Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 mai 2020 et 11 février 2022, la commune du Buisson-de-Cadouin, représentée par Me Ruffie, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 février 2020 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de la préfète de la Dordogne.
Elle soutient que :
- le déféré de la préfète de la Dordogne est irrecevable dès lors que les obligations de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme n'ont pas été respectées ;
- en vertu de l'article R. 600-3 du code de l'urbanisme, aucune action en annulation du permis de conduire tacite obtenu le 21 juin 2006 ne pouvait être introduite après le 25 novembre 2015 ;
- le déféré de la préfète, qui intervient plus de douze ans après l'obtention du permis de construire tacite, porte atteinte au principe de sécurité juridique ;
- la commune était tenue de délivrer un certificat de permis de construire tacite en vertu de l'autorité de la chose jugée, dès lors que par un arrêt du 1er mars 2016, la cour d'appel de Bordeaux a estimé que M. C... était titulaire d'un permis de construire tacite depuis le 21 juin 2006 et l'a relaxé alors qu'il était poursuivi pour une violation du plan d'occupation des sols ;
- elle était obligée de délivrer un certificat de permis de construire tacite en vertu de l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 janvier 2022, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la commune du Buisson-de-Cadouin ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Charlotte Isoard,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me Jouanneaux, représentant la commune du
Buisson-de-Cadouin.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... et Mme A... D... ont déposé une demande de permis de construire le 4 mai 2006 portant sur l'extension d'un ancien pigeonnier en vue de son aménagement en maison d'habitation sur un terrain situé Le Pigeonnier Paleyrac au
Buisson-de-Cadouin. Par un arrêté du 21 juillet 2006, le maire du Buisson-de-Cadouin a refusé de leur délivrer le permis de construire sollicité. M. C... a déposé une nouvelle demande de permis de construire au mois de décembre 2006, laquelle a été refusée par un arrêté du 9 août 2007. Cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif de Bordeaux pour incompétence de l'auteur de l'acte. Par jugement du 2 juin 2015, M. C... a été condamné par le tribunal correctionnel de Bergerac des chefs d'exécution de travaux non autorisés et d'exécution de travaux non conformes au plan local d'urbanisme de 2009, à une peine d'amende délictuelle de 1 000 euros et à la démolition des constructions irrégulières avec une astreinte de 100 euros par jour de retard. Par un arrêt du 1er mars 2016, la 3ème chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux a relaxé M. C... des chefs d'exécution de travaux et d'utilisation des sols sans permis de construire, estimant que M. C... était titulaire d'un permis de construire tacite depuis le 21 juin 2006. A la suite de cette décision, le maire du Buisson-de-Cadouin a, le 14 mars 2018, délivré à M. C..., à la demande de ce dernier, un certificat de permis de construire tacite, qui a été transmis à la préfète de la Dordogne le 26 juin 2018. La commune du Buisson-de-Cadouin relève appel du jugement du 25 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par la préfète de la Dordogne, a annulé le permis de construire tacite obtenu par M. C....
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. (...) / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. / La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la demande de première instance a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 24 août 2018. Une copie de cette demande a été adressée par pli recommandé à M. C.... Si le tampon postal apposé lors du dépôt de ce recommandé est légèrement flou, il permet d'établir que cette lettre a été adressée à M. C... le 28 août 2018, soit dans le délai de quinze jours suivant la date du 24 août 2018. Par suite, contrairement à ce que soutient la commune, la préfète de la Dordogne justifie avoir accompli les formalités prescrites par les dispositions précitées de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 600-3 du code de l'urbanisme, dans sa version alors applicable : " Aucune action en vue de l'annulation d'un permis de construire ou d'aménager ou d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable n'est recevable à l'expiration d'un délai d'un an à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement. / Sauf preuve contraire, la date de cet achèvement est celle de la réception de la déclaration d'achèvement mentionnée à l'article R. 462-1. ".
5. Il résulte des dispositions des articles R. 462-1 et R. 600-3 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007, que, lorsqu'une autorisation de construire relative à des travaux achevés à compter du 1er octobre 2007 est contestée par une action introduite à compter de la même date, celle-ci n'est recevable que si elle a été formée dans un délai d'un an à compter de la réception par le maire de la commune de la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux. Une telle tardiveté ne peut être opposée à une demande d'annulation que si le bénéficiaire de l'autorisation produit devant le juge l'avis de réception de la déclaration prévue par l'article R. 462-1 du code de l'urbanisme.
6. La commune du Buisson-de-Cadouin se borne à verser au dossier un constat d'huissier du 25 novembre 2014, lequel ne constate au demeurant pas que les travaux entrepris par M. C... seraient achevés. Elle n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article R. 600-3 du code de l'urbanisme en l'absence de la production de la déclaration d'achèvement de travaux prévue par l'article R. 462-1 du code de l'urbanisme, alors qu'il est constant que les travaux n'étaient pas achevés avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, qui instituent l'obligation d'une telle déclaration.
