Procédures devant la cour :
I) Par une requête enregistrée le 18 mai 2018 sous le n°18BX02012, le préfet des Deux-Sèvres demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers du 20 avril 2018.
Il soutient que le guide du demandeur d'asile a bien été remis à M. C...par le préfet de la Vienne lors de l'entretien individuel du 23 novembre 2017 ; l'absence de transmission en première instance de la preuve de cette communication n'est qu'un simple oubli, sans incidence sur la régularité de la procédure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2018, M. A...C..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête du préfet des Deux-Sèvres et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 2 000 euros à verser à son conseil et, dans l'hypothèse où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas accordée, de mettre à la charge de l'Etat la même somme sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le préfet des Deux-Sèvres ne sont pas fondés.
II) Par une requête enregistrée le 18 mai 2018 sous le n°18BX02015, le préfet des Deux-Sèvres demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement susmentionné.
Il soutient que sa requête au fond contient des moyens sérieux de nature à entraîner l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. A...C...devant le magistrat désigné par le président tribunal administratif de Poitiers.
Par une ordonnance en date du 11 juin 2018, la clôture de l'instruction, dans les instances n°18BX02012 et n°18BX02015, a été fixée au 16 juillet 2018 à 12 heures.
Par une décision du 25 novembre 2018, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a décidé le maintien de plein droit de M. C...au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison d'empreintes digitales aux fins de l'application effective du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour son application ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné M. Nicolas Normand pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Agnès Bourjol a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant arménien irrégulièrement entré en France le 6 octobre 2017, a présenté une demande d'asile à la préfecture de la Vienne le 23 novembre 2017. L'examen de ses empreintes décadactylaires dans le fichier Visabio a révélé qu'il était en possession d'un visa périmé depuis moins de six mois délivré par les autorités italiennes. Le 9 janvier 2018, une demande de prise en charge de M. C...a été adressée aux autorités italiennes, lesquelles ont implicitement accepté leur responsabilité par un accord intervenu le 9 mars 2018. Le préfet des Deux-Sèvres a décidé, par deux arrêtés du 16 avril 2018, de transférer l'intéressé aux autorités italiennes et de l'assigner à résidence. Par une requête enregistrée sous le n°18BX02012, le préfet des Deux-Sèvres relève régulièrement appel du jugement du 20 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé ses deux arrêtés et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. C...dans le délai d'un mois suivant la notification dudit jugement. Par une requête enregistrée sous le n°18BX02015, le préfet des Deux-Sèvres demande qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 4. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative du guide du demandeur d'asile prévu par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
3. Pour annuler la décision de transfert de M. C...aux autorités italiennes, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a relevé que si le préfet des Deux-Sèvres produisait des copies signées par le requérant attestant qu'il a reçu l'information relative au système Eurodac ainsi que la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B intitulée : " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue arménienne, en revanche, il n'était pas établi que l'intéressé s'était vu remettre le guide du demandeur d'asile, contenant les informations exigées par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 précité. Toutefois, il ressort des pièces produites pour la première fois en appel par l'autorité préfectorale que M. C...s'est vu remettre à l'occasion de l'entretien individuel du 23 novembre 2017 le guide du demandeur d'asile. M. C...a reconnu avoir reçu ce guide en datant et signant la page principale de ce dernier dont le préfet produit une copie en appel. La mention de la date du 23 octobre 2017 au lieu de celle du 23 novembre 2017 figurant sur la première page du guide du demandeur d'asile au-dessus de la signature de l'intéressé constitue, à cet égard, une simple erreur de plume. Il suit de là que, compte tenu des éléments versés par le préfet en appel, l'arrêté de transfert attaqué n'est pas entaché d'illégalité sur ce point. Dans ces conditions, le préfet des Deux-Sèvres est fondé à soutenir que le moyen retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers n'était pas de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté litigieux portant transfert de M. C...vers l'Italie ainsi que, par voie de conséquence, de l'arrêté prononçant son assignation à résidence.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C...devant le tribunal administratif de Poitiers et en appel.
5. Aux termes des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Entretien individuel / 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. (...) 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre doivent, afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable de la demande d'asile, mener un entretien individuel avec le demandeur à l'effet de veiller à ce que celui-ci ait reçu et comprenne les informations prévues à l'article 4.
6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.
7. Le préfet soutient que M. C...a bénéficié d'un entretien individuel le 23 novembre 2017 le jour où ce dernier s'est présenté à la préfecture de la Haute-Vienne pour y déposer sa demande d'asile, à l'occasion duquel il a bénéficié de l'assistance d'un interprétariat par téléphone en langue arménienne. Toutefois, la seule production d'une part, de l'attestation d'interprétariat, d'autre part, du formulaire intitulé " Information-mise en oeuvre du Règlement Dublin III ", informant l'intéressé que le préfet avait saisi les autorités italiennes, qu'il estimait responsables de l'examen de sa demande d'asile, au motif que cet Etat avait délivré à M. C...un visa périmé depuis au moins six mois, ne suffisent, ni à établir qu'à l'issue de l'entretien a été réalisé un résumé auquel le requérant aurait eu accès, ni que les obligations fixées au même article auraient été satisfaites. Ainsi, le vice affectant le déroulement de la procédure prévue par les dispositions précitées de l'article 5 du Règlement (UE) n°604/2013 a privé M. C...d'une garantie.
8. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de substituer le motif, exposé au point 7, au motif retenu par le premier juge dans le jugement attaqué, dont il justifie légalement le dispositif d'annulation.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Deux-Sèvres n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé ses arrêtés du 16 avril 2018 par lesquels il a, d'une part, décidé le transfert de M. A...C...aux autorités italiennes et, d'autre part, a prononcé son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
10. Le présent arrêt, qui statue sur la requête du préfet des Deux-Sèvres à fin d'annulation du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers du 20 avril 2018, rend sans objet ses conclusions à fin de sursis à exécution de ce jugement.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. M. C...a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat à verser au conseil de M. C...une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions, sous réserve que Me B...renonce à percevoir la somme correspondante à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle
DECIDE :
Article 1er : La requête n°18BX02012 du préfet des Deux-Sèvres est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n°18BX02015 du préfet des Deux-Sèvres.
Article 3 : L'Etat versera à MeB..., conseil de M. A...C..., une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B...renonce à percevoir la somme correspondante à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Une copie sera adressée au préfet des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président,
M. Paul-André Braud, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, conseiller.
Lu en audience publique, le 26 octobre 2018.
Le rapporteur,
Agnès Bourjol
Le président,
Marianne PougetLa greffière,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX02012, 18BX02015