Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 22 mars 2019, le 12 octobre 2020 et le 27 novembre 2020, M. B..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 décembre 2018 en tant qu'il rejette le surplus de ses demandes ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme totale de 167 407 euros, correspondant à la différence entre le montant de l'indemnité différentielle qu'il a perçu et celui qu'il aurait dû percevoir entre le 1er octobre 1981 et le 30 avril 2017, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de procéder au réexamen de sa situation pour le calcul du montant de l'indemnité différentielle à compter du 1er mai 2017 ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les décisions relatives à sa rémunération sont entachées d'illégalité fautive dès lors que la rémunération à prendre en compte pour le calcul de la prime différentielle doit comprendre la prime de rendement maximale attribuée aux ouvriers d'État, au taux de 32 % ;
- les créances antérieures au 1er janvier 2013 ne peuvent être considérées comme étant prescrites dès lors qu'il ignorait l'existence de sa créance ;
- à titre subsidiaire, la prescription quadriennale a été interrompue par le courrier du ministre du 18 septembre 2013, qui constitue une communication écrite relative au montant de la créance, ou au plus tard par le courrier du 28 janvier 2014 qui lui a été adressé ;
- ses conclusions à fin d'injonction n'étaient pas irrecevables.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 mars 2020 et 19 novembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens de M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962 ;
- le décret n° 67-99 du 31 janvier 1967 ;
- le décret n° 89-753 du 18 octobre 1989 ;
- la décision du 13 juin 1968 relative aux taux de la prime de rendement attribuée aux ouvriers du ministère des armées ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... C...,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ancien ouvrier de l'État, a été nommé dans le corps des techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense le 1er octobre 1981. A compter de son intégration dans ce corps de fonctionnaires, il a bénéficié de l'indemnité différentielle prévue par les dispositions du décret du 23 novembre 1962 relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère des armées. Estimant que les montants qu'il avait perçus à ce titre étaient inférieurs à ceux auxquels il avait droit, il a sollicité, par un courrier du 29 mai 2017, la révision des modalités de calcul de ces montants ainsi que le versement de la somme correspondante. Une décision implicite de rejet étant née du silence gardé par l'administration, il a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner la révision du montant de son indemnité différentielle et de condamner l'État à lui verser les sommes qu'il estimait lui être dues à ce titre pour la période du 1er octobre 1981 au 31 mai 2017. Par un jugement du 17 décembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'État à verser à M. B... une somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle perçue à compter du 1er janvier 2013 et celle qu'il aurait dû percevoir en retenant une prime de rendement au taux de 32 %, assortie des intérêts à compter du 12 juin 2017 eux-mêmes capitalisés à compter du 12 juin 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure, et a rejeté le surplus de ses conclusions. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme irrecevable la demande à fin d'injonction présentée par M. B... au motif qu'elle n'avait pas le caractère de conclusions accessoires à des conclusions à fin d'annulation. Toutefois, lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables les conclusions à fin d'injonction dont ils étaient saisis. Dès lors, le jugement du 17 décembre 2018 doit être annulé en tant qu'il rejette ces conclusions.
3. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur ses autres conclusions.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. D'une part aux termes de l'article 1er du décret du 23 novembre 1962 relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère des armées : " Les techniciens d'études et de fabrications relevant du ministère des armées provenant du personnel ouvrier (...) perçoivent, le cas échéant, une indemnité différentielle ; cette indemnité est égale à la différence entre, d'une part, le salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenaient les anciens ouvriers (...) à la date de leur nomination et, d'autre part, la rémunération qui leur est allouée en qualité de fonctionnaire (...) ". L'article 6 du décret du 18 octobre 1989 portant attribution d'une indemnité compensatrice à certains techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense prévoit que : " Les dispositions du décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962 demeurent applicables : / 1° Aux techniciens supérieurs d'études et de fabrications nommés au titre de l'article 15 du décret susvisé qui bénéficiaient de ces dispositions antérieurement à leur nomination dans un corps de techniciens supérieurs d'études et de fabrications ; (...) ". L'article 3 du décret du 31 janvier 1967 relatif à la détermination des taux des salaires des techniciens à statut ouvrier du ministère des armées prévoit que : " Aux taux de salaires (...) s'ajouteront les primes et indemnités fixées par décisions interministérielles ". Enfin, la décision ministérielle du 13 juin 1968 relative aux taux de la prime de rendement attribuée aux ouvriers du ministère des armées dispose que : " I - A compter du 1er avril 1968, les primes de rendement allouées aux ouvriers et aux techniciens à statut ouvrier des armées varient de 0 à 32 p. 100 du salaire du 1er échelon du groupe professionnel auquel ils appartiennent (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ". Enfin l'article 3 de la même loi dispose : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
6. Il résulte des dispositions citées au point 4 que l'indemnité différentielle à laquelle peuvent prétendre les techniciens supérieurs d'études et de fabrications provenant du personnel ouvrier et qui en bénéficiaient antérieurement à leur intégration dans ce corps doit être calculée sur la base des émoluments correspondant au salaire le plus élevé pouvant être perçu, à la date de leur nomination, dans la profession qu'ils ont exercée avant leur intégration, auquel il convient d'ajouter, conformément à l'article 3 du décret du 31 janvier 1967 cité ci-dessus, les primes et indemnités fixées par des instructions interministérielles. Au nombre de celles-ci figure la prime de rendement, dont le taux maximum a été fixé en vertu de la décision du ministre des armées du 13 juin 1968 à 32 % du salaire du 1er échelon du groupe professionnel auquel ils appartiennent.
7. En premier lieu, si M. B... soutient qu'il doit être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 cité ci-dessus, avant le 25 août 2015, date à laquelle une affaire analogue a été jugée pour la première fois par le tribunal administratif de Rouen, la détermination du montant de sa créance résulte de l'application directe des textes cités au point 4, qui ont été régulièrement publiés. Il était ainsi loisible au requérant de demander la revalorisation de l'indemnité différentielle qu'il percevait, et le cas échéant de contester la décision de l'administration, avant l'intervention de ce jugement du tribunal administratif de Rouen. A cet égard, est sans incidence la circonstance que l'autorité administrative aurait elle-même commis une erreur dans la liquidation du montant de l'indemnité en litige.
8. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que la note du 21 juin 2013 du contrôleur général des armées dont M. B... se prévaut aurait été publiée ou lui aurait été adressée. Par suite, cette note n'a pas été de nature à interrompre la prescription à son égard. Toutefois, le courrier du 28 janvier 2014 adressé à M. B... ayant pour objet " Nouveau calcul de l'indemnité différentielle ", se réfère à cette note, laquelle rappelle les règles applicables pour mettre fin à des différences constatées dans le calcul de l'indemnité différentielle au sein du ministère et précise que ces différences " proviennent du mode de détermination de la prime de rendement qui est l'un des éléments pris en compte " et que " le montant de la prime de rendement inclus dans la rémunération ouvrière de TSO doit s'élever à 16 % du 1er échelon du groupe sommital du bénéficiaire ". Ainsi, le courrier du 28 janvier 2014, qui a trait au fait générateur de la créance de M. B..., doit donc être regardé comme une communication écrite de l'administration au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et, en conséquence, comme ayant interrompu le cours de la prescription quadriennale de cette créance. Par suite, seules les créances antérieures au 1er janvier 2010 sont prescrites.
9. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'État à lui verser la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue à compter du 1er janvier 2010 et celle qu'il aurait dû percevoir en retenant une prime de rendement au taux de 32 %.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
10. M. B... a droit aux intérêts au taux légal de la somme qui lui est due, à compter du 28 avril 2017, date de réception de sa demande indemnitaire préalable.
11. La capitalisation des intérêts a été demandée le 3 août 2018, date à laquelle était due, au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Il résulte de l'instruction, et il n'est en outre pas contesté, que l'administration a versé à M. B... la somme due en exécution du jugement attaqué et a procédé à la révision des bases de calcul de l'indemnité différentielle pour la période postérieure. Les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint à la ministre des armées de réexaminer sa demande concernant le calcul de l'indemnité différentielle à compter du 1er mai 2017 doivent donc être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'État est condamné à verser à M. B... la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue à compter du 1er janvier 2010 et celle qu'il aurait dû percevoir en retenant une prime de rendement au taux de 32 %. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2017. Ces intérêts seront capitalisés, afin de produire eux-mêmes intérêts, au 3 août 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er et en tant qu'il rejette les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B....
Article 3 : L'État versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme E... C..., première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.
La présidente,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX01168 2