Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 juillet 2020, Mme E..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 29 août 2018 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de lui délivrer un titre de séjour " sous astreinte de 150 euros par jour de retard " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa fille âgée de six ans présente une paraplégie sensitivo-motrice complète haute nécessitant des soins lourds dans le cadre d'une équipe pluri-disciplinaire avec des compétences en pédiatrie ; dès lors que les médecins de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) admettent que le traitement serait de moins bonne qualité en Algérie, sa disponibilité dans ce pays ne peut être regardée comme appropriée ; un certificat du 1er juillet 2020 atteste que l'absence de coordination des soins représenterait une perte de chance pour l'enfant ; trois certificats de médecins exerçant en Algérie attestent que les soins nécessaires ne sont pas disponibles en Algérie, ce qui est confirmé par le médecin du service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) ; en outre, les appareillages ne sont pas disponibles en Algérie et trop coûteux sans prise en charge par un système d'assistance sociale, et les interventions chirurgicales de stabilisation du bassin et d'arthrodèse vertébrale mentionnées par le rapport du CHU de Bordeaux du 12 novembre 2019 ne se pratiquent pas en Algérie ; c'est ainsi à tort que les premiers juges ont estimé qu'un traitement approprié était disponible en Algérie ;
- à la date de la décision, elle résidait depuis un an en France avec sa fille, qui bénéficie d'une prise en charge pluridisciplinaire adaptée à son état de santé et ne pourrait suivre une scolarité normale en Algérie où les locaux scolaires sont inaccessibles aux enfants en situation
de handicap moteur ; elle est bien intégrée, maîtrise la langue française, participe à des activités bénévoles et ne peut être séparée de sa fille ; ainsi, la décision méconnaît les stipulations
de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- alors même que le père de sa fille réside en Algérie, l'intérêt supérieur de l'enfant
est de rester en France où elle peut bénéficier de soins appropriés et d'une scolarisation, de sorte que la décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits
de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens invoqués par Mme E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- et les observations de Mme E..., et de Me B..., assistant cette dernière.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., de nationalité algérienne, alors titulaire d'un permis de séjour italien valable jusqu'au 10 août 2018, est entrée en France le 24 mars 2017. Le 2 juin suivant,
elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de l'état de santé de sa fille G... née le 10 septembre 2013, ce qui lui a été refusé par une décision du préfet de la Gironde
du 29 août 2018. Mme E... relève appel du jugement du 17 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. D'une part, si les dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoient la délivrance d'une autorisation provisoire
de séjour au bénéfice des parents d'enfants dont l'état de santé répond aux conditions prévues par le 11° de l'article L. 313-11 du même code, ne sont pas applicables aux ressortissants algériens, dont la situation est entièrement régie par les stipulations de l'accord franco-algérien, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que le préfet, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire d'appréciation, délivre à ces ressortissants un certificat de résidence pour l'accompagnement d'un enfant malade.
3. D'autre part, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
4. Par un avis du 5 février 2018, le collège de médecins de l'OFII a estimé que si l'état de santé de la jeune G... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant conserve de graves séquelles d'un accident de la circulation survenu en Algérie le 31 mai 2015, ayant entraîné une section médullaire complète avec désorganisation du signal médullaire de D 3 à D 7. Il en résulte une paraplégie sensitivo-motrice complète haute compliquée d'une ostéoporose, d'une scoliose évolutive et d'une vessie neurologique. La prise en charge durant la croissance nécessite un suivi semestriel par un chirurgien orthopédiste pédiatrique pour le contrôle de la scoliose, un contrôle annuel de la capacité respiratoire, un bilan bisannuel de l'évolution du traumatisme médullaire, un suivi par un urologue connaissant les problématiques propres aux vessies neurologiques, des contrôles réguliers de l'ostéodensitométrie, et des séances de kinésithérapie deux à trois fois par semaine. Ainsi que l'a relevé le médecin coordonnateur de zone de l'OFII dans un courrier du 11 février 2019, il s'agit de soins de suite et de réadaptation qui sont possibles en Algérie, même si leur organisation n'est pas la même qu'en France. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la jeune G..., prise en charge dans le cadre d'un centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP), puis d'un service d'accompagnement des enfants en situation de handicap (SESSAD), bénéficie en France de l'intervention coordonnée de différents spécialistes permettant non seulement d'assurer de façon personnalisée le suivi et les soins dont elle a besoin, mais aussi de favoriser son insertion sociale par des activités éducatives et de l'accompagner vers l'acquisition d'une autonomie. Cette intervention inclut des propositions pour l'adaptation matérielle au handicap à l'école, en lien avec l'équipe pédagogique de l'école maternelle où l'enfant a pu être scolarisée en moyenne section à partir de décembre 2017 avec l'accompagnement d'une auxiliaire de vie scolaire durant 20 heures par semaine. Il ressort des pièces du dossier qu'une organisation de même nature, qui a permis une très bonne adaptation scolaire, ne peut être reconstituée en Algérie où il n'existe ni prise en charge médico-sociale pluridisciplinaire, ni adaptation du système scolaire à l'accueil des enfants handicapés. La jeune G..., âgée de cinq ans à la date de la décision contestée, reçoit en France non seulement des soins individualisés adaptés à son état de santé, mais aussi une éducation lui permettant de suivre une scolarité normale avec les enfants de son âge et de progresser dans son autonomie. Eu égard à son lourd handicap qui l'exposerait à un risque élevé de déscolarisation et de désocialisation en Algérie, il est de son intérêt supérieur de bénéficier de l'organisation décrite ci-dessus. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme E... est fondée à soutenir que la décision de refus de titre de séjour du 29 août 2018 méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits
de l'enfant, et que c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et
L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " Eu égard au motif d'annulation retenu au point précédent, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Gironde de délivrer à Mme E... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1902449 du 17 juin 2020
et la décision du préfet de la Gironde du 29 août 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à Mme E... un certificat
de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois
à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... L... épouse E..., à la préfète de la Gironde et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme K... J..., présidente,
Mme A... F..., présidente-assesseure,
Mme D... I..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 février 2021.
La rapporteure,
Anne F...
La présidente,
Catherine J...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
3
N° 20BX02368