Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 février 2019 et le 24 avril 2020, Mme G... N... et Mme B... F..., représentées par Me H..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 10 décembre 2018 ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de La Réunion à verser, à titre de provision, à Mme F... la somme de 279 552,57 euros et à Mme N... la somme de 1 200 000 euros en réparation de leurs préjudices, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2016 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de La Réunion une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le centre hospitalier universitaire de la Réunion n'a commis aucune faute, alors que la compression médullaire dont souffrait B... à la naissance aurait dû être immédiatement diagnostiquée ; l'enfant aurait dû être examinée par un pédiatre dès sa naissance et des signes cliniques visibles dès le 13 janvier 1999 auraient dû conduire le centre hospitalier à procéder à des examens complémentaires permettant de poser le bon diagnostic ; le médecin présent intervenait principalement en réanimation et n'avait pas les compétences requises pour procéder au diagnostic ;
- l'état de santé de B... F... est directement imputable à ce retard de diagnostic ;
- il y a lieu d'allouer à Mme B... F..., à titre de provision sur la réparation à venir de ses préjudices lorsque son état de santé sera consolidé, les sommes suivantes après application du taux de perte de chance de 20 % retenu par l'expert :
o la somme de 217 565 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;
o la somme de 10 987,76 euros au titre des frais divers ;
o la somme 1 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
o la somme de 6 000 euros au titre des souffrances endurées ;
o la somme de 2 000 euros au titre du préjudice esthétique ;
o la somme de 2 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
o la somme de 40 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;
- le préjudice de Mme N... s'élève à 1 200 000 euros, cette somme recouvrant des pertes de revenus, des troubles dans les conditions d'existence ainsi que des frais divers.
Par un courrier, enregistré le 22 mai 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales indique ne pas souhaiter intervenir dans la présente instance dès lors que le fait générateur du dommage étant antérieur au 5 septembre 2001, aucune indemnisation ne peut, en toute hypothèse, être mise à sa charge.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2020, le centre hospitalier universitaire de La Réunion, représenté par Me L..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- compte tenu du tableau clinique présenté par l'enfant lorsqu'elle a quitté le centre hospitalier universitaire, l'absence de diagnostic d'une pathologie tumorale n'est pas fautive ; les parents de l'enfant ont tardé à la conduire au service des urgences où le diagnostic de neuroblastome a alors immédiatement été envisagé ;
- il n'a pas non plus commis de retard de diagnostic de la compression médullaire dont souffrait le nourrisson compte tenu de la difficulté de poser un tel diagnostic chez un nouveau-né ;
- la localisation de la tumeur au thorax ne permettait pas de la diagnostiquer avant la naissance ;
- à les supposer établies, les erreurs de diagnostic invoquées ne sont à l'origine d'aucune perte de chance ;
- les requérantes n'établissent pas que des frais médicaux divers seraient restés à leur charge :
- il ne peut être statué sur l'assistance par une tierce personne en l'état de l'instruction, faute de connaître exactement les besoins de B... et les aides dont elle a bénéficié ; ce poste de préjudice est, en toute hypothèse, surévalué par les requérantes ;
- les sommes demandées au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique et du déficit fonctionnel permanent ne pourraient qu'être ramenées à de plus justes proportions ;
- le préjudice d'agrément ne saurait donner lieu à une indemnisation distincte de celle accordée au titre du déficit fonctionnel permanent dans les circonstances de l'espèce ;
- la demande présentée par Mme N... ne peut qu'être rejetée faute pour la mère de B... d'établir l'incapacité de poursuivre son activité professionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... I...,
- les conclusions de Mme O... C..., rapporteure publique,
- et les observations de Me K..., représentant le centre hospitalier universitaire de la Réunion.
Considérant ce qui suit :
1. Mme N... a donné naissance à sa fille, B... F..., le 10 janvier 1999 au centre hospitalier universitaire de La Réunion. L'enfant a quitté l'hôpital trois jours plus tard avec ses parents après une consultation pédiatrique relevant un ballonnement abdominal modéré ainsi qu'une hypotonie axiale avec mobilité diminuée devant être contrôlés lors d'une consultation prévue le lendemain. Lors de cette consultation, le pédiatre n'a décelé aucune anomalie et a prescrit un changement de lait artificiel. Mme N... s'est présentée au service des urgences du centre hospitalier universitaire le 7 février 1999 compte tenu de l'aggravation du ballonnement abdominal de sa fille. Un syndrome tumoral avancé, préalablement diagnostiqué par son pédiatre, a été confirmé. Hospitalisée le jour même au centre hospitalier universitaire de La Réunion, l'enfant a ensuite été transférée le 10 février 1999 à l'Institut Gustave Roussy de Villejuif, où un neuroblastome thoracique en sablier avec infiltrations hépatiques a été diagnostiqué. Un traitement par chimiothérapie a été entrepris à compter du 20 février 1999 et une exérèse de la tumeur a été pratiquée le 26 mai 1999. La jeune B... F... conserve de graves séquelles de sa maladie, avec une paraplégie spasmodique complète des membres inférieurs, des troubles sphinctériens, une paralysie des muscles intercostaux inférieurs et une scoliose. A la demande de Mme N..., le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a ordonné une expertise médicale, dont le rapport a été déposé le 24 juillet 2015. Après le rejet implicite de sa demande d'indemnisation préalable, Mme N... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner le centre hospitalier universitaire de La Réunion à l'indemniser des préjudices subis par sa fille et par elle-même. Mme N... et Mme F..., désormais majeure, relèvent appel du jugement du 10 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
3. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, aucune obligation de résultat n'incombait au centre hospitalier universitaire de La Réunion dans le diagnostic de la pathologie dont la jeune B... était atteinte. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que l'établissement hospitalier aurait commis une faute en lien avec le dommage en ne procédant pas à un examen du nouveau-né par un pédiatre avant son troisième jour.
