Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 novembre 2018 et le 19 juin 2020, la commune de Créon, représentée par Me L..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 septembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant ce tribunal ;
3°) de condamner Mme C... à lui rembourser la somme de 9 003,44 euros qui lui a été versée en exécution de ce jugement ;
4°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 5 300 euros.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu, en se fondant sur une expertise qui n'avait pas à procéder à une telle qualification juridique, que les bassins de rétention des eaux pluviales des lotissements " La Prairie " et " Le Hameau Beausoleil " sont des ouvrages publics, alors qu'ils n'ont pour objet que de répondre aux stricts besoins de ces lotissements, ainsi qu'éventuellement de collecter le surplus des eaux pluviales du lotissement " Le Hameau de la Garenne ", et qu'ils ne sont pas affectés à l'intérêt général ; leur entretien, conservation et gestion incombent exclusivement aux associations syndicales libres (ASL) des colotis propriétaires ;
- la juridiction administrative est incompétente pour connaître d'une action tendant à la réparation d'un dommage causé par des ouvrages privés, propriété de personnes morales de droit privé ;
- la délibération du conseil municipal du 20 juin 2013 dont se prévaut Mme C... et qui indique que la commune a décidé d'incorporer au domaine public les bassins de rétention d'eaux pluviales en cause ne s'est jamais concrétisée à défaut de signature entre le maire de la commune et chacune des ASL propriétaires des lotissements concernés d'un contrat de mutation foncière ; la signature d'un tel contrat aurait d'ailleurs nécessité une nouvelle délibération du conseil municipal, qui n'est jamais intervenue ; les bassins litigieux sont demeurés la propriété de l'Association syndicale libre des colotis propriétaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2020, Mme C..., représentée par Me J..., doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a limité à la somme de 9 003,44 euros l'indemnité qu'il a condamné la commune de Créon à lui verser en réparation du préjudice subi ;
- de porter à la somme de 37 457,81 euros le montant de l'indemnité due au titre de la réparation de ses préjudices ;
- d'enjoindre à la commune de Créon de faire diligenter des investigations techniques afin de déterminer les travaux nécessaires à la mise en état de fonctionnement correct des bassins de rétention des eaux pluviales à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de réaliser les travaux préconisés par ces investigations dans un délai de six mois à compter du dépôt du rapport ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Créon la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- les bassins de rétention des eaux pluviales à l'origine de son dommage appartiennent à la commune de Créon et sont affectés à une mission de service public ; la commune a décidé, par une délibération du 20 juin 2013, d'incorporer les bassins de rétention d'eaux pluviales litigieux au domaine public ; c'est à juste titre que l'expert a indiqué que l'entretien de ces bassins incombait à la commune à laquelle ils ont été rétrocédés ; le juge administratif est bien compétent pour connaître de son action en réparation ;
- elle a la qualité de tiers aux ouvrages publics en cause et la responsabilité sans faute de la commune est engagée en raison du dommage anormal et spécial qui lui a été causé du fait de leurs dysfonctionnements ;
- à titre subsidiaire, à supposer qu'il soit retenu qu'elle a la qualité d'usager des ouvrages publics en cause, la responsabilité de la commune de Créon est également engagée en raison du défaut d'entretien normal de ces ouvrages ; le bassin de rétention n° 1 présente un vice de conception qui ne lui permet pas d'assurer la rétention d'une hauteur d'eau d'1,26 mètre ainsi qu'il le devrait ; le bassin de rétention n° 2 n'est pas entretenu et le fossé d'écoulement qui lui sert d'accessoire n'a été que partiellement réalisé ; le bassin de rétention n° 3 présente également un défaut d'entretien et ne remplit pas son office compte tenu de l'exécution partielle du fossé d'écoulement ; ces ouvrages ont été réalisés en méconnaissance de la réglementation applicable ;
- son préjudice matériel est constitué par la perte de douze arbres, évalués par l'expert à 7 003,44 euros, postérieurement au rapport d'expertise par la perte de deux chênes, d'un merisier et quatre pins maritimes, par le coût des travaux d'enlèvement nécessaires pour deux chênes qui peuvent être évalués à 2 000 euros par arbre, par le coût du nettoyage de la parcelle endommagée AH 375 à hauteur de 4 362,50 euros et enfin par le coût des travaux nécessaires sur la parcelle cadastrée AH 25 soit 300 euros pour le rebouchage de trous, 1 800 euros pour la remise en état d'une allée en terre et la reprise des terres en bord de chemin et 1 854 euros pour des opérations de terrassement, de pompage des eaux et de coulage de béton ;
- les premiers juges ont fait une insuffisante appréciation des troubles dans ses conditions d'existence, qu'il y a lieu d'évaluer à 5 000 euros ;
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande de réparation d'un préjudice écologique ; celui-ci sera réparé par le versement de la somme de 12 837,96 euros ;
- il doit être enjoint à la commune de Créon de procéder à des investigations techniques afin de déterminer les travaux nécessaires à la mise en état de fonctionnement correct des bassins de rétention des eaux pluviales ;
- elle a exposé des dépens à hauteur de 7 071,78 euros soit 307,69 euros de frais d'huissier, 5 300 euros de frais d'expertise judiciaire, 720 euros de frais d'expertise privée complémentaire, 360 euros de frais de géomètre-expertle 6 mars 2015 et 384,09 euros de frais de constat du 13 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... H...,
- les conclusions de Mme B... D..., rapporteure publique,
- et les observations de Me L..., représentant la commune de Créon, et de Me J..., représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... est propriétaire d'un bois sur des parcelles cadastrées AH 24, 25, 26, 29 et 369 à 376 situées au lieu-dit Millas sud sur le territoire de la commune de Créon. Son terrain se situe à proximité de trois lotissements qui disposent chacun d'un bassin de rétention des eaux pluviales, lesquels sont construits sur des parcelles contiguës aux limites de la propriété de Mme C.... Estimant subir un préjudice du fait de ces ouvrages, Mme C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une expertise afin de déterminer l'origine de l'écoulement des eaux pluviales sur ses parcelles et de fournir tous les éléments utiles à la détermination des responsabilités encourues. A la suite du dépôt du rapport d'expertise le 7 juillet 2016, Mme C... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la réparation de ses préjudices par la commune de Créon. Cette dernière relève appel du jugement du 25 septembre 2018 par lequel le tribunal l'a condamnée à verser à Mme C... la somme de 9 003,44 euros en réparation de ses préjudices. Mme C... demande à la cour, par la voie de l'appel incident, que la somme que la commune de Créon a été condamnée à lui verser soit portée à 35 457,81 euros.
