Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 mai 2016 et des mémoires enregistrés le 1er mars 2017 et le 15 janvier 2018, la commune de Saint-Pierre-d'Oléron, représentée par la Scp Drouineau Cosset Bacle, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 mars 2016 ;
2°) de rejeter la demande de la société Cojiprom et l'intervention de Me E...;
3°) de mettre à la charge de la société Cojiprom une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en jugeant qu'elle avait donné à la société Cojiprom une " impression trompeuse de sécurité juridique " tout en relevant par ailleurs que cette société était conseillée par des professionnels, le tribunal a entaché sa décision de contradiction de motifs ;
- la société Cojiprom ne peut lui reprocher de ne pas l'avoir informée de l'annulation du plan local d'urbanisme dès lors qu'elle-même ne disposait pas de cette information à la date du certificat d'urbanisme délivré le 28 novembre 2007 ;
- dès lors que la société Cojiprom doit être regardée comme demandant la mise en jeu de sa responsabilité à raison des conditions de passation de l'acte de vente de la parcelle en cause, pour lequel est en cause un dol, la juridiction administrative n'est pas compétente ;
- sa responsabilité est atténuée dès lors que la société Cojiprom et la société Cojim sont des professionnels de l'immobilier ;
- l'acte de vente ayant été conclu le 21 décembre 2007 et le plan local d'urbanisme de la commune ayant été annulé par jugement du 6 décembre 2007, le défaut d'information par le notaire de la société Cojiprom de cette annulation dont il avait nécessairement connaissance doit atténuer la responsabilité de la commune; les premiers juges n'ont pas répondu pertinemment au moyen tiré du caractère exonératoire de la faute commise par le notaire de la société Cojiprom ;
- les fautes commises par le cabinet d'architectes de la société Cojiprom doivent également l'exonérer de sa responsabilité ;
- le préjudice résultant de l'acquisition du terrain n'est pas la conséquence directe de l'illégalité du permis de construire ; le tribunal n'a pas répondu sur ce point ;
- la société Cojiprom n'établit pas la perte de valeur du terrain litigieux ;
- si la délivrance d'un permis de construire illégal est de nature à engager la responsabilité de la collectivité, elle n'est pas directement à l'origine de la perte de valeur vénale du terrain acquis par la société Cojiprom ;
- la société Cojiprom ne peut demander à être indemnisée du manque à gagner dès lors que du fait de l'annulation de son certificat d'urbanisme le 2 décembre 2010 et de son permis de construire le 14 juin 2012, elle doit être regardée comme n'ayant jamais obtenu de droit à construire et le bénéfice, au demeurant éventuel, qu'elle aurait pu retirer de la construction envisagée serait résulté d'une opération illégale ;
- le permis de construire ayant été délivré le 11 février 2010, tous les frais antérieurs à cette date doivent être exclus du champ d'indemnisation comme ne présentant pas de lien de causalité directe ; il en va de même des frais engagés à compter du 15 janvier 2009, date d'enregistrement de la requête à l'encontre du certificat d'urbanisme, et du 8 avril 2010, date d'enregistrement de la requête à l'encontre du permis de construire, dès lors que la société requérante ne pouvait à compter de ces deux dates engager de nouveaux frais destinés à réaliser son projet immobilier sans commettre une faute d'imprudence ;
- certains frais dont le remboursement est demandé ne sont pas établis ;
- le montant des préjudices allégués doit être retenu hors taxe sur la valeur ajoutée dès lors que la société requérante était en droit de récupérer la TVA ;
- la parcelle concernée demeure constructible, de telle sorte que la société requérante ne peut prétendre qu'à l'indemnisation des charges correspondant à des prestations ou travaux engagés inutilement pour le projet ;
