Par un jugement n° 1600457 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2018, Mme J..., représentée par Me M..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 23 octobre 2018 ;
2°) de condamner le CHU de Limoges à lui verser une somme globale de 34 828,97 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Limoges une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- le CHU de Bordeaux a commis une faute en ne l'informant pas, préalablement à l'intervention qu'elle a subie le 28 mai 2009, de la nature de celle-ci, du risque de pseudarthrose auquel elle l'exposait et de l'utilisation d'un substitut osseux pour combler le foyer d'ostéotomie ;
- il a commis une erreur de diagnostic à l'origine d'un retard de prise en charge en ne constatant pas, sur les radiographies réalisées six mois après l'intervention, le défaut d'ostéo-intégration du substitut osseux ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le défaut d'information ne lui faisait pas grief dès lors que, contrairement à ce que mentionne le jugement, elle n'a pas indiqué qu'elle aurait choisi de subir la même opération si elle avait été correctement informée ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en retenant que l'utilisation du substitut osseux étant intrinsèquement aléatoire, tout consentement à un acte médical comporte une part d'acceptation des risques, alors que le caractère nécessaire d'une intervention ne dispense pas l'établissement de santé de fournir une information complète au patient ;
- le défaut d'information est à l'origine d'un préjudice d'impréparation psychologique ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le défaut d'information n'était pas à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage qui s'est réalisé ;
- son préjudice sera réparé par le versement des sommes suivantes :
o 10 000 euros au titre du défaut d'information quant à l'utilisation d'os biologique pour combler le foyer d'ostéotomie ;
o 6 500 euros au titre des souffrances endurées, évaluées à 3,5 sur 7 ;
o 2 728,97 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
o 600 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;
o 15 000 euros au titre de son préjudice professionnel lié à son licenciement pour inaptitude physique de son poste de vendeuse ambulante en boulangerie.
Par un mémoire, enregistré le 28 février 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot Ravaut et Associés, conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient que :
- Mme J... a été victime d'un échec thérapeutique qui n'ouvre pas droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
- la pseudarthrose dont elle a souffert a été inexactement qualifiée par l'expert d'accident médical alors qu'elle est imputable à la pathologie initiale ;
- le seuil de gravité du préjudice nécessaire pour permettre une indemnisation au titre de la solidarité nationale n'est pas atteint.
Par un mémoire, enregistré le 26 avril 2019, la CPAM de la Haute-Vienne, représentée par Me H..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Limoges du 23 octobre 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande ;
2°) de condamner le CHU de Limoges à lui verser la somme de 8 641,93 euros en remboursement de ses débours ainsi que la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Limoges une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le CHU de Limoges a commis deux fautes, un défaut d'information et un retard de diagnostic, qui engagent sa responsabilité ;
- le défaut d'information est à l'origine d'un préjudice dès lors que Mme J... n'a jamais indiqué qu'elle aurait, en toute hypothèse, choisi l'intervention qui a effectivement été réalisée, et qu'il existait des raisons sérieuses de préférer au substitut osseux une greffe iliaque, qui a d'ailleurs été réalisée plus tard, avec succès ;
- le retard de diagnostic a également causé des préjudices à Mme J..., notamment des souffrances endurées dans l'attente du traitement de la pseudarthrose ;
- le montant des débours qu'elle a exposés en lien avec les fautes commises par le CHU s'élève à 8 641,93 euros, dont 6 682,26 euros d'indemnités journalières entre le 11 mai 2010 et le 14 avril 2011.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2019, le CHU de Limoges, représenté par Me K..., conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la CPAM de la Haute-Vienne.
Il soutient que :
- Mme J... a été informée de la technique opératoire utilisée le 28 mai 2009 et du risque, qui s'est réalisé, d'absence de consolidation de l'ostéotomie ; si elle n'a pas été informée de l'utilisation du substitut osseux et des risques liés à cette technique, celle-ci présentait moins de risque que la méthode alternative de la greffe iliaque, de sorte que l'intéressée n'a pas subi de perte de chance de se soustraire au risque de pseudarthrose qui s'est réalisé ;
- l'expert a retenu, à juste titre, que le retard de diagnostic de la pseudarthrose n'était pas fautif compte tenu de la complexité des symptômes, de la difficulté d'interpréter les signes radiologiques et des outils radiologiques disponibles ;
- à titre subsidiaire, la réalité d'un préjudice résultant du défaut d'information n'est pas établie, les souffrances endurées ne pourront être indemnisées au-delà de 3 000 euros, le déficit fonctionnel temporaire ne saurait excéder 2 271 euros, sommes auxquelles il conviendra d'appliquer un taux de perte de chance qui ne saurait être supérieur à 10 %, l'assistance par une tierce personne ne pourra être évaluée à plus de 351 euros, somme à laquelle il conviendra également d'appliquer un taux de perte de chance, et le lien de causalité entre les fautes et un préjudice professionnel n'est pas établi ;
- les conclusions de la CPAM de la Haute-Vienne ne pourraient être accueillies que dans la limite de l'application d'un taux de perte de chance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... F...,
- les conclusions de Mme N... B..., rapporteure publique,
- et les observations de Me I..., représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Mme J... a souffert d'un syndrome d'instabilité fémoro-patellaire occasionnant d'importantes douleurs au genou droit à compter de l'année 2008. Une imagerie par résonance magnétique réalisée le 19 novembre 2008 a permis de diagnostiquer un épanchement intra articulaire et des lésions ostéochondrales évoquant une chondropathie de stade IV. L'intéressée a été hospitalisée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges du 27 au 30 mai 2009 pour la réalisation d'une ostéotomie de la tubérosité tibiale antérieure. Les douleurs persistant, une scintigraphie a été réalisée le 23 février 2010 qui a révélé l'existence d'une hyperfixation au niveau du substitut osseux permettant d'évoquer un défaut d'ostéo-intégration. Le 4 novembre 2010, il a été procédé à l'ablation des vis d'ostéosynthèse. Mme J... ne constatant pas d'amélioration, elle a été consulter, le 13 avril 2011, un chirurgien orthopédique du CHU de Bordeaux qui, après la réalisation d'un scanner, a diagnostiqué l'existence d'une pseudarthrose nécessitant un curetage du substitut osseux, une greffe iliaque droite et une nouvelle ostéosynthèse par vis. Cette intervention a été réalisée le 25 janvier 2012, et a permis une consolidation satisfaisante de l'ostéotomie, constatée par radiographie le 20 décembre 2012.