2. Il résulte du rapport d'expertise et n'est pas contesté que le dommage causé à la propriété de Mme C... résulte d'écoulements d'eaux provenant des bassins de rétention des eaux pluviales des lotissements " La Prairie " et " Hameau de Beausoleil ", situés à proximité immédiate de son terrain. L'expert a relevé que le manque d'entretien de ces deux ouvrages ainsi que leurs dysfonctionnements génèrent des écoulements à l'origine de flux d'eau importants, en particulier à l'occasion de pluies abondantes, qui se déversent dans le bois dont Mme C... est propriétaire.
3. D'une part, Mme C... s'est prévalue devant les premiers juges d'un compte-rendu d'une séance du conseil municipal de la commune de Créon du 27 février 2014 au cours de laquelle le maire a rappelé que la commune, par une délibération en date du 20 juin 2013, a décidé d'incorporer dans le domaine public les bassins de rétention d'eaux pluviales, notamment des lotissements " Hameau de Beausoleil ", " La Prairie " et " Hameau de la Garenne ", et a obtenu du conseil municipal l'autorisation de faire procéder à une enquête publique du 15 mars 2014 au 15 avril 2014. Toutefois, il ne saurait être déduit de ce seul élément que la commune de Créon serait propriétaire des ouvrages litigieux, alors que la commune précise, sans être contredite, que cette procédure n'a pas été poursuivie, l'enquête publique n'ayant pas eu lieu et le maire n'ayant signé aucun acte d'acquisition des ouvrages en cause. En outre, la commune justifie ne pas être propriétaires des parcelles 777 et 485 sur lesquelles se situent les bassins de rétention des eaux pluviales des lotissements " Hameau de Beausoleil " et " La Prairie ". Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Créon serait propriétaire des ouvrages à l'origine du préjudice causé à Mme C....
4. D'autre part, il résulte des documents produits pour la première fois en appel par la commune de Créon, notamment des notes de présentation des lotissements " La Prairie " et " Hameau de Beausoleil " et des notes de calcul pour l'assainissement de ces lotissements, que les bassins de rétention litigieux ont été conçus afin de recevoir les eaux pluviales des lots concernés ainsi que, pour l'un d'entre eux, le surplus de celles provenant du lotissement " Le Hameau de la Garenne " conçu par le même promoteur. Ainsi, c'est au vu de la surface des opérations concernées, de leurs espaces verts et de l'importance des surfaces imperméabilisées que les dimensions et modalités de fonctionnement des bassins de rétention des eaux pluviales ont été décidées. Il ne résulte d'aucun élément au dossier, contrairement à ce que fait valoir Mme C..., que les bassins de rétention d'eau litigieux auraient été conçus afin de répondre à d'autres besoins que ceux des lotissements concernés, ni qu'ils recueilleraient, de fait, des eaux pluviales d'une autre provenance. Dans ces conditions, les ouvrages litigieux doivent être regardés comme répondant aux seuls besoins des lotissements voisins de la propriété de Mme C... et comme n'étant pas affectés à l'usage direct du public ou aux besoins d'un service public.
5. Il résulte de ce qui précède que les bassins de rétention des eaux pluviales à l'origine du dommage de Mme C... ne sont pas des ouvrages publics. Dès lors, la commune de Créon, qui n'est pas la personne responsable du dommage causé à Mme C..., est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à verser à Mme C... une somme de 9 003,44 euros et a mis à sa charge les frais de l'expertise. Par suite, il y a lieu, comme le demande la commune de Créon, d'annuler le jugement du 25 septembre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux et, statuant par la voie de l'effet dévolutif, de rejeter la demande de Mme C... comme mal dirigée. Cette annulation implique que Mme C... reverse à la commune de Créon la somme que celle-ci lui a versée en exécution de ce jugement.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 5 300 euros par une ordonnance du 7 juillet 2016 du président du tribunal administratif de Bordeaux, et de laisser à la charge de chacune des parties les sommes qu'elles ont exposées pour les besoins de l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 septembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée. Mme C... reversera à la commune de Créon les sommes que celle-ci a pu lui verser en exécution du jugement.
Article 3 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 5 300 euros sont mis à la charge de Mme C....
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Créon, à Mme K... C..., et au syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement de Bonnetan.
Copie en sera adressée, pour information, à M. M... G..., expert.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme N... I..., présidente,
Mme A... F..., présidente-assesseure,
Mme E... H..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.
La rapporteure,
Kolia H...
La présidente,
Catherine I...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la préfète de la Gironde en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX04030