- le jugement est irrégulier, les premiers juges ayant omis de statuer sur le lien de causalité existant entre la délivrance par la commune d'informations erronées, l'annulation du permis de construire et du certificat d'urbanisme et le préjudice invoqué de la perte de valeur du terrain ;
- si les premiers juges ont entendu condamner la commune sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait des servitudes d'urbanisme, en l'occurrence l'adoption du nouveau plan local d'urbanisme le 1er décembre 2011, le jugement est irrégulier dès lors que l'information prévue par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative n'a pas été effectuée ;
- si les premiers juges ont entendu condamner la commune en raison de la faute que constitue l'illégalité du plan local d'urbanisme adopté en juillet 2006, ayant entraîné le dommage consistant en son annulation le 6 décembre 2007, puis l'adoption du nouveau plan local d'urbanisme le 1er décembre 2011, le jugement est irrégulier car les premiers juges ont statué ultra petita ;
- si le dommage à prendre en compte résulte de l'annulation du plan local d'urbanisme du 11 juillet 2006 par le jugement du 6 décembre 2007, la créance de la société Cojiprom est prescrite au regard de la loi du " 1er décembre 1968 " depuis le 31 décembre 2011 ;
- le tribunal a incorrectement interprété les écritures de la société Cojiprom en estimant qu'elle invoquait l'illégalité du plan local d'urbanisme de 2006 comme faute de nature à engager sa responsabilité ;
- compte tenu des nouvelles règles d'urbanisme applicables depuis mai 2016, la valeur vénale du terrain peut à nouveau être estimée, comme initialement en 2007, entre 3 millions d'euros et 3,1 millions d'euros ;
- l'intervention de M.E..., qui ne démontre pas que la décision juridictionnelle à intervenir est susceptible de le léser, est irrecevable.
Par des mémoires enregistrés le 20 juillet 2016 et le 11 août 2017, M.E..., représenté par la SCP A...-Gillet-Briand, conclut à ce que la commune de Saint-Pierre-d'Oléron soit condamnée à indemniser la société Cojiprom de l'intégralité de son préjudice et à ce que soit mise à sa charge, ou à celle de toute partie succombante, une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par lui et la société Mutuelles du Mans Assurances au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en qualité de notaire chargé d'une mission de conseil et de la vente, il présente un intérêt suffisant pour que son intervention soit recevable eu égard à la nature et à l'objet du litige, et alors que le tribunal de grande instance de Versailles a sursis à statuer le 20 janvier 2014 sur l'action engagée contre lui ;
- c'est à tort que le tribunal a opéré un partage de responsabilité entre la société Cojiprom et la commune de Saint-Pierre-d'Oléron dès lors que ce n'est qu'en raison de la délivrance du certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007 et des informations erronées fournies par la commune le 25 juillet 2008 que la société Cojiprom a engagé les sommes dont elle demande le remboursement ;
- en s'abstenant d'informer la société Cojiprom de l'annulation du plan local d'urbanisme puis en laissant croire que, malgré cette annulation le certificat d'urbanisme permettrait d'obtenir un permis de construire, la commune s'est rendue coupable de dol ;
- la responsabilité du notaire ne peut être recherchée au titre de son mandat, qui ne comprenait pas de mission tendant à la vérification de la faisabilité du programme immobilier envisagé par la société Cojiprom aux règles d'urbanisme, laquelle relevait de la mission de l'architecte ;
- il ne peut lui être reproché aucun manque de diligence et aucun manquement à son devoir de conseil, alors qu'il avait attiré l'attention sur les risques encourus tant sur le caractère non définitif des délibérations relatives au déclassement du vélodrome et à sa vente que sur l'insuffisance d'un simple certificat d'urbanisme pour assurer la faisabilité de l'opération au regard des règles d'urbanisme.
