Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 avril 2020 et un mémoire enregistré le 1er octobre 2020, Mme H..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) avant-dire droit, d'enjoindre au préfet de demander à l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), ou directement à l'OFII, de produire toute preuve d'une conférence réunissant les trois médecins du collège, ainsi que les documents sur lesquels ils se sont fondés pour estimer qu'elle pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 15 novembre 2019 ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 28 février 2019 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- les historiques " Thémis " dans d'autres dossiers démontrent l'absence de délibération collégiale des médecins de l'OFII, y compris dans le cadre d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle, en méconnaissance des dispositions des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les médecins ayant en l'espèce donné leurs avis l'un après l'autre, à des dates différentes, il n'y a pas eu de délibération collégiale, ce qui est d'autant plus évident que l'un des médecins exerce dans le Val d'Oise et les deux autres à Toulouse et qu'aucun document n'est produit pour établir le recours à une conférence téléphonique ou audiovisuelle ; il appartient au préfet d'apporter la preuve d'une véritable délibération ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la mention " après en avoir délibéré " ne constitue pas une telle preuve ; en outre, l'apposition d'images des signatures des médecins à des dates différentes est irrégulière en l'absence d'un horodatage ; le jugement doit être annulé dès lors que le tribunal n'a pas répondu à ces moyens ;
- elle souffre d'un syndrome de stress post-traumatique en lien avec des maltraitances physiques et psychologiques subies au Gabon, et un accident du travail survenu en 2017 a contribué à aggraver sa pathologie psychiatrique ; les conséquences d'un défaut de soins seraient d'une exceptionnelle gravité, contrairement à ce qu'ont retenu les médecins, le préfet et le tribunal ; les certificats médicaux produits démontrent que les déclencheurs des traumatismes se situent dans son pays d'origine, où elle ne peut retourner dès lors qu'entre septembre 2010 et janvier 2013 à Libreville, elle a été blessée avec une arme blanche, frappée au visage, brûlée par un liquide, traînée au sol et violée par son époux auquel elle avait été mariée de force ; elle ne peut ainsi bénéficier d'un traitement approprié au Gabon, où la prise en charge psychiatrique nécessitée par son état de santé est au demeurant inaccessible ; c'est à tort que le tribunal, qui n'a pas procédé à l'analyse des pièces produites, et en particulier du certificat médical
du 23 novembre 2017 à l'attention de l'OFII, n'a pas fait droit à son moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- son fils né le 29 septembre 2008 a été enlevé par son beau-père durant deux jours
en 2011 et a subi des violences physiques, notamment des brûlures avec un objet de type " fer à repasser " ; la décision est contraire à l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès que son fils serait exposé à de nouvelles violences en cas de retour au Gabon, et que son maintien en tant que mineur isolé sur le territoire serait contraire à son intérêt supérieur ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale, alors que le lien thérapeutique dont elle a besoin a mis du temps à se construire et qu'elle a travaillé pour plusieurs entreprises ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à l'impossibilité de se soigner dans son pays d'origine et des risques de violence qu'elle-même et son enfant y encourent.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 août 2020, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme H... ne sont pas fondés.
Un mémoire présenté par le préfet de la Haute-Garonne a été enregistré
le 16 novembre 2020, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue trois jours francs avant l'audience, conformément aux dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.
Mme H... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me C..., représentant Mme H....
Considérant ce qui suit :
1. Mme H..., de nationalité gabonaise, a déclaré être entrée en France le 12 août 2013. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 23 juin 2014, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)
le 7 juillet 2015. Elle a bénéficié de cartes de séjour temporaires en raison de son état de santé du 4 janvier 2016 au 3 janvier 2018. Par un arrêté du 28 février 2019, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de renouveler ce titre de séjour, lui a refusé la carte de séjour en qualité de salariée qu'elle demandait également, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme H... relève appel du jugement
du 22 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, il appartient au juge administratif, lorsque le demandeur lève le secret relatif aux informations médicales qui le concernent en faisant état de la pathologie qui l'affecte, de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire
3. Mme H... produit deux certificats médicaux, l'un d'un médecin psychiatre hospitalier du 8 janvier 2018, l'autre d'un médecin généraliste du centre de santé et pôle santé droits de " La Case de Santé " du 16 mai 2019, dont il ressort qu'elle présente un syndrome dépressif sévère et un état de stress post-traumatique, qu'en juillet 2015, un risque suicidaire a nécessité une prise en charge psychiatrique réalisée en ambulatoire qui a permis une amélioration lente avec disparition des idées suicidaires et des hallucinations, qu'elle demeure suivie par un psychiatre et un psychologue, que son traitement médicamenteux est constitué de Seroplex (antidépresseur), Tercian (antipsychotique), Theralène (hypnotique) et Valium (anxiolytique), et qu'en cas d'interruption des soins, une décompensation de sa pathologie est très probable, avec une acutisation des hallucinations et un risque suicidaire d'autant plus à craindre qu'il y a des antécédents. Ces éléments contredisent l'avis des médecins de l'OFII selon lequel l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le certificat du 16 mai 2019 comporte en outre des références à des articles relatifs à l'état alarmant des soins psychiatriques au Gabon, où moins de 1 % du budget de la santé est consacré à la santé mentale. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme H... est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle ne pouvait être regardée comme remplissant les conditions fixées par les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et, par suite, à demander l'annulation de la décision de refus de renouvellement de son titre de séjour.
4. L'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 28 février 2019 entraîne,
par voie de conséquence, celle des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. " Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. "
6. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 3, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme H... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
7. Mme H... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me E..., sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1902693 du 22 novembre 2019 et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 28 février 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme H... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me E... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive
de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... H..., au préfet
de la Haute-Garonne et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme G... D..., présidente,
Mme A... B..., présidente-assesseure,
Mme I..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2020.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine D...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01244