Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 28 juillet 2014, le 15 septembre 2014, et le 11 février 2015, M. A... D..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1209987 du 18 juin 2014 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de mettre à la charge de la société DHL Solutions la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la procédure est irrégulière en raison de la présence de M.B..., salarié de DHL Service central et non de DHL Solutions, lors de l'entretien préalable.
- la circonstance qu'il n'ait été précisément informé des faits qui lui étaient reprochés qu'au moment de l'entretien préalable constitue elle aussi une irrégularité viciant la procédure de licenciement dès lors qu'il n'a pas disposé d'un délai de réflexion suffisant pour préparer son audition devant le comité d'établissement qui s'est tenue le même jour ;
- l'enquête menée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a été réalisée dans des conditions particulièrement lapidaires et avec partialité, M. D...ayant été auditionné sur le parking d'un supermarché et le CHSCT n'ayant entendu que les témoins désignés par la direction de la société ;
- les faits de harcèlement qui lui sont reprochés ne sont pas établis, en l'absence d'élément probant produit par la société.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2014, la société DHL Solutions, représentée par Vaughan avocats, conclut au rejet de la requête, à la condamnation de M. D...aux entiers dépens et à la mise à sa charge de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- M. B...ne peut être regardé comme une personne étrangère à l'entreprise et pouvait donc assister la direction lors de l'entretien préalable ;
- M. D...avait connaissance des faits qui lui étaient reprochés avant le jour de l'entretien préalable, nonobstant le défaut de motivation de la lettre de convocation à cet entretien ;
- l'enquête de la direction de la société pouvait être menée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), cette procédure garantissant l'impartialité de cette enquête ;
- les faits de harcèlement reprochés à M. D...sont établis.
Par un mémoire enregistré le 9 février 2015, le ministre chargé du travail déclare s'associer aux conclusions de la requête de M.D....
Par ordonnance du 16 février 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 6 mars 2015.
Un mémoire a été produit pour la société DHL Solutions le 29 janvier 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lapouzade,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- et les observations de Me Ménard, avocat de la société DHL Solutions.
Considérant ce qui suit :
1. M. D...a été recruté le 14 septembre 1992 par DHL Solutions, une société spécialisée en transport de marchandises, pour exercer les fonctions de chef d'équipe manutention. Il est investi depuis 2009 d'un mandat de représentant syndical au sein du comité d'établissement de DHL Paris Est. Par un courrier du 7 septembre 2012, la société DHL Solutions a sollicité l'autorisation de le licencier pour faute en raison des faits de harcèlement qui lui étaient reprochés. Par une décision du 27 septembre 2012, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser ce licenciement aux motifs que la procédure de licenciement était irrégulière en raison de la présence de M.B..., salarié de DHL Service central lors de l'entretien préalable et du défaut d'information de M. D... sur les faits qui lui étaient reprochés avant la tenue de l'entretien préalable, le même jour que la réunion du comité d'établissement, et que l'enquête contradictoire n'avait pas permis d'établir la matérialité des faits reprochés. La société a formé un recours gracieux et un recours hiérarchique, tous deux rejetés. M. D...relève appel du jugement du 18 juin 2014 par lequel le Tribunal administratif de Melun a annulé la décision de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser son licenciement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. ". Aux termes de l'article L. 1232-3 du même code : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié. " et de son article L. 1232-4 : " Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. / Lorsqu'il n'y a pas d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative. / La lettre de convocation à l'entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l'adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition. ". Il ne résulte pas de ces dispositions que la présence d'une personne auprès de l'employeur au cours de l'entretien préalable entacherait d'irrégularité la procédure dès lors que celle-ci n'est pas extérieure à l'entreprise.
3. Si M. D...soutient que la présence de M. B...à l'entretien préalable rend la procédure de licenciement irrégulière dès lors que celui-ci est salarié de la société DHL Service central et non de DHL Solutions, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'un contrat de travail multi-employeurs produit par la société DHL Solutions au contentieux que M. B...exerce les fonctions de responsable ressources humaines au sein de cette société. Dès lors, la présence lors de l'entretien préalable de M.B..., qui appartient au personnel de l'entreprise, n'a, en tout état de cause, pas entaché d'irrégularité la procédure de licenciement.