Par des mémoires en défense enregistrés le 28 décembre 2016, le 8 janvier 2018 et le 22 mars 2018 la société Cojiprom, représentée par MeB..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce que le jugement soit réformé en tant qu'il a prononcé un partage de responsabilité et à ce que la commune soit condamnée à lui verser une somme de 9 638 278,85 euros ;
3°) subsidiairement, à ce que soit reconnue une part de responsabilité plus importante à la charge de la commune et à ce qu'elle soit condamnée à lui verser une somme de 8 636 372,15 euros ;
4°) à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Pierre-d'Oléron une somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est bien compétente pour statuer sur les fautes de la commune dans l'instruction de demandes en matière d'urbanisme ;
- aucune prescription ne peut être opposée à sa demande, le délai n'ayant commencé à courir qu'à l'annulation en 2010 du certificat d'urbanisme ;
- le fait qu'elle n'ait pas été " alertée " par la rapidité avec laquelle le certificat d'urbanisme lui a été délivré ne peut caractériser une imprudence fautive de sa part dès lors que la commune s'en était justifiée par des motifs tirés de son organisation interne ;
- la formulation juridiquement erronée du courrier de la commune du 25 juillet 2008 ne peut non plus lui être reprochée dès lors que ce courrier résulte d'une démarche de sa part visant à se faire confirmer la faisabilité de son projet immobilier ;
- son préjudice comprend, compte tenu des nouvelles contraintes de construction, le remboursement d'une partie du prix d'acquisition évaluée à 2 000 000 d'euros, ainsi que tous les frais engagés pour un montant de 1 517 278,85 euros, et la perte de marge commerciale pour un montant de 6 121 000 euros ; c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur la valeur estimée par les services des domaines, alors qu'il convenait de se référer au prix réellement payé de 4 000 000 d'euros ; quant aux dépenses engagées, a minima doivent être remboursés les 515 372,15 euros engagés avant d'apprendre l'existence d'une requête contre le certificat d'urbanisme ;
- les autres moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés ;
- en sa qualité de notaire, il appartenait à M.E..., même en l'absence de tout mandat en ce sens, de se renseigner auprès des services de la commune pour savoir si le plan local d'urbanisme était purgé de tout recours ; au titre de son devoir de conseil, il se devait de tout faire pour rendre le projet réalisable, ce qu'il n'a pas fait, ce qui caractérise un manquement à ce devoir de conseil ;
- l'intervention des locateurs d'ouvrage ne saurait servir d'excuse au comportement de la commune ni de justification au partage de responsabilité.
Par ordonnance du 27 avril 2018 prise en application des articles R. 611-11-1 et
R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée au 27 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. David Terme,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant la commune de Saint-Pierre-d'Oléron, les observations de MeB..., représentant la société Cojiprom et les observations de MeA..., représentant M.E....
Considérant ce qui suit :
1. Le 28 novembre 2007, le maire de Saint-Pierre-d'Oléron a délivré à M.C..., architecte, sous l'empire du plan local d'urbanisme approuvé le 11 juillet 2006, un certificat d'urbanisme opérationnel positif pour la réalisation d'un programme immobilier de 161 logements porté par la société Cojiprom sur une parcelle de 2,3 hectares dite " site du Vélodrome ", qui appartenait alors à la commune. Ce certificat mentionnait la situation en zone Ubb du plan local d'urbanisme, avec une SHON susceptible d'être édifiée de 17 481 mètres carrés, sous réserve de l'application du règlement de la zone. Par un jugement n° 0602240 du 6 décembre 2007, le tribunal administratif de Poitiers a annulé le plan local d'urbanisme. Le 21 décembre 2007, la commune, après avoir déclassé le terrain de son domaine public par délibération du 12 décembre 2007, l'a vendu à la société Cojiprom afin de permettre la réalisation du projet objet du certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007. Le 14 mai 2009, la société Cojiprom a déposé une demande de permis de construire, qui lui a été délivré le 11 février 2010 au visa du certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007, pour une surface créée de 14 109 mètres carrés. Par un jugement n° 0900108 du 2 décembre 2010, le tribunal administratif de Poitiers a toutefois annulé le certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007, puis, par un jugement n° 1000819 du 14 juin 2012, le permis de construire délivré le 11 février 2010. Estimant que ces annulations rendaient impossible la réalisation d'une opération immobilière rentable, compte tenu des règles résultant du nouveau plan local d'urbanisme approuvé le 1er décembre 2011, la société Cojiprom a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Pierre-d'Oléron à l'indemniser des préjudices qu'elle impute à l'absence d'information par la commune de l'annulation du plan local d'urbanisme avant la délivrance du certificat d'urbanisme le 28 novembre 2007 et la conclusion de la vente du terrain, à l'illégalité de ce certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007 et du permis de construire du 11 février 2010, et enfin aux informations erronées que la commune lui a délivrées en indiquant qu'elle pourrait malgré tout mener à bien son projet sous l'empire du plan local d'urbanisme annulé. La commune de Saint-Pierre-d'Oléron relève appel du jugement du 17 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers l'a condamnée à verser à la société Cojiprom, après avoir retenu à l'encontre de cette dernière plusieurs fautes d'imprudence de nature à l'exonérer à hauteur de la moitié de sa responsabilité, la somme de 500 000 euros.
