Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 février et 9 octobre 2017,
M. D...C..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 22 décembre 2016 ;
2°) d'annuler la décision du 1er octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
3°) d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de lui présenter une offre d'indemnisation, majorée des intérêts au taux légal et capitalisés à compter de la réception de sa première demande d'indemnisation, dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge du CIVEN la somme de 3 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conditions de lieux, de temps et de pathologie posées par la loi du 5 janvier 2010 modifiée par celle du 28 février 2017 pour bénéficier de la présomption d'imputabilité de la maladie sont remplies ;
- le ministre ne peut établir que sa pathologie résulte exclusivement d'une cause étrangère alors que sept essais nucléaires souterrains ont été effectués durant son séjour et que la dosimétrie d'ambiance ne couvre pas toute cette période et que les deux examens anthropospectrogammamétriques ne peuvent suffire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2017, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 26 octobre 2017, la clôture d'instruction a été fixée
au 28 décembre 2017.
Les parties ont été informées, le 14 février 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'application de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, lequel a modifié l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
Le ministre de la défense a présenté le 25 mars 2019 ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative ;
- l'avis du Conseil d'État n° 409777 du 28 juin 2017.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A... ;
- et les conclusions de M. Normand, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., sous-officier du génie, a été affecté au centre d'expérimentations du Pacifique, à Mururoa, en qualité de conducteur de travaux pendant la période allant
du 22 mai 1989 au 22 mai 1990 au cours de laquelle sept essais nucléaires souterrains ont été réalisés. M. C...ayant contracté une leucémie à l'âge de 46 ans, il a déposé une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Le ministre de la défense a, en dernier lieu, rejeté cette demande par une décision du 1er octobre 2014, sur avis du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ayant estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. C...pouvait être considéré comme négligeable. M. C...relève appel du jugement du 22 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et demande qu'il soit enjoint au CIVEN de lui proposer une indemnisation.
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction issue de la loi
du 28 décembre 2018, applicable aux instances en cours au lendemain de la publication de cette loi, comme en l'espèce : " I- Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. (...) III.-Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur le I de l'article 4 a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la
loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, le demandeur ou ses ayants droit, s'il est décédé, peuvent présenter une nouvelle demande d'indemnisation avant le 31 décembre 2020.". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie
radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et
le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ Un décret en Conseil d'État délimite les zones périphériques mentionnées au 1°. ". L'article 4 de ladite loi dispose que : " I. Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...). V. Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de
l'article L. 1333-2 du code de la santé publique. (...) ". Enfin, aux termes de
l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " I.-Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12./ II.-La limite de dose équivalente est fixée pour : 1° Le cristallin à 15 mSv par an ; 2° La peau à 50 mSv par an en valeur moyenne pour toute surface de 1 cm2 de peau, quelle que soit la surface exposée. ".
3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie.
Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée, dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an.
4. Il résulte de l'instruction que M. C...a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il souffre figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.
5. Le ministre admet que M. C...n'a pas été soumis à une surveillance dosimétrique systématique lors de son séjour à Mururoa. S'il fait valoir que l'intéressé a subi un examen anthropospectrogammamétrique à son arrivée au centre d'expérimentations du Pacifique le 24 mai 1989, puis à son départ, le 25 mai 1990, ces seuls examens ne peuvent suffire à établir que l'appelant aurait reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite fixée dans les conditions prévues au 3° de
l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 22 décembre 2016, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense
du 1er octobre 2014.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Il résulte des dispositions citées au point 2 que lorsque le juge statue sur une décision antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, il se borne, s'il juge qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande.
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 7 que le présent arrêt implique nécessairement que le CIVEN réexamine la demande introduite par M. C...et lui adresse une proposition d'indemnisation tendant à la réparation intégrale des préjudices subis en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au CIVEN d'adresser à M. C...une proposition d'indemnisation dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt. L'indemnisation qui lui sera versée inclura les intérêts au taux légal et capitalisés auxquels il peut prétendre. Il n'y a cependant pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 22 décembre 2016 est annulé.
Article 2 : La décision du ministre de la défense du 1er octobre 2014 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'adresser une proposition d'indemnisation à M. C...dans le délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à M. C...une somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M.C..., au ministre des armées et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2019 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 mai 2019.
Le rapporteur,
Didier A...
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX00672