Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 mars 2018, Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions contestées ;
3°) d'enjoindre au préfet, à titre principal, après l'avoir provisoirement admise au séjour, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou à défaut, la mention " salarié " et, à titre subsidiaire, après l'avoir provisoirement admise au séjour, de réexaminer son droit au séjour.
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est sommairement motivé et ne répond pas aux moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 313-11 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- son droit à être entendue, qui découle du principe général du droit de l'Union du respect des droits de la défense, a été méconnu faute d'avoir été invitée par le préfet à présenter des éléments de nature à l'éclairer sur son droit au séjour en France ;
- n'ayant pas, faute de les avoir demandés, connaissance de l'ensemble des éléments caractérisant sa situation personnelle et familiale, le préfet a insuffisamment et de manière stéréotypée motivé sa décision ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen précis et circonstancié de sa situation ;
- la décision lui refusant la délivrance de titre de séjour qui lui est opposée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu des risques que son époux et elle-même encourent en cas de retour au Kosovo ;
- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-14 du même code ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité dont est entachée la décision portant refus de titre de séjour qui en constitue le fondement ;
- sa motivation est particulièrement stéréotypée ;
- le préfet n'a pas effectué un examen précis et personnel de sa situation ;
- il a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;
- cette décision est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- le préfet s'est abstenu d'examiner sa situation au regard de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision n'est pas motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité dont est entachée la décision portant refus de titre de séjour qui en constitue le fondement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2018, le préfet d'Eure-et-Loir conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A...C...épouseD..., ressortissante kosovare née le 29 avril 1994, est entrée en France en décembre 2014. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 18 août 2015, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 24 février 2016. Mme D...a ensuite formé une demande de réexamen, laquelle a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 juin 2016, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 23 novembre 2016. Compte tenu du rejet définitif de la demande d'asile de Mme D... et en l'absence de demande de titre de séjour présentée sur un autre fondement, le préfet d'Eure-et-Loir a, par un arrêté en date du 8 septembre 2017, obligé Mme D... à quitter le territoire français, en application des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite d'office. Il a concomitamment, par le même arrêté, après avoir examiné, comme il en a la faculté et alors même qu'il n'était pas saisi d'une demande de titre de séjour par l'intéressée, examiné le droit au séjour de celle-ci au regard des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Mme D...relève appel du jugement du 9 novembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet d'Eure-et-Loir du 8 septembre 2017.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du dossier de procédure que, devant le tribunal administratif, Mme D...n'a pas invoqué la méconnaissance des dispositions des articles L. 313-11 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait omis de répondre à de tels moyens ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, il est loisible au préfet d'examiner d'office si l'étranger, à qui la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé et qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français, peut prétendre à une autorisation de séjour ou, sauf lorsque les textes l'interdisent expressément, s'il y a lieu, à titre gracieux, de régulariser sa situation. Les décisions que l'autorité préfectorale peut prendre, au titre de ce pouvoir de régularisation, ne sont pas prises en application du droit de l'Union européenne. Par suite, Mme D...ne peut utilement invoquer la méconnaissance du son droit à être entendu qui découle du principe général du droit de l'Union du respect des droits de la défense.
4. En deuxième lieu, l'arrêté contesté énonce les considérations de fait propres à la situation de Mme D...sur lesquelles le préfet s'est fondé pour estimer qu'un refus de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il indique également les raisons pour lesquelles il a estimé que sa situation professionnelle ne relevait pas de motifs exceptionnels pour justifier une admission au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 et fait état de ce que l'intéressée ne justifiait pas davantage de considérations humanitaires pour obtenir, sur le fondement du même article, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Ainsi, la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour est, alors même qu'elle ne mentionne ni la protection subsidiaire dont bénéficient deux des beaux-frères de la requérante ni le contrat de travail que son époux a signé le 1er septembre 2017, sans au demeurant le porter à la connaissance de l'administration, suffisamment motivée.
5. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet, qui n'était pas tenu d'inviter Mme D... à faire valoir tout élément de nature à justifier sa régularisation, n'aurait pas, au regard des éléments dont il disposait, procédé à un examen sérieux et particulier de la situation de la requérante.
6. En quatrième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des risques encourus en cas de retour au Kosovo sont inopérants à l'encontre de la décision portant refus de titre de séjour.
7. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; / (...) ". L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que, à la date de l'arrêté en litige, Mme D...séjournait en France depuis moins de trois ans. Son époux, de même nationalité, séjourne irrégulièrement sur le territoire français. Si la requérante fait valoir que deux de ses beaux-frères résident régulièrement en France, elle n'établit pas être dépourvue d'attaches privées ou familiales au Kosovo où elle a vécu jusqu'à l'âge de 20 ans. Dans ces conditions, le refus de titre de séjour qui lui est opposé ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / (...) ".
10. Si Mme D...se prévaut de sa durée de séjour en France de trois ans, du contrat de travail à durée indéterminée dont est titulaire son époux et de la présence en France de deux beaux-frères, bénéficiaires de la protection subsidiaire, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa situation relèverait de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels justifiant son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, la décision par laquelle le préfet a obligé Mme D...à quitter le territoire français se réfère précisément au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rappelle les rejets opposés à sa demande d'asile et à sa demande de réexamen tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par la Cour nationale du droit d'asile. Elle comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquels elle est fondée. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit, par suite, être écarté.
12. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas, avant d'édicter la décision d'obligation de quitter le territoire français contestée, procédé à un examen sérieux et particulier de la situation de MmeD....
13. En troisième lieu, pour les mêmes considérations de fait que celles énoncées aux points 8 et 10 du présent arrêt, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle du requérant doivent être écartés.
14. En dernier lieu, d'une part, la décision obligeant Mme D...à quitter le territoire français, prise en application des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'a pas été prise sur le fondement de la décision par laquelle le préfet a, par ailleurs, refusé de délivrer à l'intéressée un titre de séjour. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'illégalité de ce refus de titre de séjour n'est pas établie. Dès lors, le moyen, invoqué par voie d'exception, tiré de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi :
15. L'arrêté litigieux ne vise ni ne se réfère à l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui constitue le fondement des décisions fixant le pays à destination duquel l'étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné. En outre, alors que l'intéressée avait demandé l'asile au regard des risques qu'elle soutenait encourir au Kosovo, l'arrêté contesté ne mentionne aucune des considérations de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé pour estimer que la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaissait pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette décision est, par suite, insuffisamment motivée. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à son encontre, elle doit être annulée.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. L'exécution du présent arrêt, qui annule la seule décision fixant le pays de renvoi, n'implique ni la délivrance à la requérante d'un titre de séjour ni le réexamen de son droit au séjour. Les conclusions de Mme D...à fin d'injonction doivent par suite être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme au conseil de MmeD..., laquelle a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La décision du 8 septembre 2017 par laquelle le préfet de l'Eure-et-Loir a fixé le pays à destination duquel Mme D...est susceptible d'être reconduite d'office et le jugement du 9 novembre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre cette décision sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...épouse D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet d'Eure-et-Loir.
Délibéré après l'audience du 2 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 janvier 2019.
Le rapporteur,
K. BOUGRINELe président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01217 2
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