Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2017, Mme B...épouseC..., représentée par Me Benhamida, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 décembre 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 28 juin 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il n'a pas statué sur l'atteinte à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de l'interprétation de l'article 10 du règlement CE n° 492/911 par la Cour de justice de 1'Union européenne dans son arrêt C-413/99 du 17 septembre 2002; or, elle a fait valoir que ses enfants de nationalité espagnole sont scolarisés sur le territoire et qu'elle a droit à une carte de séjour en qualité de mère d'enfants européens :
- en estimant que " l'exercice d'une activité professionnelle doit procurer à celui qui l'exerce des revenus suffisants pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille ", le tribunal a ajouté une condition non prévue par le 1° de l'article L 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et entaché sa décision d'une erreur de droit. La même erreur entache la décision du préfet, les conditions prévues par cet article étant alternatives et non cumulatives ;
- l'exercice effectif de l'activité professionnelle par le conjoint de l'appelante, de nationalité espagnole, qui exerce la profession de forain, n'est pas remis en cause, de sorte que l'autorité préfectorale ne pouvait opposer à cette dernière l'absence de ressources suffisantes de son conjoint pour lui refuser la délivrance d'un titre de séjour ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; son conjoint et ses quatre enfants, respectivement scolarisés en DUT, première ES, 3ème et 4ème, ont un droit au séjour et dans ce cas la condition de ressources est inopposable ;
- l'obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle est insuffisamment motivée au regard des critères fixés par l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elle méconnaît ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2017, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête en s'en rapportant à ses écritures de première instance.
Par ordonnance du 31 janvier 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 8 mars 2017.
Mme Karruch Belhadia été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 12 janvier 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Catherine Girault,
- et les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A...B...épouseC..., ressortissante marocaine, née le 21 septembre 1972, est entrée en France en compagnie de son époux de nationalité espagnole le 1er août 2014, selon ses déclarations. Le 3 novembre 2015, elle a sollicité un titre de séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant européen. Par un arrêté du 28 juin 2016, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme Karruch Belhadirelève appel du jugement n°1603795 du 16 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : 1° S'il exerce une activité professionnelle en France ; 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; 3° S'il est inscrit dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantit disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 5° afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; 4° S'il est un descendant direct âgé de moins de vingt et un ans ou à charge, ascendant direct à charge, conjoint, ascendant ou descendant direct à charge du conjoint, accompagnant ou rejoignant un ressortissant qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; 5° S'il est le conjoint ou un enfant à charge accompagnant ou rejoignant un ressortissant qui satisfait aux conditions énoncées au 3° ". Aux termes de l'article L. 121-3 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le membre de famille visé aux 4° ou 5° de l'article L. 121-1 selon la situation de la personne qu'il accompagne ou rejoint, ressortissant d'un Etat tiers, a le droit de séjourner sur l'ensemble du territoire français pour une durée supérieure à trois mois. S'il est âgé de plus de dix-huit ans ou d'au moins seize ans lorsqu'il veut exercer une activité professionnelle, il doit être muni d'une carte de séjour. Cette carte, dont la durée de validité correspond à la durée de séjour envisagée du citoyen de l'Union dans la limite de cinq années, porte la mention : " carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union.".
3. Il résulte de ces dispositions combinées que le ressortissant d'un Etat tiers ne dispose d'un droit au séjour en France en qualité de conjoint d'un ressortissant de l'Union européenne que dans la mesure où son conjoint remplit lui-même les conditions fixées au 1° ou au 2° de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont alternatives et non cumulatives. Les dispositions du 1° de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui assurent la transposition en droit interne de la directive n° 2004/38/CE, doivent être interprétées à la lumière du droit communautaire, et plus particulièrement de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés Européennes relative à la notion de " travailleur " au sens de l'article 39 CE, devenu article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il résulte notamment de la décision du 4 juin 2009, C-22/08 et C-23/08, " Athanasios Vatsouras et Josif Koupatantze " que doit être considérée comme " travailleur " toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires.
4. Le préfet de la Haute-Garonne a refusé d'accorder le titre de séjour à Mme Karruch Belhadien relevant que si son conjoint exerce une activité d'auto-entrepreneur en France, il ne justifie pas disposer de ressources suffisantes pour lui-même et sa famille afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale français, compte tenu du fait qu'il ne déclare au titre de son activité de commerçant ambulant qu'un chiffre d'affaires de 1200 euros par trimestre, soit 400 euros par mois. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'activité de M.Karruch El Belhadi, couverte par une carte délivrée par la CCI de Toulouse permettant l'exercice d'une activité commerciale ambulante, est dûment déclarée au régime social des indépendants depuis au moins le début de l'année 2015, avec des chiffres d'affaires faibles mais en progression, et n'est pas contestée dans sa réalité. Dans ces conditions, les circonstances que les ressources déclarées qu'elle procure à sa famille soient encore modestes au regard des sommes perçues de la caisse d'allocations familiales, et que Mme Karruch Belhadibénéficie de la couverture maladie universelle, ne pouvaient légalement justifier la négation d'un droit au séjour de l'époux de la requérante, ni par suite le refus de séjour en litige.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ni sur les autres moyens de la requête, que Mme Karruch Belhadiest fondée à soutenir qu'elle remplissait les conditions prévues au 4° de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour bénéficier d'un droit à séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois, et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 28 juin 2016.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Le présent arrêt, eu égard aux motifs qui fondent l'annulation qu'il prononce et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans la situation de droit ou de fait y fasse obstacle, implique nécessairement que le préfet de la Haute-Garonne délivre à la requérante une carte de séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant de l'Union européenne. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à cette délivrance dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais non compris dans les dépens :
7. Mme Karruch Belhadia obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Benhamida de la somme de 1 000 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 décembre 2016 et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 28 juin 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme Karruch El Belhadiune carte de séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant de l'Union européenne dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Benhamida la somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...épouseC..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2017.
Le président-assesseur,
Jean-Claude PAUZIÈSLe président-rapporteur,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 17BX00065