Sur la recevabilité de l'intervention de Me E...en première instance :
2. Toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige est recevable à former une intervention. Toutefois, et même si la commune de Saint-Pierre-d'Oléron soutient que Me E...aurait commis, en sa qualité de notaire de la société Cojiprom, des fautes susceptibles de l'exonérer totalement de sa responsabilité, il n'en résulte pas que ce dernier disposerait de ce fait d'un intérêt suffisant pour intervenir dans le présent litige qui concerne l'indemnité à accorder à la société Cojiprom. Par suite, M. E...n'est pas fondé à se plaindre que les premiers juges ont refusé d'admettre son intervention.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, la demande de la société Cojiprom tend à la condamnation de la commune de Saint-Pierre-d'Oléron à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait, d'une part, de l'illégalité du certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007 et du permis de construire du 11 février 2010, et, d'autre part, du caractère erroné des renseignements et informations que la commune lui a fournis quant à la faisabilité de son projet immobilier à la suite de l'annulation par le tribunal administratif de Poitiers de son plan local d'urbanisme. Elle se prévaut donc de fautes commises dans l'exercice par la commune d'une mission de service public administratif dont l'appréciation et la réparation éventuelle relèvent de la compétence de la juridiction administrative.
4. En deuxième lieu, le tribunal a estimé que la responsabilité de la commune était engagée du fait de l'illégalité du certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007, de celle du permis de construire du 11 février 2010, et du comportement encourageant de la commune malgré l'annulation de son plan local d'urbanisme. En indiquant qu'un des préjudices invoqués découlait de la variation de la valeur du terrain à la date à laquelle il se prononçait, soit au regard des règles en vigueur du plan local d'urbanisme applicable, il n'a pas jugé que l'illégalité du plan local d'urbanisme adopté en 2006 et annulé en 2007, qui n'était pas invoquée, engageait la responsabilité de la commune, ni n'a retenu de responsabilité sans faute de la commune au titre des servitudes instituées par le plan local d'urbanisme adopté en 2011. Par suite, les moyens tirés de ce que les premiers juges auraient omis de procéder à l'information préalable prévue par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ou auraient statué au-delà des conclusions dont ils étaient saisis doivent être écartés.
5. En troisième lieu, le tribunal a suffisamment motivé son jugement quant au lien de causalité unissant les fautes qu'il a retenues et la perte de valeur vénale du terrain en relevant que " la délivrance du certificat a pu néanmoins donner à la société Cojiprom une impression trompeuse de sécurité juridique l'amenant à exposer des frais de façon inconsidérée ", ce qui s'applique nécessairement en premier lieu à l'acquisition du terrain.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :
6. En vertu des dispositions du premier alinéa de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ". La commune de Saint-Pierre-d'Oléron, ne s'étant pas prévalue de la prescription des créances de la société Cojiprom avant que le tribunal administratif de Poitiers ne se prononce sur le fond du litige, n'est pas recevable à opposer pour la première fois en appel l'exception de prescription quadriennale.
