Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mars 2021, Mme B..., représentée par Me Durand, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 novembre 2020 ;
2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 9 septembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
3°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'obligation de quitter le territoire prononcée à son encontre jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur sa demande d'asile ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en sa qualité de demandeur d'asile ;
5°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 511-1 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle, le préfet s'étant estimé lié par les deux circonstances que la demande d'asile ait fait l'objet d'une décision de rejet et qu'elle soit originaire d'Albanie, pays sûr ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle en raison des risques qu'elle encourt en cas de retour en Albanie ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne les conclusions afin de suspension de l'obligation de quitter le territoire français :
- les dispositions des articles L. 743-2 (7°), L. 723-2 et L. 511-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont contraires aux normes conventionnelles protégeant le droit à un recours effectif en matière d'asile, de sorte qu'il convient d'appliquer les principes dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne en prononçant de plein droit la suspension des effets de la décision de retour dès lors qu'elle justifie de la saisine de la Cour nationale du droit d'asile et dispose de ce fait du droit de se maintenir en France jusqu'à ce que cette juridiction se prononce sur son recours ;
- l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inconventionnel en tant qu'il subordonne l'exécution de la mesure d'éloignement à l'existence d'éléments sérieux ;
- elle présente, au demeurant, des éléments sérieux de nature à justifier son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2021, le préfet de la Haute-Garonne, conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Fabienne Zuccarello a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante albanaise née le 26 septembre 1984 à Tirana (Albanie), est entrée en France le 18 février 2020 avec son mari. Ils se sont présentés le 24 février 2020 à la préfecture de la Haute-Garonne afin de solliciter l'asile mais l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, statuant en procédure accélérée en application de l'article L. 723-2 I 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté leur demande par des décisions du 8 juillet 2020. Par un arrêté du 9 septembre 2020, le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme B... relève appel du jugement du 9 novembre 2020 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 septembre 2020.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, ainsi que l'a jugé à bon droit la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse dans les points 6 et 7 de son jugement, la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français comporte l'énoncé des considérations de droit dont elle fait application, et est par suite suffisamment motivée, malgré la circonstance qu'elle n'ait pas repris tous les éléments de la situation personnelle de Mme B.... En outre, il ne ressort ni de la motivation de cette décision, ni des pièces du dossier, que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation de Mme B..., ni davantage qu'il se serait cru en situation de compétence liée par la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Enfin, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas méconnu les dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prenant une obligation de quitter le territoire français à l'encontre de Mme B..., laquelle ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
3. En second lieu, Mme B..., qui est entrée très récemment en France avec son mari, lequel a également fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français du même jour, n'a été admise au séjour que durant l'examen de sa demande d'asile. Elle ne justifie d'aucune attache sur le territoire français autre que son mari. Aussi, compte tenu des conditions et de la durée de son séjour, l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
4. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi serait illégale par voie de conséquence.
5. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1º A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2º Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3º Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
6. Mme B... invoque ses craintes en cas de retour dans son pays d'origine, en raison, d'une part, des menaces téléphoniques anonymes reçues par son mari à la suite de la médiatisation de la disparition de son frère, d'autre part, des insultes et menaces du père de son mari qui n'accepte pas son origine égyptienne et enfin des craintes de persécutions fondées sur le fait qu'elle a témoigné devant la justice albanaise contre le réseau de prostitution dont elle était victime. Toutefois, s'il est établi que le père de l'époux de Mme B... a été condamné pour le meurtre de sa femme par un jugement du tribunal de Tijanadu du 26 novembre 2001 le condamnant à 16 ans de prison, Mme B... n'apporte aucun élément permettant de contredire les éléments relevés dans la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 juillet 2020 selon lesquels la réalité et l'actualité des menaces invoquées n'est pas établie. Par ailleurs, si Mme B... a témoigné devant la justice albanaise contre le réseau de prostitution dont elle était victime, les faits à l'origine de ses craintes sont anciens et rien ne démontre qu'ils auraient retrouvé une actualité. Dans ces conditions, Mme B... n'apporte pas d'éléments de nature à établir l'existence des risques qu'elle allègue et auxquels elle serait exposée en cas de retour dans son pays d'origine. Mme B... n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne les conclusions à fin de suspension de la mesure d'éloignement :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci (...) ". Ce principe du droit du demandeur d'asile au maintien sur le territoire est assorti de dérogations énumérées à l'article L. 743-2 du même code dans sa rédaction alors applicable. À ce titre, le droit au maintien sur le territoire prend fin notamment, selon le 7° de l'article L. 743-2, " dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 ", c'est-à-dire lorsque l'Office, statuant en procédure accélérée, a rejeté une demande présentée par un étranger ressortissant d'un " pays d'origine sûr " en application de l'article L. 722-1, une demande de réexamen infondée ou une demande émanant d'un demandeur dont la présence sur le territoire français a été regardée par l'autorité compétente de l'État comme constituant une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État.
8. Aux termes de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " (...) Dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné statuant sur le recours formé en application de l'article L. 512-1 contre l'obligation de quitter le territoire français de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la cour. ".
9. L'étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement qui forme un recours contre celle-ci peut, en application des articles précités, saisir le tribunal administratif de conclusions aux fins de suspension de cette mesure. À l'appui de ses conclusions, il peut se prévaloir d'éléments apparus et de faits intervenus postérieurement à la décision de rejet de sa demande de protection ou à l'obligation de quitter le territoire français, ou connus de lui postérieurement. La mesure d'éloignement ne peut être mise à exécution pendant l'examen par le juge de la demande de suspension.
10. Ainsi, le demandeur d'asile dispose d'un recours juridictionnel effectif, conformément aux exigences du paragraphe 6 de l'article 46 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, qui permet aux États membres, dans une série d'hypothèses qui correspondent à celles qui sont prévues par les dispositions précitées, de déroger au principe du caractère suspensif du recours, à condition qu'une juridiction, saisie d'office ou par le demandeur, puisse se prononcer sur le droit au maintien sur le territoire de ce dernier jusqu'à la décision de la juridiction compétente pour se prononcer sur la demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile seraient incompatibles avec les objectifs et dispositions des directives 2005/85/UE et 2013/32/UE du 26 juin 2013 et méconnaîtraient les articles 18 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que les articles 6 § 1 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
11. En second lieu, il résulte de la décision du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 octobre 2015 que l'Albanie figure sur la liste des pays d'origine sûrs et que la demande d'asile présentée par Mme B... a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 juillet 2020. Il est fait droit à la demande de suspension de la mesure d'éloignement si le juge a un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision opposée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à la demande de protection, au regard des risques de persécutions allégués ou des autres motifs retenus par l'Office. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, Mme B... ne peut être regardée comme présentant des éléments de nature à remettre en cause la décision de rejet l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, au regard des risques de persécutions allégués, de nature à justifier son maintien sur le territoire national durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, et en tout état de cause, la demande de suspension de Mme B... doit être rejetée.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 16 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2021.
La rapporteure,
Fabienne Zuccarello La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX00905