Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mai 2016 et 1er juin 2017, la SCI du Château de Gudanes, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 avril 2016 ;
2°) de condamner l'État à lui verser une somme de 3 657 206 euros, majorée des intérêts au taux légal et capitalisés à compter du 24 juillet 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a commis une faute en classant le château au titre des monuments historiques ;
- cette faute l'a empêchée de mener à son terme ses projets de réhabilitation ;
- les préjudices subis représentent une somme de 3 657 206 euros ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'État est engagée même sans faute dès lors qu'elle a supporté une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général en raison de la servitude au titre de son classement aux monuments historiques.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 mai et 23 juin 2017, le ministre de la culture conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SCI Château de Gudanes ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...,
- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant la SCI Château de Gudanes.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte notarié du 22 novembre 1988, la société civile immobilière (SCI) Château de Gudanes est devenue propriétaire de l'immeuble appelé " Château de Gudanes " situé à Château-Verdun (Ariège). Le 1er avril 1993, le préfet de région a pris un arrêté intermédiaire d'inscription à l'inventaire des monuments historiques, puis, par un arrêté du 14 juin 1994, le ministre de la culture et de la communication a classé ledit château au titre des monuments historiques.
La SCI Château de Gudanes relève appel du jugement du 8 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser une somme de 3 657 206 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du classement du château au titre des monuments historiques.
Sur la responsabilité pour faute de l'État :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques applicable au 14 juin 1994, date de la décision de classement du château de Gudanes, dorénavant codifié à l'article L. 621-1 du code du patrimoine : " Les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt public, sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins du ministre chargé des affaires culturelles (...) ". Aux termes de l'article 5 de la même loi dorénavant codifié à l'article L. 621-6 du même code : " L'immeuble appartenant à toute personne autre que celles énumérées aux articles 3 et 4 est classé par arrêté du ministre chargé des affaires culturelles, s'il y a consentement du propriétaire. L'arrêté détermine les conditions du classement. / A défaut du consentement du propriétaire, le classement est prononcé par un décret en Conseil d'État qui détermine les conditions de classement et notamment les servitudes et obligations qui en découlent. Le classement peut alors donner droit à indemnité au profit du propriétaire s'il résulte, des servitudes et obligations dont il s'agit, une modification à l'état ou à l'utilisation des lieux déterminant un préjudice direct, matériel et certain. La demande de l'indemnité devra être produite dans les six mois à dater de la notification du décret de classement. A défaut d'accord amiable, l'indemnité est fixée par le juge de l'expropriation. ".
3. D'une part, il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative peut procéder au classement au titre des monuments historiques d'immeubles ou, le cas échéant, de parties d'immeubles qui présentent un intérêt d'art ou d'histoire suffisant pour en justifier la préservation. Si le classement peut également porter sur certaines parties de l'immeuble qui ne présentent pas par elles-mêmes cet intérêt, c'est à la condition, compte tenu des limitations ainsi apportées à l'exercice du droit de propriété, que cette mesure apparaisse nécessaire afin d'assurer la cohérence du dispositif de protection de cet immeuble au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques.
4. Il résulte de l'instruction que le château de Gudanes, qui s'inscrit dans un écrin montagneux exceptionnel dans la vallée de l'Ariège, constitue l'un des plus importants édifices classiques du département et présente un intérêt historique en ce que le premier logis cantonné de tours, construit par la familleB..., qui possèdera le château jusqu'à la Révolution, a été démoli en 1580 lors de la lutte entre catholiques et protestants et qu'un nouveau château sera édifié de 1741 à 1750. L'architecte des bâtiments de France mentionne d'ailleurs qu'il est le seul édifice dans le département à présenter un corps de bâtiment complet daté du XVIIIème siècle. Son intérêt réside également dans la grande qualité de la mise en scène architecturale du château alors mise en oeuvre. La façade est composée d'un avant-corps central encadré de deux corps latéraux selon le dessin de l'architecte, qui pourrait être Ange-Jacques Gabriel, premier architecte du roi Louis XV, l'extérieur du château étant en outre constitué d'un ensemble de terrasses à trois niveaux dans une vaste perspective depuis l'avant corps et son premier perron et d'un élégant portail à ferronnerie du XIXème siècle. L'intérieur de l'édifice est marqué par une enfilade de six pièces au rez-de-chaussée, les plus exceptionnelles étant la salle à manger ornée par un ensemble formé d'une cheminée encadrée par deux consoles et une fontaine de marbre noir et un plafond à la française, un salon de musique et un escalier XVIIIème siècle. En dépit des campagnes de restauration intervenues aux XIXème et XXème siècles et dont se prévaut l'appelante, le bâtiment continue, par ses volumes et ses caractéristiques, de témoigner de son ancienne destination. Dès lors, la SCI Gudanes, qui ne conteste pas avoir donné son accord au classement du château, n'est pas fondée à soutenir que celui-ci ne présenterait pas un intérêt d'art et d'histoire suffisant justifiant son classement en totalité, ainsi que le portail et sa grille, les sols de l'allée montante et des trois terrasses, au titre des monuments historiques. Il s'ensuit qu'elle n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'État sur le fondement d'une prétendue illégalité fautive.
5. D'autre part et ainsi que l'ont retenu les premiers juges, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par le président de la présente cour, que la SCI Château de Gudanes a bénéficié de l'appui technique et financier des services de l'État et du département de l'Ariège dans ses projets de création d'un hôtel, d'une part, et d'aménagement en appartements, d'autre part. De multiples subventions ont notamment été accordées à la SCI pour un montant global de plus de 1,5 million de francs et n'ont été annulées qu'en raison de l'absence d'engagement des travaux par la société dans les délais impartis. La SCI requérante ne conteste d'ailleurs pas sérieusement n'avoir entrepris aucun aménagement dans le château entre son acquisition en 1988 et sa revente, à l'exception des travaux de conservation et de réfection de toiture à la suite d'une mise en demeure qui lui a été adressée le 5 mars 2010. Il n'est pas davantage établi le caractère déraisonnable des délais dans lesquels les avis régulièrement requis, d'ailleurs tous favorables, ont été rendus sur ses projets successifs. Dans ces conditions, la SCI Château de Gudanes n'est pas fondée à soutenir que les services de l'État auraient commis des agissements fautifs faisant obstacle à ses projets. Au demeurant, le sapiteur nommé dans le cadre de l'expertise a retenu que rien ne permettait d'établir l'existence d'un préjudice subi par
la SCI Château de Gudanes du fait d'éventuels " atermoiements " de l'administration.
Sur la responsabilité sans faute de l'État :
6. Le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude au titre de la protection des monuments historiques peut prétendre à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, qu'il supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. Il lui incombe alors, comme en toute hypothèse mettant en jeu la responsabilité de la puissance publique, d'apporter la preuve du préjudice qu'il allègue et d'établir que ce préjudice présente un caractère direct et certain.
7. La société appelante se borne à reprendre en appel le moyen tiré de ce que le classement du château de Gudanes dans sa totalité au titre des monuments historiques a fait peser sur elle une charge hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi, sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux. Dans ces conditions, il y a lieu, par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges, d'écarter ce moyen.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Château de Gudanes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas partie perdante à l'instance, la somme que demande la SCI Château de Gudanes au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI Château de Gudanes est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Château de Gudanes et au ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2018 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mai 2018.
Le rapporteur,
Didier A...
Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX01711