En ce qui concerne la responsabilité :
S'agissant des fautes de la commune :
7. En premier lieu, pour contester le jugement attaqué en tant qu'il a retenu que la commune avait commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, la commune de Saint-Pierre-d'Oléron soutient qu'à la date à laquelle elle a délivré son certificat d'urbanisme à la société Cojiprom, le 28 novembre 2007, elle ne pouvait savoir que le plan local d'urbanisme allait être annulé. Toutefois, d'une part, un tel moyen ne peut être utilement invoqué pour contester l'existence de la faute retenue par le tribunal consistant dans le défaut d'information de l'annulation du plan préalablement à la vente du terrain, qui a eu lieu le 21 décembre 2007, date à laquelle il n'est pas contesté que la commune avait connaissance du jugement du tribunal du 6 décembre 2007. D'autre part, en relevant que la délivrance du certificat d'urbanisme a pu donner à la société Cojiprom une " impression trompeuse de sécurité juridique " pour admettre que celle-ci ait pu exposer sur ce fondement des sommes importantes, les premiers juges n'ont pas estimé que la délivrance de ce certificat était fautive en raison d'un défaut d'information préalable ou concomitant du risque d'annulation du plan local d'urbanisme, mais à raison de son illégalité propre.
8. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Saint-Pierre-d'Oléron aurait informé la société Cojiprom de l'annulation ou même seulement du risque d'annulation de son plan local d'urbanisme par le tribunal administratif de Poitiers avant le 21 juillet 2008, alors que la vente du terrain d'assiette du projet a été conclue le 21 décembre 2007 et que l'affaire avait été audiencée le 22 novembre 2007 et le jugement lu le 6 décembre suivant. C'est donc à bon droit que le tribunal a retenu que ce défaut d'information, relatif à une caractéristique déterminante de l'objet de la vente, est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
9. En troisième lieu, le certificat d'urbanisme délivré le 28 novembre 2007 a été annulé par le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 décembre 2010 aux motifs d'une part qu'il était entaché d'un vice de procédure pour n'avoir pas été précédé du recueil des avis nécessaires, et d'autre part qu'il méconnaissait les articles UB 5 et UB 12 du plan d'occupation des sols remis en vigueur par l'annulation du plan local d'urbanisme, le tribunal ayant jugé que le certificat ne pouvait garantir l'application de dispositions illégales. Le permis de construire délivré le 11 février 2010 a été annulé quant à lui par le jugement du 14 juin 2012 du même tribunal pour méconnaissance des articles UB 5, UB 6, UB 7, UB 10, UB 12 et UB 14 du plan d'occupation des sols remis en vigueur. De telles illégalités, prononcées pour des motifs de fond et constatées par des jugements dont la commune n'a pas relevé appel, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Pierre-d'Oléron.
10. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que lorsque la société Cojiprom s'est inquiétée des conséquences de l'annulation du plan local d'urbanisme sur le certificat d'urbanisme, la commune de Saint-Pierre-d'Oléron lui a adressé un courrier le 25 juillet 2008 indiquant que malgré l'annulation du plan local d'urbanisme, le certificat d'urbanisme " [restait] valable et [conservait] les droits du PLU pendant 18 mois ". En confortant ainsi la société Cojiprom dans l'idée que son projet immobilier était réalisable dans les conditions prévues par le certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007, et alors même qu'était jointe à ce courrier une note émanant du directeur départemental de l'équipement affirmant le contraire, la commune de Saint-Pierre-d'Oléron a fourni à la société une information erronée et au minimum susceptible d'induire la société Cojiprom en erreur, et commis une autre faute de nature à engager sa responsabilité.
S'agissant du lien de causalité :
11. Ni l'absence d'information de la société Cojiprom de l'annulation du plan local d'urbanisme de la commune approuvé le 11 juillet 2006, ni l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré le 28 novembre 2007, ni celle du permis de construire du 11 février 2010 ne présentent de lien de causalité avec la perte de bénéfices invoquée, dès lors que l'opération n'aurait pu légalement aboutir en raison de l'annulation par le jugement du 6 décembre 2007 du plan local d'urbanisme approuvé le 11 juillet 2006. Il y a donc lieu de rejeter les conclusions tendant à son indemnisation.
12. En revanche, dès lors qu'il est constant que la société Cojiprom a acquis ce terrain dans le seul but d'y réaliser le programme immobilier en cause, elle a droit au remboursement des frais d'acquisition qu'elle a exposés dans le cadre de ce projet d'aménagement à hauteur de la partie du prix d'achat qui n'aurait pas excédé la valeur normale des biens et déduction faite de leur valeur vénale résiduelle.