4. En deuxième lieu, M. D...fait valoir qu'en raison du défaut de motivation des lettres de mise à pied et de convocation à l'entretien individuel, il n'a pas disposé du temps nécessaire pour préparer son audition devant le comité d'établissement, laquelle s'est tenue le même jour que l'entretien préalable. Toutefois, si la lettre de mise à pied comme la lettre de convocation à l'entretien préalable ne sont en effet pas motivées, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'attestation qu'il a lui-même rédigée le 30 août, que M. D...a eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés avant le 6 septembre 2012, jour de l'entretien préalable et de la réunion du comité d'établissement, et a donc disposé d'un délai suffisant pour préparer son audition devant le comité d'établissement. Dans ces conditions, la circonstance que l'entretien individuel et la réunion du comité d'établissement se soient tenus le même jour ne rend pas la procédure de licenciement irrégulière.
5. En troisième lieu, si M. D...soutient que l'enquête préalable menée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, que le comité pouvait mener à fin d'assister la société, a été conduite dans la précipitation et en méconnaissance du principe du contradictoire, cette circonstance est, en elle-même, sans influence sur la régularité du licenciement.
6. En quatrième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
7. La société DHL Solutions, qui fait appel aux services d'une société intérimaire, aurait été alertée par cette dernière qu'une intérimaire, Mme M., avait dénoncé le comportement de son chef d'équipe, M.D.... Par deux attestations du 28 août 2012, Mme M. et Mme J., une ancienne intérimaire désormais en contrat à durée indéterminée dans la société, ont déclaré que M. D... les avait harcelées sexuellement et moralement, tentant d'obtenir leurs faveurs en échange de la poursuite de leurs missions d'intérim.
8. Il ressort des pièces du dossier que M.D..., qui avait été reçu en entretien individuel par sa direction en 2011 en raison de son addiction à l'alcool, adopte fréquemment un comportement colérique envers ses subordonnées et en particulier à l'encontre des intérimaires de son équipe. En outre, si M. D...fait valoir que les affirmations de l'inspecteur du travail selon lesquelles il menacerait régulièrement ses subordonnés dont faisaient partie Mme M. et Mme J. ne sont pas plausibles dès lors qu'il n'a aucun pouvoir en matière de recrutement ou de discipline à l'encontre de ces derniers, il n'est pas contesté qu'il a la possibilité de noter les horaires d'arrivée et de signaler, le cas échant, comme il reconnaît l'avoir fait pour Mme M., une productivité insuffisante ou tout comportement témoignant d'un manque de professionnalisme, ces éléments ayant une influence certaine sur la poursuite de la mission d'intérim des intéressés. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment de la facture téléphonique de M. D...communiquée par celui-ci à son employeur lors de l'entretien individuel, qu'il a contacté Mme M. plus de vingt-deux fois en moins d'un mois alors qu'il était en vacances, la brièveté des appels et leur caractère répété laissant transparaître son insistance. Dès lors, l'attestation, suffisamment circonstanciée, par laquelle cette intérimaire a dénoncé un harcèlement de la part de M.D..., peut être regardée comme corroborée par les pièces du dossier. Par ailleurs, s'il existe une ambigüité sur la durée et la teneur des relations extraprofessionnelles entre M. D...et Mme J., cette dernière soutenant qu'elle a cédé à ses menaces à une dizaine de reprises alors que celui-ci affirme qu'ils n'ont eu qu'un seul rapport sexuel, au demeurant consenti, et qu'il a mis immédiatement fin à cette relation, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause les affirmations de Mme J. relatives aux menaces dont elle faisait l'objet, considérées comme établies par l'inspecteur du travail. En outre, si M. D...fait valoir qu'il apportait une aide financière et matérielle à ces deux mères célibataires en situation de précarité, notamment en leur prêtant de l'argent, ces allégations ne sont corroborées par aucune pièce du dossier. Enfin, les attestations produites par M. D... ne suffisent pas à remettre en cause les éléments de preuve apportés par la société, dès lors qu'elles se bornent à faire état de ce que leurs auteurs, la plupart du temps des collègues indirects de M.D..., n'ont pas été témoins des faits de harcèlement reprochés.
9. Dans ces conditions, et nonobstant la circonstance que la société DHL Solutions s'est contredite sur les dates auxquelles elle avait eu connaissance des faits de harcèlement et sur les conditions de déroulement de l'enquête du CHSCT, les faits de harcèlement sexuel et moral reprochés à M. D...sont établis et constituent, dans les circonstances de l'espèce, une faute d'une gravité suffisante pour justifier la mesure de licenciement.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 septembre 2012. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à la société DHL Solutions.
Délibéré après l'audience du 15 février 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2016.
Le président-rapporteur,
J. LAPOUZADELe président assesseur,
I. LUBEN
Le greffier,
A. CLEMENTLa République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA03290