Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 7 décembre 2015, le 29 janvier 2016 et le 16 juin 2016, la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES, représentée par Me Cotessat, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la restitution de taxe sollicitée à hauteur de la somme de 203 213 euros, augmentée des intérêts moratoires ;
3° de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en écartant l'application de l'article 257 du code général de impôts et de la doctrine de l'administration référencée BOI-TVA-CHAMP-10-20-20, le tribunal administratif reconnaît implicitement mais nécessairement que les repas servis gratuitement au personnel de l'entreprise présentent un caractère exclusivement professionnel et qu'elle est, dès lors, en droit de déduire la taxe ayant grevé les achats nécessaires à leur fabrication, sans contrepasser une écriture de prestation de service à soi-même ; la position du tribunal selon laquelle cette taxe d'amont n'est pas déductible est constitutive d'une erreur de droit ; pour toute prestation de service exposée dans l'intérêt de l'exploitation, la taxe d'amont est en effet déductible par application des dispositions des articles 257 et 271 du code général des impôts, de même qu'à raison du principe de neutralité prévu par le système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- ce droit à déduction est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la taxe en cause n'est pas au nombre des exclusions limitativement énumérées à l'article 206 de l'annexe I au code général des impôts.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Locatelli,
- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,
- et les observations de Me Cotessat pour la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES.
Une note en délibéré présentée par Me Cotessat, pour la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES, a été enregistrée le 1er juillet 2016.
1. Considérant que la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES, qui exerce une activité de restauration collective, relève appel du jugement du 8 octobre 2015 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ses achats de denrées et boissons alimentaires utilisées pour la fabrication des repas servis gratuitement au personnel de l'entreprise, pour une somme globale de 203 213 euros au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, tirée de l'irrecevabilité de la demande de restitution à hauteur de la somme de 101 608 euros :
2. Considérant, en premier lieu, que le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par l'administration en première instance dans la limite d'une somme de 101 605 euros ; que, dans la mesure où la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES ne critique pas en appel l'irrecevabilité opposée par le tribunal, il n'y a pas lieu de statuer à nouveau sur ce point et les moyens dirigés contre la restitution de cette somme ne peuvent qu'être rejetés comme inopérants ;
3. Considérant que le ministre fait toutefois valoir en appel que les conclusions en restitution de l'appelante sont irrecevables à hauteur d'une somme excédant de trois euros le quantum précédent ;
4. Considérant qu'aux termes du IV de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes de l'article 242-0 A de l'annexe II au code général des impôts, pris sur le fondement des dispositions de l'article 271 précité : " Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée doit faire l'objet d'une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile " ; qu'aux termes de l'article 242-0 C de la même annexe, dans sa rédaction applicable à la présente affaire : " I. 1. Les demandes de remboursement doivent être déposées au cours du mois de janvier (...). II. 1. Par dérogation aux dispositions du I, les assujettis soumis de plein droit ou sur option au régime normal d'imposition peuvent demander un remboursement lorsque la déclaration mentionnée au 2 de l'article 287 du code général des impôts fait apparaître un crédit de taxe déductible (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 287 de ce code : " 1. Tout redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est tenu de remettre au service des impôts dont il dépend et dans le délai fixé par arrêté une déclaration conforme au modèle prescrit par l'administration. / 2. Les redevables soumis au régime réel normal d'imposition déposent mensuellement la déclaration visée au 1 indiquant, d'une part, le montant total des opérations réalisées, d'autre part, le détail des opérations taxables. La taxe exigible est acquittée tous les mois. (...) " ; que s'il résulte des dispositions précitées des articles 242-0 A et 242-0 C que le redevable ne peut demander le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont il dispose que dans des délais déterminés, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à ce que ce redevable puisse ultérieurement, si ce crédit demeure, non seulement procéder à son imputation sur une taxe due, mais encore, le cas échéant, en demander le remboursement au cours du mois de janvier de l'année suivante ou au cours du mois suivant lequel la déclaration mentionnée à l'article 287 fait apparaître un crédit de taxe déductible ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES a été en situation de crédit de taxe sur la valeur ajoutée pendant dix-sept mois, à hauteur d'un montant global de 101 608 euros, au cours de la période litigieuse ; que, pour obtenir le remboursement de ces crédits de taxe qu'elle ne pouvait imputer sur une taxe due, il lui appartenait dès lors de présenter une réclamation dans les formes prévues aux articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts ; que, toutefois, la contribuable n'a présenté aucune réclamation de remboursement, total ou partiel, des crédits de taxe sur la valeur ajoutée déclarés par elle au titre de chacun de ces dix-sept mois ; que, dans ces conditions, les conclusions de la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES tendant à la restitution d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée de 101 608 euros ne peuvent qu'être rejetées pour la partie qui n'a pas déjà été déclarée irrecevable par le tribunal pour le même motif, soit à hauteur d'une somme de trois euros, en tant que ses conclusions d'appel tendant à la restitution de cette dernière somme sont elles-mêmes entachées d'irrecevabilité ; que, par suite, il y a lieu de faire droit à la fin de non-recevoir opposée par le ministre pour la somme de trois euros ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête de la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES sont recevables dans la limite de 101 605 euros ;
