Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 août 2017, Mme A..., représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 juin 2017 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter de sa demande préalable, en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis à raison de son exposition, au cours de sa carrière professionnelle, à l'inhalation de poussières d'amiante ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est fondée à rechercher la responsabilité d'Etat à raison de sa carence fautive en tant qu'employeur dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, dès lors que les ouvriers ont été exposés aux poussières d'amiante sans protection adaptée et qu'ils n'ont pas reçu d'informations sur les risques auxquels ils étaient exposés ;
- l'inspecteur du travail avait émis un avis favorable à l'inscription de cet établissement susceptible d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour son activité entre 1972 et 1997, activité qui exposait sévèrement les salariés aux risques liés à l'inhalation de fibres d'amiante ;
- l'utilisation d'importantes quantités d'amiante dans certaines productions remontent au moins à 1964 ;
- l'Etat n'a procédé à aucune évaluation sur les risques pesant sur les ouvriers de l'Etat ;
- l'Etat ne pouvait ignorer les risques liés à l'amiante ;
- elle a travaillé dans un établissement susceptible d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et elle a été exposée pendant plus vingt-cinq ans à l'inhalation de poussières d'amiante ;
- cette exposition est suffisamment longue pour bénéficier de la présomption d'imputabilité de toutes les maladies du tableau 3 ;
- les attestations produites démontrent la réalité de cette exposition ;
- elle est fondée à demander la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral tenant à l'anxiété de développer une pathologie grave et d'avoir une espérance de vie diminuée et la même somme au titre des troubles subis dans les conditions d'existence.
Par un mémoire enregistré le 29 mai 2018, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de Mme A....
Il soutient que:
- le métier de comptable ne figure pas sur la liste des métiers ouvrant droit à l'ACAATA ;
- Mme A... n'établit pas la réalité de son préjudice, à savoir qu'elle a été exposée à des poussières d'amiante ;
- ses fonctions nécessitaient peu de déplacements dans les lieux exposés aux risques d'amiante ;
- Mme A... n'établit pas subir un préjudice spécifique d'anxiété.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 70-575 du 3 juillet 1970 ;
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
- le décret n° 70-1274 du 23 décembre 1970 ;
- le décret n° 71-571 du 9 juillet 1971 ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;
- le décret n° 99-247 du 29 mars 1999 ;
- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- l'arrêté du 30 juin 2003 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... B...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me G... pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a occupé, du 1er décembre 1966 au 30 avril 1992, différents postes de travail au sein de la poudrerie nationale de Saint-Médard-en-Jalles, service de la délégation générale de l'armement du ministère des armées, devenue, à compter du 1er octobre 1972, la société nationale des poudres et explosifs (SNPE). Ce site est inscrit, depuis le 30 juin 2003, sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période allant de 1972 à 1997 par arrêté ministériel, pris en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999. Elle a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a estime avoir subis à raison de son exposition aux poussières d'amiante. Par un jugement du 8 juin 2017, dont elle relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Il résulte de l'instruction que Mme A... invoque la carence fautive de son employeur, l'Etat (ministère de la défense) qui l'a fait travailler dans des conditions d'hygiène et de sécurité sans protection contre les poussières d'amiante.