13. Elle a également droit au remboursement des frais exposés antérieurement à l'annulation du certificat d'urbanisme par le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 décembre 2010, dont elle justifie et qui présentent un lien direct avec la faute commise par la commune de Saint-Pierre-d'Oléron en fournissant des informations erronées quant à la faisabilité de son projet et au maintien de l'applicabilité des dispositions du plan local d'urbanisme approuvé en 2006.
S'agissant du partage de responsabilité :
14. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société Cojiprom est une société civile de construction vente dont les associées, les sociétés JMJ Promotion, Covalis, et Cojima sont elles-mêmes des professionnels de l'immobilier, et qu'elle était conseillée dans le cadre de cette opération à la fois par MeE..., notaire, à qui elle avait confié une mission d'assistance juridique afin de " sécuriser l'ensemble du dossier " et un mandat spécifique pour " s'assurer du complet déclassement des droits du terrain de football du vélodrome permettant la vente du terrain " et de " la conformité de la mise en vente par la commune de cet immeuble " et par la société C...-Pourrier et Chervier, société civile d'architectes, à qui elle avait confié une mission de maîtrise d'oeuvre complète.
15. Si la commune de Saint-Pierre d'Oléron soutient que les fautes commises par Me E... et la société C...-Pourrier et Chervier sont de nature à l'exonérer totalement de sa responsabilité, leurs agissements ne peuvent en tout état de cause être regardés comme dissociables du comportement de la société Copjiprom dès lors qu'ils lui étaient contractuellement liés ou étaient mandatés par elle.
16. Par ailleurs, en jugeant que la société Cojiprom devait se voir imputer la moitié de la responsabilité des préjudices dont elle se plaint, aux motifs d'une part que son attention devait nécessairement être appelée sur les conditions de délivrance du certificat d'urbanisme du 28 novembre 2007, deux jours après avoir été demandé, et d'autre part par la contradiction évidente entre la teneur du courrier de la commune du 25 juillet 2008 et la note du directeur départemental de l'équipement qui y était jointe, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de sa part de responsabilité, quels qu'aient été par ailleurs le rôle de Me E...et de la société C...-Pourrier et Chervier dans ces négligences, qu'il n'appartient pas à la cour administrative d'appel d'apprécier. Il y a lieu par suite de confirmer le partage de responsabilité par moitié retenu par les premiers juges.
S'agissant des préjudices :
Sur la perte de valeur vénale des terrains :
17. Il y a lieu de fixer la valeur normale de ces terrains en 2007, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, à 3,1 millions d'euros, montant non contesté de l'estimation du service des domaines, et non au prix de 4 000 000 d'euros effectivement payé comme le revendique la société Cojiprom, qui ne justifie nullement avoir été induite à proposer ce prix et doit supporter l'aléa afférent à son activité de promoteur désireux de s'assurer la maîtrise foncière d'un terrain. S'agissant de la valeur vénale résiduelle du terrain, si la commune soutient que le plan local d'urbanisme approuvé le 1er décembre 2011 a été modifié en 2016, ce qui permettrait de retrouver la valeur vénale de 2007, entre 3 millions et 3,1 millions d'euros, l'étude expertale qu'elle produit est basée sur la SHON totale prévue dans le permis de construire annulé, alors même qu'il est constant que cette surface n'est plus aujourd'hui réalisable, et la société Cojiprom produit de son côté une actualisation de l'étude déjà réalisée en première instance dont il ressort que malgré les dernières modifications du plan local d'urbanisme en 2016, lesquelles, si elles ont réduit la proportion de logements sociaux exigible, n'ont pas réellement desserré la contrainte de l'emprise au sol, la valeur vénale résiduelle des terrains doit être évaluée entre 1 950 000 et 2 150 000 euros. Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation de la valeur vénale résiduelle des terrains en cause en l'estimant à 2 050 000 euros, impliquant une perte de valeur indemnisable de 1 050 000 euros, et une indemnité de 525 000 euros en application du partage de responsabilité.