2. Mme J... a saisi, le 6 novembre 2012, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Limousin d'une demande d'indemnisation qui a été rejetée, après réalisation d'une expertise, par un avis du 27 novembre 2013. Par un courrier du 26 janvier 2016, l'intéressée a demandé au CHU de Limoges la réparation de ses préjudices. Cette demande a été rejetée par une décision du CHU du 3 mars suivant. Mme J... et la CPAM de la Haute-Vienne relèvent appel du jugement n° 1600457 du 23 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation du CHU de Limoges à leur verser les sommes respectives de 34 282,97 euros et 8 641,93 euros.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). "
4. Mme J... soutient que le CHU de Limoges a commis une erreur de diagnostic à l'origine d'un retard de prise en charge en ne constatant pas, dès la réalisation des clichés de contrôle six mois après l'intervention qu'elle a subie le 28 mai 2009, l'absence d'ostéo-intégration du substitut osseux réalisé pour combler le déficit osseux consécutif à l'ostéotomie. Il résulte cependant du rapport d'expertise diligenté par la CCI de la région Limousin que si les clichés permettent effectivement d'identifier, a posteriori, le retard d'ostéo-intégration du substitut osseux, le retard de diagnostic ne saurait être regardé comme fautif compte tenu de la complexité des symptômes, de l'absence d'outils diagnostiques permettant de détecter le retard de consolidation et de l'interprétation particulièrement délicate des clichés radiologiques pour ce type de pathologie. L'expert précise qu'il n'existe aucun test biologique, aucune technique d'imagerie permettant d'affirmer ou d'infirmer que l'évolution se fait vers une ostéo-intégration ou au contraire vers la pseudarthrose et que c'est, en général, l'écoulement du temps qui permet de poser un tel diagnostic. Dans ces conditions, le retard de diagnostic allégué par Mme J... ne constitue pas une faute du CHU de Limoges susceptible d'engager sa responsabilité.
5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa version applicable au litige : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. (...) ".
6. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
7. Mme J... soutient ne pas avoir été informée, avant l'intervention du 28 mai 2009 au CHU de Limoges, de la nature de celle-ci, du risque de pseudarthrose et de l'utilisation d'un substitut osseux pour combler le foyer d'ostéotomie. Il ressort du rapport d'expertise, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, que l'intéressée a signé le 26 mai 2009 une fiche d'information sur l'intervention mentionnant clairement le risque de complication et notamment de retard de consolidation ou de non consolidation après ostéotomie. En revanche, l'expert a relevé qu'il ne figure au dossier médical aucune trace d'une information portant sur le point particulier de l'utilisation d'un substitut osseux plutôt que d'une greffe iliaque. Dans ces conditions, Mme J... n'ayant pas été informée des alternatives thérapeutiques à l'utilisation d'un substitut osseux, elle est fondée à soutenir que le CHU de Limoges a méconnu son obligation d'information.
8. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'utilisation d'un substitut pour remédier au déficit osseux consécutif à une ostéotomie est souvent préférée à un prélèvement sur l'os iliaque, bien que l'ostéo-intégration reste aléatoire, car elle permet d'éviter des douleurs sur le site de prélèvement, une cicatrice ainsi que des risques de complications infectieuses pouvant être évalués aux alentours de 3 à 5 %. Si Mme J... dément, dans ses écritures, avoir jamais indiqué qu'elle aurait en toute hypothèse décidé de recourir à un tel substitut osseux, elle n'expose, pas davantage en appel que devant les premiers juges, de raison pour laquelle elle aurait préféré avoir recours à l'alternative d'un prélèvement sur l'os iliaque, technique à la fois plus douloureuse et plus risquée que celle utilisée par le CHU de Limoges. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a retenu que le défaut d'information n'a fait perdre à Mme J... aucune chance d'éviter le dommage qui s'est réalisé.
9. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. "
10. Il résulte de l'instruction que le dommage dont Mme J... se prévaut, soit la non ostéo-intégration du substitut osseux utilisé pour combler le foyer d'ostéotomie, ne résulte ni d'un accident médical, ni d'une affection iatrogène ni d'une infection nosocomiale mais d'un simple échec thérapeutique, le résultat escompté n'ayant pu être atteint. Dans ces conditions, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme J... et la CPAM de la Haute-Vienne ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes. Les conclusions qu'elles présentent en appel ne peuvent par suite qu'être rejetées dans leur ensemble.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme J... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la CPAM de la Haute-Vienne sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... J..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne, au centre hospitalier universitaire de Limoges et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme L... G..., présidente,
Mme A... D..., présidente-assesseure,
Mme C... F..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 février 2021.
La rapporteure,
Kolia F...
La présidente,
Catherine G...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03874