7. Enfin, en vertu des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le préfet défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Figurent au nombre de ces actes les permis de construire tacites. Une commune doit être réputée avoir satisfait à l'obligation de transmission, dans le cas d'un permis de construire tacite, si elle a transmis au préfet l'entier dossier de demande, en application de l'article R. 421-35 du code de l'urbanisme avant le 1er octobre 2007 et en application de R. 423-7 du code de l'urbanisme depuis cette date. Le délai du déféré court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l'hypothèse où la commune ne satisfait à l'obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission. Lorsqu'une commune a fait appel aux services de l'État pour l'instruction d'un dossier de permis de construire sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-1-6 du code de l'urbanisme, applicables avant le 1er octobre 2007, cette demande d'instruction ne constitue, en l'absence de toute demande expressément formulée en ce sens par la commune auprès des services instructeurs, ni une transmission faite aux services de l'État en application des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, ni une transmission au préfet au titre de l'obligation posée par l'article R. 421-35 du code de l'urbanisme. Une telle demande n'est donc pas de nature à faire courir le délai du déféré préfectoral.
8. Il ressort des pièces du dossier que la préfète de la Dordogne n'a eu connaissance de l'existence du permis de construire tacite de M. C... qu'à l'occasion de la transmission par la commune du certificat de permis de construire tacite le 26 juin 2018. A cet égard, bien que les services de l'État aient assisté le maire du Buisson-de-Cadouin pour effectuer l'étude technique de la demande de permis de construire de M. C..., en vertu des dispositions de l'article L.421-1-6 du code de l'urbanisme alors applicable, et ont émis le courrier du 21 juin 2006 portant notification du délai d'instruction au pétitionnaire, la connaissance du dossier de demande de M. C... dans le cadre de cette instruction ne saurait valoir transmission de l'entier dossier de demande au préfet en application des dispositions de l'article R. 421-35 du code de l'urbanisme alors en vigueur, et n'était ainsi pas de nature à faire courir le délai du déféré préfectoral. Dans ces conditions, le principe de sécurité juridique, s'il implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps et fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment par les tiers un permis de construire, ne pouvait empêcher la préfète de déférer le permis de construire tacite litigieux, dont elle n'a eu connaissance que le 26 juin 2018, au tribunal administratif de Bordeaux, alors même que ce permis, dont l'existence a été reconnue par la cour d'appel de Bordeaux dans son arrêt du 1er mars 2016, serait né douze ans auparavant.
9. Il résulte de qui précède que les fins de non-recevoir opposées par la commune à l'encontre du déféré de la préfète de la Dordogne en première instance doivent être écartées.
Sur le fond :
10. En premier lieu, l'autorité de chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives, ainsi qu'aux administrations, s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.
11. Il ressort des termes de l'arrêt de la 3ème chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux du 1er mars 2016 que M. C... a été relaxé des chefs d'exécution de travaux et d'utilisation des sols sans permis de construire au motif qu'il était titulaire d'un permis de construire tacite depuis le 21 juin 2006. Par ailleurs, M. C... été relaxé du chef d'exécution de travaux et d'utilisation des sols en méconnaissance du plan local d'urbanisme au motif qu'" il n'est pas suffisamment démontré que les travaux réalisés n'ont pas respecté le POS en vigueur ". Ainsi, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, alors que le préfet de la Dordogne ne conteste pas que M. C... était titulaire d'un permis de construire tacite, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'appréciation portée par le juge répressif sur la conformité des travaux réalisés par M. C... au plan d'occupation des sols en vigueur n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, contrairement à ce que soutient la commune.
12. En second lieu, si la commune se prévaut des dispositions de l'article R. 421-19 du code de l'urbanisme alors applicables, ainsi que de celles de l'article R. 424-13 du même code, applicables à la date de la demande de certificat de M. C... selon lesquelles " En cas de permis tacite ou de non-opposition à un projet ayant fait l'objet d'une déclaration, l'autorité compétente en délivre certificat sur simple demande du demandeur, du déclarant ou de ses ayants droit. " pour soutenir qu'elle était tenue de délivrer le certificat de permis de construire tacite demandé par M. C..., la délivrance de ce document ne fait pas obstacle à ce que le préfet conteste la légalité du permis de construire dont un tel certificat constate l'existence. Par suite, le moyen tiré de ce que la commune était obligée de délivrer le certificat de permis de construire sollicité par M. C... doit être écarté comme inopérant, dès lors qu'il est sans incidence sur la possibilité pour le préfet de contester la légalité du permis de construire tacite.
13. Il résulte de ce qui précède que la commune du Buisson-de-Cadouin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le permis de construire tacite de M. C....
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune du Buisson-de-Cadouin est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Buisson-de-Cadouin, au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à M. B... C... et à Mme E... A... D....
Copie en sera adressée au préfet de la Dordogne.
Délibéré après l'audience du 17 février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2022.
La rapporteure,
Charlotte IsoardLa présidente,
Brigitte Phémolant
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX01676 2