1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 mai 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 5 décembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le délai de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé. En effet, il se limite à reprendre les arguments exposés par le préfet pour répondre aux moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- il est entaché d'erreurs de droit et d'erreurs manifeste d'appréciation ;
- il retient un argument, relatif à la contribution et à l'entretien des enfants français de son époux, qui n'a pas été indiqué par le préfet dans l'arrêté contesté et qui n'a pas été soumis au principe du contradictoire ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de ce que le bulletin n° 2 de son casier judiciaire a été produit par l'administration en méconnaissance de l'article 776 du code de procédure pénale et que ce document a été communiqué par le préfet en violation de l'article 777-3 du même code.
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
- la décision est entachée d'un vice de procédure dès lors que l'article 776 du code de procédure pénale ne prévoit pas que le bulletin n° 2 du casier judiciaire puisse être délivré à l'administration dans le cadre de l'examen d'une demande d'admission au séjour du conjoint d'un ressortissant étranger. De plus, en application de l'article 777-3 du même code, les arguments tirés par le préfet de la production du casier judiciaire de son époux devront être considérés comme inopérants ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en vertu de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour, eu égard aux pièces qu'elle a versées au dossier. Elle justifie de l'ancienneté de la communauté de vie avec son époux et de sa présence en France depuis l'année 2012, ses enfants sont scolarisés et ne sauraient être séparés de l'un de leurs parents. Ces éléments n'ont pas été pris en compte par l'autorité préfectorale alors que son admission au séjour répond à des considérations humanitaires et à des motifs exceptionnels ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle apporte la preuve d'une résidence ancienne et continue en France, que de nombreux éléments attestent de ce qu'elle vit depuis six ans avec son compagnon titulaire d'une carte de résident, qui exerce une activité professionnelle en qualité de maçon et doit rester sur le territoire national où résident ses deux premiers enfants, de nationalité française, pour lesquels un droit de visite lui a été reconnu par un jugement de divorce de 2010 ;
- la même décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant puisqu'elle implique nécessairement une séparation durable des enfants avec l'un de leurs parents ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et procède d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de ses conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête en s'en remettant à ses écritures de première instance dont il joint une copie.
Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 août 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné M. Nicolas Normand pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...,
- et les observations de Me Da Ros, avocat, représentant MmeE....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C...E..., ressortissante turque née le 8 janvier 1995, est entrée irrégulièrement en France au cours du mois de novembre 2011 selon ses déclarations. Le 14 novembre 2016, elle a sollicité son admission au séjour sur le fondement des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 décembre 2017, le préfet de la Gironde a pris à son encontre un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme E...relève appel du jugement du 17 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 5 décembre 2017 :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. Cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme E...ont deux enfants nés à Lormont le 1er mars 2013 et le 15 novembre 2014 et qu'ils se sont mariés le 8 octobre 2016. Il ressort également des pièces du dossier que M. E...est titulaire d'une carte de résident. Par ailleurs si le préfet de la Gironde a estimé dans l'arrêté litigieux que Mme E...ne justifiait pas de la durée alléguée de son séjour en France, il n'est néanmoins pas contesté qu'elle y résidait en 2016, date de sa demande de titre de séjour, et en 2017, et les pièces produites, dont certaines pour la première fois en appel, notamment des factures de gaz et d'électricité et un contrat de prêt, permettent d'établir sa présence en France en 2015, juste après la naissance de leur deuxième enfant à Lormont en novembre 2014. Ainsi, Mme E...justifie résider en France depuis au moins trois ans à la date de l'arrêté en litige. Dès lors, eu égard à l'ensemble de ces circonstances, et alors même que son mari a été condamné le 11 août 2016 par le tribunal correctionnel de Bordeaux à 2 ans d'emprisonnement dont 1 an et 3 mois avec sursis pour violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité supérieure à 8 jours, l'arrêté du 5 décembre 2017 a porté au droit de Mme E...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel il a été pris en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, que Mme E...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
6. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle et ressortant des pièces du dossier, la délivrance à l'intéressée d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, sur le fondement des dispositions précitées, d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à Mme E...ce titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens :
7. Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 août 2018. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à Me Da Ros, conseil de MmeE..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800528 du tribunal administratif de Bordeaux en date du 17 mai 2018 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 5 décembre 2017 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme E...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Da Ros, avocate de MmeE..., une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E..., au ministre de l'Intérieur, au préfet de la Gironde et à Me Da Ros.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président,
M. Paul-André Braud, premier conseiller,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 23 mai 2019
Le rapporteur,
Paul-André A... Le président,
Marianne POUGET Le greffier,
Mme D...B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
18BX03413