Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juin 2020, M. E..., représenté par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 septembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " et, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par ordonnance du 21 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 20 novembre 2020 à 12 heures.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Un mémoire produit par M. E... a été enregistré le 20 novembre 2020 à 10 h 14 et n'a pas été communiqué.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 mai 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York
le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1990 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... A...,
- et les observations de Me G..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant nigérian né le 10 avril 1980, déclare être entré sur le territoire français en 2012. Le 29 juillet 2019, M. E... a sollicité un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-14 du même code. Par un arrêté du 24 septembre 2019, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. E... a demandé l'annulation de cet arrêté. Par un jugement n° 1906090 du 11 mars 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. M. E... relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de l'arrêté du 24 septembre 2019 :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. M. E... soutient qu'il a quitté son pays d'origine puis est entré en France en 2012 et qu'il vit en couple avec une compatriote, Mme F.... Il ressort des pièces du dossier que celle-ci était, à la date de l'arrêté attaqué, en possession d'un récépissé de renouvellement de carte de séjour établi le 2 août 2019 et, partant, en situation régulière sur le territoire français où elle a vocation à se maintenir dès lors que sa fille, Osagbem, a la nationalité française. Il ressort également des pièces du dossier que M. E... et Mme F... sont les parents de deux enfants, H..., né en 2011 en Espagne, et Joyce, née en 2017 à Bordeaux. Ainsi, alors même que M. E... ne démontre être hébergé avec Mme F... que depuis le 1er juillet 2019, une relation stable et ancienne avec Mme F... est établie, alors qu'il produit des attestations rédigées par un médecin selon lesquelles il accompagne ses enfants aux rendez-vous. Dans ces conditions, M. E... est fondé à soutenir que la décision en litige méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
4. Il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à se soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Il suit de là que l'arrêté du 24 septembre 2019 de la préfète de la Gironde et le jugement du 11 mars 2020 du tribunal administratif de Bordeaux doivent être annulés.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Il résulte de ce qui précède que le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, que l'autorité préfectorale délivre à M. E... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais exposés au titre de l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de condamner l'Etat, partie perdante, à verser à Me G..., qui renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 11 mars 2020 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du 24 septembre 2019 de la préfète de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de délivrer à M. E... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Me G..., qui renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à Me B... G... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
M. D... A..., président,
Mme I... J..., présidente-assesseure,
Mme Déborah de Paz, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 février 2021.
Le président-rapporteur,
Didier A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX01841 2