Sur les frais inutilement exposés :
18. Il y a lieu de retenir à ce titre les frais de division cadastrale des parcelles en cause, pour un montant de 780 euros hors taxes, la réalisation puis l'actualisation d'un dossier d'incidence au titre de la loi sur l'eau pour des montants respectifs de 4 620 euros hors taxes et 1 280 euros hors taxes, les honoraires de la société d'architectes, pour un montant de 256 000 euros hors taxes, les frais d'huissier relatifs à l'affichage du permis de construire pour des montants de 397,57 euros hors taxes, 219,57 euros hors taxes et 228,87 euros hors taxes, soit un total de 263 526 euros hors taxes.
19. En revanche, dès lors que le terrain reste constructible et qu'ils n'ont donc pas été exposés en vain, doivent être rejetées les conclusions tendant au remboursement des frais exposés pour le paiement des honoraires du notaire dans le cadre de la constitution de la société Cojiprom, de la réalisation d'un relevé topographique du terrain, des travaux d'entretien d'espaces verts, du repérage d'amiante avant travaux de démolition ou d'état parasitaire, et de l'établissement des statuts de l'association syndicale de la résidence " Les Jardins d'Oléron ".
20. Doivent en outre être rejetées comme sans lien avec les fautes retenues à l'encontre de la commune les conclusions tendant au remboursement des frais résultant de la mission de " sécurisation " confiée à Me E...quant à la régularité juridique de la procédure suivie par la commune pour le déclassement et la vente du terrain, des commissions d'engagement et autres frais et bancaires, des honoraires dus pour la tenue et l'approbation de la comptabilité de la société, des impôts et taxes, des frais d'une insertion publicitaire dans l'agenda 2008 de la ville de Saint-Pierre-d'Oléron et de bornage et de levé topographique d'un terrain autre que celui en litige.
21. Il en va de même des prestations refacturées par la société Cojim à la société Cojiprom, des prestations de consultation juridique d'une professeure des universités et des prestations de la société SCD pour une " mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ", dont ni la consistance ni le lien avec les fautes retenues ne sont démontrées.
Sur les coûts d'acquisition foncière :
22. Il y a lieu de retenir à ce titre les sommes de 36 000 euros hors taxes pour les honoraires du notaire en raison de la vente,160 107 euros hors taxes pour les intérêts d'emprunt dont il est partiellement justifié alors qu'aucun échéancier n'a été fourni de nature à faire le lien avec des intérêts débiteurs sur un compte bancaire, 32 616 euros hors taxes pour les frais acquittés au trésor public, outre 1 562 euros hors taxes pour le dépôt de l'acte de prêt et 14 901 euros au titre de frais d'emprunt, soit un total de 245 186 euros. Le préjudice subi doit être évalué à la part de ces frais correspondant à la partie du prix de vente exposée en vain comme indiqué au point 17. Par suite, il y a lieu d'accorder à la société Cojiprom une somme de 64 362 euros à ce titre.
23. Il résulte de tout ce qui précède, compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 16, qu'il y a lieu de rejeter la requête de la commune et de porter la somme de 500 000 euros que la commune de Saint-Pierre-d'Oléron a été condamnée à verser à la société Cojiprom à la somme de 852 888 euros.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Cojiprom, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, la somme que demande la commune de Saint-Pierre-d'Oléron au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu de mettre à la charge de la commune une somme de 1 500 euros au bénéfice de la société Cojiprom à ce titre. Les conclusions de Me E... ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La somme que la commune de Saint-Pierre-d'Oléron a été condamnée à verser à la société Cojiprom est portée à 852 888 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1202595 du 17 mars 2016 du tribunal administratif de Poitiers est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : La commune de Saint-Pierre-d'Oléron versera à la société Cojiprom une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Pierre-d'Oléron, à la société Cojiprom, à la société C...- Pourrier - Chervier et à M.E....
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. David Terme, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.
Le rapporteur,
David TERMELe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16BX01648