4. D'une part, il résulte du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de La Réunion que Mme N... a accouché, au terme d'une grossesse sans particularité et au cours de laquelle trois échographies anténatales n'ont permis de relever aucune anomalie, d'une petite fille présentant une bonne vitalité à la naissance dont témoigne un score d'Apgar de 10/10. Le dossier néonatal rempli le 13 janvier 1999 consigne un ballonnement abdominal modéré qui a également été constaté par un médecin du centre hospitalier universitaire de La Réunion lors de l'examen de sortie de l'établissement de l'enfant à son troisième jour de vie. Celui-ci a précisé avoir soigneusement examiné l'enfant et ne pas avoir retrouvé à la palpation de masse tumorale abdominale mais un simple ballonnement. L'état général de l'enfant étant satisfaisant, sans signe d'une situation de détresse ou d'un risque d'évolution rapidement défavorable, il a consenti à la sortie de la jeune B... de l'établissement hospitalier, tout en programmant une consultation de contrôle par un confrère le lendemain. Le pédiatre a constaté à cette occasion un ventre souple, des selles et des éructations de l'enfant normales ainsi que l'absence de rejets et un examen somatique normal, et recommandé un changement de lait. Il résulte de l'instruction que les parents de la jeune B... ont confirmé, à l'occasion des opérations d'expertise, que le ballonnement abdominal de leur fille n'était pas très important lorsque celle-ci a été examinée par ces médecins, et ils ne se sont d'ailleurs par rendus à la visite proposée par le centre hospitalier universitaire au huitième jour de vie de l'enfant. Ce n'est que le 7 février 1999 que le volume de ce ballonnement les a conduits à consulter en urgence un pédiatre qui, au vu d'une hépatomégalie majeure avec une circulation collatérale et d'une paraparésie, a diagnostiqué un syndrome tumoral avancé. L'expert relève qu'il est possible que le tableau constaté par le pédiatre le 7 février ne se soit constitué qu'après les examens réalisés aux troisième et quatrième jours, et que ne peut être exclue la possibilité que seule la tumeur paravertébrale ait alors été présente, beaucoup plus difficile à mettre en évidence. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le ballonnement de l'enfant constaté aux troisième et quatrième jours aurait été de nature à alerter le personnel médical quant à une possible pathologie tumorale ni qu'il aurait justifié, dès ce stade, la réalisation d'examens pour rechercher une éventuelle pathologie de ce type.
5. D'autre part, le médecin ayant réalisé l'examen de sortie de l'hôpital de la jeune B... à son troisième jour de vie a relevé que sur le plan neurologique l'enfant était endormie et présentait une hypotonie axiale avec une mobilité diminuée de façon générale. Les parents de l'enfant ont indiqué, au cours des opérations d'expertise, que durant la période qui a suivi, les jambes de leur fille ne bougeaient pas et demeuraient en " position de grenouille ". L'expert, qui relève que le niveau de paraplégie constaté par le pédiatre de l'enfant le 7 février 1999 peut difficilement être de constitution récente et souligne que les parents ont indiqué au personnel de l'institut Gustave Roussy de Villejuif, qui a ensuite pris en charge leur fille à compter du 10 février, que celle-ci présentait une " attitude en grenouille " dès la naissance, conclut à un retard de diagnostic des symptômes neurologiques, fautif compte tenu de leur gravité. Toutefois, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, si l'expert " regrette " que l'alerte n'ait pu être donnée dès les premiers jours de vie et constate qu'un diagnostic au vingt-huitième jour est " relativement tardif ", il relève également que la mobilité des membres inférieurs était toujours difficile à évaluer au bout de plusieurs semaines compte tenu de ce que l'enfant était extrêmement réactive à toute stimulation et qu'elle était capable de maintenir ses membres inférieurs surélevés pendant plusieurs secondes. Il résulte, en outre, des différents éléments médicaux produits à l'instance que le délai moyen de diagnostic d'une compression médullaire est de douze jours et que les pathologies tumorales chez le nouveau-né sont rares, de l'ordre d'un cas tous les cinq ans à La Réunion. Dans ces conditions, alors que le centre hospitalier universitaire de La Réunion avait proposé aux parents de l'enfant un rendez-vous au huitième jour de vie auquel ils ne sont pas rendus, il ne résulte pas de l'instruction que les signes cliniques présentés par la jeune B... aux jours trois et quatre auraient appelé un diagnostic par l'établissement de santé du neuroblastome dont elle était atteinte, ou nécessité des examens complémentaires pour établir un tel diagnostic. C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont retenu que le centre hospitalier universitaire de La Réunion n'avait, dans les circonstances de l'espèce, pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.
6. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté leur demande. Par suite, leur requête ne peut qu'être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme N... et de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... N..., à Mme B... F..., au centre hospitalier universitaire de La Réunion, à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme M... J..., présidente,
Mme A... E..., présidente-assesseure,
Mme D... I..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 février 2021.
La rapporteure,
Kolia I...
La présidente,
Catherine J...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX00598