conformément aux dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
8. En troisième lieu, la circonstance que la décision litigieuse comporterait une erreur sur la nationalité des époux J...et de leur fille majeure, une telle circonstance n'est pas de nature à permettre de constater un examen incomplet de leur situation au regard de la décision d'obligation de quitter le territoire français, laquelle prend appui sur leur absence de droit au séjour au titre de l'asile et non sur leur nationalité.
9. En quatrième lieu, les époux J...et leur fille majeure, entrés en France en 2015 après avoir passé la majeure partie de leur vie en Russie et présents en France depuis un peu plus de trois ans et demi à la date de la décision, ne peuvent attester d'une intégration sur le territoire français d'une intensité telle que les décisions litigieuses méconnaitraient leur droit au respect de leur vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En cinquième lieu, la seule circonstance que LalitaJ..., seule enfant mineure du couple à la date de la décision et pour laquelle les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant peuvent ainsi être invoquées, serait scolarisée, ne caractérise pas une atteinte à ces stipulations dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne pourrait poursuivre sa scolarité en Russie.
Sur les décisions d'interdiction de retour :
11. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen tiré de l'illégalité des décisions d'interdiction de retour au motif de l'illégalité des décisions d'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
12. Les intéressés ne justifiant pas d'attaches familiales sur le territoire français dès lors qu'ils ont tous fait l'objet d'une décision d'éloignement, le moyen tiré de ce que l'interdiction de retour serait entaché d'erreur d'appréciation eu égard aux attaches familiales de chacun sur le territoire français doit être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif a annulé les décisions obligeant M. B...J..., Mme A...J...et Mme H...J...à quitter le territoire français et leur interdisant de retourner sur le territoire français.
Sur les décisions fixant le pays de destination :
14. Il résulte des pièces du dossier, en particulier de la décision la plus récente de la Cour nationale du droit d'asile, en date du 6 décembre 2016, que la nationalité de M. B... J..., de Mme A...J...et de Mme H...J..., n'est pas déterminée. Si la Russie, compte tenu de la durée de leur séjour dans cet Etat, doit être regardée comme leur Etat résidence pour l'appréciation des risques encourus par eux, elle n'est pas leur pays d'origine et ils n'en possèdent pas la nationalité. Bien que nés en Azerbaïdjan, ils ne possèdent pas non plus la nationalité azerbaïdjanaise dès lors qu'ils n'y résidaient pas à la date de l'entrée en vigueur de la loi azerbaïdjanaise sur la nationalité. Enfin, n'ayant jamais eu aucun lien avec l'Arménie, la seule origine arménienne de leurs patronymes ne permet pas de considérer qu'ils en posséderaient la nationalité. Dans ces conditions, les décisions litigieuses fixant le pays de destination, qui décrivent à tort les intéressés comme étant de nationalité azerbaïdjanaise, et d'autant plus à tort s'agissant de Mme H...J...qui n'est pas née en Azerbaïdjan, ne peuvent être regardées comme suffisamment motivées ni comme révélant un examen de la situation personnelle des intéressés s'agissant du choix du pays de destination. Elles sont donc entachées d'illégalité et le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, la magistrate déléguée a prononcé l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
15. Eu égard au motif d'annulation des décisions fixant le pays de destination, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de réexaminer la situation des intéressés dans un délai de trente jours à compter de la notification du présent arrêt. Par suite, l'article 3 du jugement attaqué, qui a enjoint au préfet de délivrer aux demandeurs un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", doit être annulé.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat les frais d'instance non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1807195-1807196-1807198 du tribunal administratif de Grenoble du 14 décembre 2018 est annulé en tant qu'il annule les décisions obligeant M. B... J..., Mme A...J...et Mme H...J...à quitter le territoire français et leur interdisant de retourner sur le territoire français.
Article 2 : L'article 3 du jugement n° 1807195-1807196-1807198 du tribunal administratif de Grenoble du 14 décembre 2018 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Savoie de réexaminer la situation de M. B... J..., Mme A... J...et Mme H... J...dans un délai de trente jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... J..., Mme A... J...et Mme H... J...et du préfet de la Savoie est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Savoie, à M. B... J..., Mme A... J..., Mme H...J...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2091, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 16 juillet 2019.
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N° 19LY00160
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