Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 septembre 2020, M. E..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 18 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 février 2020 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un certificat de résidence algérien, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence algérien, subsidiairement de réexaminer sa demande, dans un délai de vingt jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement de la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
s'agissant du refus de délivrance d'un certificat de résidence algérien :
- la décision litigieuse méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans son appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- le préfet s'est estimé à tort lié par le défaut de visa long séjour pour lui refuser le bénéfice d'un titre de séjour salarié et n'a pas examiné sa situation sous l'angle de l'admission exceptionnelle au séjour en application de la circulaire du 28 novembre 2012 ;
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet a considéré que cette décision était la conséquence automatique de la décision portant refus de certificat de résidence algérien ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa vie personnelle ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2020, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant algérien né le 13 juin 1981, est entré en France le 16 novembre 2014, sous couvert d'un visa de court séjour, accompagné de sa conjointe et de leur jeune enfant malade qui est décédé le 11 décembre suivant. M. E... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français après l'expiration de la validité de son visa et le couple a donné naissance à trois enfants. M. E... a déposé, le 6 décembre 2019, une demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien en qualité de salarié. Il relève appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 5 février 2020, portant refus de délivrance de ce titre, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays à destination duquel il serait reconduit à l'issue de ce délai.
Sur la légalité du refus de certificat de résidence algérien :
2. En premier lieu, aux termes du b) de l'article 7 l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat visé par les services du ministère chargé de l'emploi, un certificat de résidence valable un an pour toutes professions et toutes régions, renouvelable et portant la mention "salarié" ; cette mention constitue l'autorisation de travail exigée par la législation française (...) ". Aux termes de l'article 9 du même accord : " (...) Pour être admis à entrer et séjourner plus de trois mois sur le territoire français au titre des articles 4, 5, 7, 7 bis al. 4 (lettre c et d) (a à d) et du titre III du protocole, les ressortissants algériens doivent présenter un passeport en cours de validité muni d'un visa de long séjour délivré par les autorités françaises. Ce visa de long séjour accompagné de pièces et documents justificatifs permet d'obtenir un certificat de résidence dont la durée de validité est fixée par les articles et titres mentionnés à l'alinéa précédent. ".
3. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté litigieux du 5 février 2020 que le préfet a, pour refuser de délivrer un certificat de résidence algérien à M. E... en qualité de salarié, retenu, d'une part, que l'intéressé ne présentait pas à l'appui de sa demande un contrat visé par les autorités compétentes conformément aux stipulations citées ci-dessus et, d'autre part, qu'il ne présentait pas un visa de long séjour prescrit par ces mêmes stipulations. Dès lors et contrairement à ce que soutient le requérant, le préfet, en lui opposant un défaut de visa de long séjour, ne s'est pas estimé en situation de compétence liée mais a seulement fait une exacte application de ces stipulations.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5° Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) " .
5. Il ressort des pièces du dossier que M. E... est entré en France à l'âge de 33 ans. Sa conjointe de même nationalité est également en situation irrégulière et rien ne fait obstacle à ce que la vie familiale de M. E... se poursuive ailleurs qu'en France, notamment en Algérie où il a vécu la majeure partie de sa vie, où ses enfants en bas âge pourront être scolarisés et où il n'est pas dépourvu d'attaches familiales puisqu'y résident son père et ses six frères et soeurs. Dans ces conditions, et alors même qu'il a travaillé en contrat à durée indéterminée du mois de juillet 2018 au mois de décembre 2019 et qu'il justifie d'une promesse d'embauche, le préfet n'a pas, en refusant de lui délivrer un certificat de résidence algérien, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus et n'a ainsi méconnu ni les stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. E....
6. En troisième lieu, portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre d'une activité salariée, soit au titre de la vie familiale. Dès lors que ces conditions sont régies de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, un ressortissant algérien ne peut utilement invoquer les dispositions de cet article à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national. Toutefois, si l'accord franco-algérien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
7. Contrairement à ce que soutient M. E..., il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de sa demande de titre déposée le 6 décembre 2019, qu'il aurait sollicité son admission exceptionnelle au séjour dans le cadre du pouvoir de régularisation discrétionnaire du préfet. Si, par une lettre du 16 janvier 2020, le conseil de l'intéressé a confirmé la demande de titre, il ne pouvait utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Au demeurant les circonstances que M. E... aurait déjà exercé en qualité de réceptionniste en hôtellerie, qu'il disposerait d'une promesse d'embauche pour un tel emploi et qu'il réside en France depuis plus de cinq années, ne sauraient suffire à caractériser une situation revêtant un caractère exceptionnel. Par suite, le préfet pouvait, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, refuser de régulariser sa situation.
8. En quatrième et dernier lieu, M. E... ne peut utilement se prévaloir de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui n'est pas au nombre de celles qui sont opposables au sens de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration dans les conditions fixées à l'article R. 312-10 du même code et, au surplus, ne comporte que des orientations générales que le ministre de l'intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en oeuvre de leur pouvoir de régularisation.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait privée de base légale par voie de conséquence de la prétendue illégalité du refus de délivrance d'un certificat de résidence algérien doit être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
11. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 5 ci-dessus, rien ne fait obstacle à ce que la vie familiale de M. E... se poursuive ailleurs qu'en France. La décision d'éloignement litigieuse n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les parents de leurs jeunes enfants et rien ne fait obstacle à ce que ces derniers poursuivent leur scolarité dans leur pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
12. En troisième et dernier lieu, M. E... se borne à reprendre en appel les moyens tirés d'une erreur de droit, de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste commise dans l'appréciation des conséquences de la décision litigieuse sur sa vie personnelle, sans critique utile du jugement et sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux. Dans ces conditions, il y a lieu, par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges, d'écarter ces moyens.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, président,
M. C... B..., président-assesseur,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2020.
Le président,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03136