Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 février 2018, MmeA... C..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges du 9 janvier 2018 ;
3°) d'annuler les arrêtés du préfet de l'Indre des 2 et 3 janvier 2018 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens.
Elle soutient que :
- elle vit en France avec ses deux enfants, dont l'aîné est régulièrement scolarisé, et n'a aucune attache familiale au Portugal. Cet éloignement nuirait donc à la reconstruction sociale et scolaire de ses enfants après leur départ précipité du Brésil. L'arrêté du 2 janvier 2018 méconnaît ainsi les articles 3-1, 6-2 et 10-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- ce départ vers un pays inconnu ajoute à la fragilité psychologique de l'ensemble de la famille. En effet, le départ du Brésil a été motivé par un différend avec son mari, qui a menacé de tuer le plus jeune des enfants. Elle souffre d'un syndrome post-traumatique. Le séjour en France lui permettrait, ainsi qu'à son aîné, de bénéficier des soins requis par leurs états de santé. En conséquence, l'éloignement vers le Portugal méconnaît l'article 24-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le Portugal n'est pour les migrants qu'une destination transitoire. Le Portugal ne constitue donc pas une perspective raisonnable. L'arrêté méconnaît l'article 17 du règlement n°604/2013.
Par ordonnance du 27 février 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 avril 2018 à 12 heures.
Un mémoire présenté par le préfet de l'Indre a été enregistré le 25 avril 2018, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution et notamment son préambule et l'article 53-1 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer les conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-André Braud a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Après avoir quitté le Brésil où elle bénéficiait du statut de réfugiée, avec ses deux enfants nés en 2006 et 2016, MmeC..., ressortissante congolaise (RDC) née en 1978, est entrée avec ses deux enfants dans l'espace Schengen le 6 mars 2017 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires portugaises. Ils ont ensuite rejoint la France, où Mme C...a déposé une demande d'asile le 27 mars 2017. Après avoir adressé aux autorités portugaises une requête de reprise en charge qui a été implicitement acceptée le 19 juillet 2017, le préfet de l'Indre a, par un arrêté du 2 janvier 2018, décidé de remettre
Mme C...aux autorités portugaises et, par un arrêté du lendemain, a ordonné son assignation à résidence pendant une durée de 45 jours. Mme C...relève appel du jugement du 9 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de l'Indre des 2 et 3 janvier 2018.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Mme C...ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 22 mars 2018, ses conclusions tendant à l'admission provisoire sont devenues sans objet.
Sur la légalité des arrêtés des 2 et 3 janvier 2018 :
3. En premier lieu, les articles 6, 10 et 24 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant créent des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés. Par suite, Mme C...ne peut utilement se prévaloir des stipulations de ces articles pour demander l'annulation des arrêtés en litige.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
5. Mme C...soutient que son fils aîné est scolarisé en France et commence à se reconstruire après le choc résultant des évènements survenus avant leur départ du Brésil, et que leur départ pour le Portugal, où ils n'ont aucune attache familiale, nuirait à sa reconstruction sociale et scolaire. Cependant, Mme C...ne fait état d'aucune attache familiale en France et eu égard à la brève durée de leur séjour en France, sa situation et celle de ses enfants ne permet pas de caractériser une méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : "1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique "DubliNet" établi au titre de l'article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, l'État membre antérieurement responsable, l'État membre menant une procédure de détermination de l'État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge. L'État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l'indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) no 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d'examiner la demande a été prise. 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. La requête aux fins de prise en charge comporte tous les éléments dont dispose l'État membre requérant pour permettre à l'État membre requis d'apprécier la situation. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires pour examiner les raisons humanitaires invoquées et répond à l'État membre requérant, au moyen du réseau de communication électronique DubliNet établi conformément à l'article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. Les réponses refusant une requête doivent être motivées. Si l'État membre requis accède à la requête, la responsabilité de l'examen de la demande lui est transférée. ". Il résulte de ces dispositions que la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. La mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ".
7. Dans les circonstances énoncées au point 5, le refus du préfet de faire usage de la faculté d'examiner la demande d'asile de l'intéressée, alors que cette demande relève normalement de la compétence du Portugal, ne méconnaît pas de façon manifeste le droit constitutionnel d'asile.
8. En dernier lieu, à supposer qu'en citant des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne, la requérante a entendu soutenir qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile au Portugal, elle se borne à indiquer que cette destination demeure une destination transitoire et n'établit ainsi pas l'existence de défaillances systémiques. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de l'Indre en date des 2 et 3 janvier 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au paiement " des dépens " ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentée par MmeC....
Article 2 : Le surplus des conclusions de Mme C...est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à MmeA... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Indre.
Délibéré après l'audience du 26 avril 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. Paul-André Braud, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 24 mai 2018
Le rapporteur,
Paul-André BRAUD
Le président,
Catherine GIRAULTLe greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00562