Sur le bien-fondé du surplus de la demande de restitution, s'élevant à la somme de 101 605 euros :
7. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 26 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : / (...) a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprises, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise "/ 2. les Etats membres peuvent déroger aux dispositions du paragraphe 1 à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence " ; qu'il résulte de ces dispositions, reprises de l'article 6, paragraphe 2, de la directive n° 77/388/CEE du 17 mai 1977, telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du
11 décembre 2008, Danfoss A/S et AstraZeneca A/S, C-371/07, qu'elles visent, en principe, la fourniture à titre gratuit de repas par une entreprise à son personnel dans ses locaux, à moins que les exigences de l'entreprise - telles que celle de garantir la continuité et le bon déroulement des réunions de travail - ne nécessitent que la fourniture de repas soit assurée par l'employeur ; que la Cour de justice a également précisé qu'il appartient aux juridictions des Etats membres de vérifier que les repas en cause sont fournis à des fins strictement professionnelles ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes des dispositions des 2 et 3 du II de l'article 257 du code général des impôts, dans leur rédaction applicable aux impositions en litige : " Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : / 1° L'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée ; / 2° Les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise. / 3. Un décret en Conseil d'Etat définit les opérations désignées ci-dessus ainsi que le moment où la taxe devient exigible " ; qu'aux termes de l'article 271 de ce code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération " ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, lorsque les salariés de la
SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES prennent leurs repas, fut-ce en horaires décalés compatibles avec l'accueil de la clientèle, ils ne sont pas en contact avec celle-ci et n'assurent donc aucun service auprès des clients ; que, dès lors, la fourniture de repas, gratuitement, à son personnel, par l'entreprise, ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme destinée à garantir la continuité et le bon déroulement du service aux clients alors que, de surcroît, il n'est pas établi que le personnel ne pourrait pas se restaurer selon d'autres modalités ; que la prise en charge de ces repas constitue donc un avantage en nature au bénéfice des salariés en vue de satisfaire des besoins privés et que, nonobstant le fait qu'elle contribue à l'amélioration des conditions de travail, elle ne peut être regardée comme dispensée, par l'employeur, à des fins strictement professionnelles ; qu'enfin, la circonstance que la législation du travail et/ou le droit des conventions collectives propres au secteur de la restauration collective fassent obligation à ce dernier de fournir des repas au personnel de l'entreprise est insusceptible de modifier la nature de cet avantage en l'absence de démonstration que cette obligation aurait été assortie de l'obligation expresse, pour les salariés, de prendre leur repas sur leur lieu de travail ; qu'ainsi, la fourniture de repas, gratuitement, à son personnel, par la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES, constitue une prestation de service assimilable à une prestation effectuée à titre onéreux assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée au sens et pour l'application de l'article 257 du code général des impôts, dont la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les denrées et boissons alimentaires utilisées pour leur fabrication est déductible par application de l'article 271 du même code ; que, dans ces conditions, la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil lui a refusé le droit de déduire cette taxe d'amont de la taxe collectée sur ses opérations imposables ;
10. Considérant, en second lieu, que la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES ayant été imposée sur le fondement, et conformément, à la loi, le moyen tiré de ce que l'interprétation de la loi fiscale, par l'administration, dans sa doctrine référencée
BOI-TVA-CHAMP-10-20-20 aurait été contraire au droit de l'Union européenne doit être rejeté comme inopérant en tout état de cause ;
Sur la demande de compensation présentée par le ministre :
11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande " ;
12. Considérant que, dans la mesure où l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée déductible, de même que le taux applicable, sont identiques à l'assiette et au taux de la taxe que la contribuable aurait dû collecter et déclarer au titre des prestations de repas qu'elle sert gratuitement à son personnel en vertu de l'article 257 précité, le ministre est fondé à soutenir que les montants de taxes déductible et collectée sont égaux ; que, par suite, il y a lieu de faire intégralement droit à la demande de compensation qu'il fait valoir ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant au versement d'intérêts moratoires sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SOCIETE FRANCAISE DE RESTAURATION ET SERVICES est rejetée.
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N° 15VE03728