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives : " (...) le monopole de l'Etat en matière de production, d'importation, d'exportation et de commerce des poudres et substances explosives est, à la date de la publication de la présente loi, aménagé de telle sorte que l'Etat puisse soit déléguer certaines opérations à des entreprises publiques, soit autoriser des entreprises publiques ou privées à exécuter ces opérations (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " L'Etat peut apporter ou donner en gérance sous forme de contrat de location des actifs du service des poudres nécessaires à l'exploitation, à une société nationale régie par la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et dont l'Etat détiendra la majorité du capital social. ". Aux termes de l'article 5 de cette même loi : " I. A compter de la date de constitution de la société visée à l'article 3 (...) II-Les ouvriers sous statut des établissements apportés à la société seront mis à la disposition de celle-ci à compter de la date de sa constitution puis, dans un délai d'un an, recrutés par elle dans les conditions du droit du travail, sauf s'ils optent pour : a) Leur maintien à la disposition de la société avec conservation de leur statut. En conséquence, ils continueront à être régis par les textes qui s'appliquent ou s'appliqueront aux personnels placés sous statut d'Etat employés dans les établissements relevant du ministre d'Etat chargé de la défense nationale ; (..) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 9 juillet 1971 relatif à la situation des personnels de l'Etat mis à la disposition de la société nationale des poudres et explosifs en application de l'article 5 de la loi du 3 juillet 1970 précitée : " Les ouvriers sous statut mis à la disposition de la société nationale des poudres et explosifs (...) conservent le bénéfice de ce statut avec toutes ses conséquences de droit. / La notation, l'avancement, la discipline et d'une façon générale, l'administration de ces ouvriers sont assurés dans le cadre des dispositions règlementaires en vigueur par le président de la société ou par toute personne déléguée par lui à cet effet. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que l'établissement de Saint-Médard-en-Jalles dans lequel exerçait Mme A... était exploité, jusqu'au 30 septembre 1972, par une administration publique rattachée à la délégation générale de l'armement du ministère des armées, la poudrerie nationale, puis, à compter du 1er octobre 1972, par la SNPE créée en application de l'article 3 de la loi du 3 juillet 1970. Il résulte des dispositions de l'article 3 du décret du 9 juillet 1971 précitées qu'il appartenait à la SNPE d'administrer les ouvriers demeurés sous le statut d'agent public et donc de mettre en oeuvre les règles d'hygiène et de sécurité propres à soustraire ces personnels au risque d'exposition aux poussières d'amiante dès lors qu'elle était devenue leur employeur. Par suite, la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur ne saurait être recherchée à ce titre pour la période allant du 1er octobre 1972 au 30 avril 1992, alors même que Mme A... avait opté pour le maintien de son statut d'agent public.
5. En revanche, le caractère nocif des poussières d'amiante étant connu depuis le début du XXème siècle et le caractère cancérigène de celles-ci ayant été mis en évidence dès le milieu des années cinquante, l'Etat, en tant qu'employeur, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'ayant pas mis en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à soustraire ses ouvriers à un risque d'exposition aux poussières d'amiante pour la période antérieure allant jusqu'au 30 septembre 1972, alors même qu'il résulte de l'instruction, ce qui n'est pas contesté par le ministre des armées, qu'il était utilisé une quantité importante d'amiante dans le processus de production de l'établissement de Saint-Médard-en-Jalles à partir de l'année 1963.
Sur les préjudices :
6. Il appartient à l'intéressée d'exposer précisément les conditions d'exposition aux poussières d'amiante compte tenu de ses fonctions et de ses affectations successives. En outre, l'évaluation des préjudices dépend des éléments personnels et circonstanciés avancés par la requérante tenant notamment à la durée et aux conditions particulières d'exposition.
7. Pour établir l'exposition alléguée aux poussières d'amiante, Mme A... produit une attestation pour le suivi post-professionnel et des témoignages de plusieurs de ses collègues. Il résulte toutefois de l'instruction que Mme A..., qui exerçait, au sein du service financier, les fonctions de comptable, ce qui n'impliquait pas de déplacements fréquents dans les lieux exposés aux poussières d'amiante, ne bénéficie d'aucun dispositif mis en place au profit des travailleurs exposés à l'amiante, ni d'un suivi médical particulier. Même si chaque année, elle participait aux inventaires dans les ateliers et que ses fonctions la conduisaient à recevoir la visite, dans son bureau, d'ouvriers en bleu de travail, porteurs de poussières, ces circonstances ne suffisent pas à considérer qu'elle était exposée de façon suffisamment significative aux poussières d'amiante. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de sa carence en tant qu'employeur à mettre en oeuvre les règles d'hygiène et de sécurité propres à la soustraire aux risques liés d'exposition aux poussières d'amiante.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre de ses frais d'instance.
DECIDE
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à Mme D... A....
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme E... F..., présidente-assesseure,
Mme C... B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 décembre 2019.
Le rapporteur,
Déborah B...Le président,
Dominique NavesLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17BX02731