Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 juillet 2021, Mme A... B..., représentée par Me Lanne, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 16 juin 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er février 2021 de la préfète de la Gironde ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que ses liens familiaux et affectifs se situent en France ; elle justifie de l'ancienneté de sa vie commune avec son époux, un compatriote en situation régulière sur le territoire, depuis plus de deux ans, de la naissance de leur fille le 17 octobre 2019 et contribue à son entretien et à son éducation ; elle a un projet professionnel dès lors qu'elle a travaillé comme ouvrière agricole pour une société en 2020 et 2021 dont son époux est le gérant, et bénéficie d'une promesse d'embauche ; l'achat d'une maison d'habitation justifie qu'elle puisse rester en France ;
- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît l'intérêt supérieur de sa fille mineure, en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 et 16 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la décision contestée de refus de titre de séjour est entachée d'erreur de droit liée à la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que la préfète de la Gironde n'a pas procédé à une appréciation d'ensemble des éléments de sa situation professionnelle notamment au regard de son expérience, des diplômes possédés et des caractéristiques de l'emploi auquel elle postule.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête de Mme A... B.... Elle fait valoir que les moyens invoqués par Mme A... B... ne sont pas fondés en se référant expressément à ses écritures produites en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 9 octobre 1987, entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Agnès Bourjol a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante marocaine, est entrée en Espagne le 15 mars 2018 sous couvert de son passeport revêtu d'un visa de court séjour valable quinze jours, avant d'entrer sur le territoire français à une date indéterminée. Le 13 février 2020, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 1er février 2021, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande. Mme A... B... relève appel du jugement du 16 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ". L'article 3 du même accord stipule que : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de ''article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. ".
3. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, au sens de l'article 9 de cet accord.
4. Mme A... B... soutient que la préfète de la Gironde a entaché sa décision d'erreur de droit pour n'avoir pas examiné son droit au séjour au titre du travail, alors qu'elle dispose d'une promesse d'embauche. Toutefois, et contrairement à ce qui est soutenu, la décision contestée est motivée par la circonstance qu'aucune considération humanitaire ni aucun motif exceptionnel ne justifie la délivrance à Mme A... B... d'un titre de séjour ni au titre de sa situation familiale et personnelle ni en qualité de salariée.
5. Il ressort des pièces du dossier que la promesse d'embauche présentée par l'appelante, qui concerne un emploi d'ouvrière agricole dans la société dont son époux est le gérant, qui est au demeurant postérieure à l'arrêté contesté, ne permet pas de caractériser un tel motif exceptionnel ou humanitaire dès lors notamment que le séjour en France de l'appelante présente un caractère récent, qu'elle n'y fait état d'aucun lien particulier et n'établit pas y être particulièrement intégrée, qu'elle ne justifie pas être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine au sens des mêmes dispositions. Pour l'ensemble de ces conditions, la préfète de la Gironde n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit en refusant d'admettre Mme A... B... au séjour en s'abstenant de faire usage de son pouvoir de régularisation exceptionnel et en refusant de lui reconnaître, à ce titre, un droit au séjour en qualité de salariée ou au titre de la vie privée et familiale.
6. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. /2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. Pour soutenir que la décision du 1er février 2021 lui refusant un titre de séjour porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, Mme A... B... fait valoir que le centre de ses intérêts est désormais en France où elle vit depuis trois ans avec son époux et sa fille mineure, née en France en octobre 2019 et se prévaut de son mariage le 6 avril 2019 avec un compatriote qui réside régulièrement en France. Toutefois, le mariage de Mme A... B... datait d'un an et dix mois à la date de la décision contestée. Il ressort des pièces du dossier qu'entrée en France dans le courant de l'année de 2018, elle s'y est maintenue irrégulièrement et n'a sollicité la régularisation de sa situation administrative que le 13 février 2020. La requérante n'apporte au demeurant aucune précision quant à la stabilité et l'intensité des liens personnels qu'elle aurait noués sur le territoire français. Elle ne conteste pas qu'elle conserve des attaches familiales au Maroc, où résident ses parents et une partie de sa fratrie et où elle a vécu elle-même jusqu'à l'âge de 23 ans. En outre, en se bornant à produire un contrat d'électricité au nom du couple daté du 8 janvier 2019 et un formulaire de transformation d'un compte bancaire individuel en compte joint non daté, l'intéressée ne justifie pas de l'ancienneté de son séjour en France. La circonstance que Mme A... B... bénéficie d'une promesse d'embauche dans la société agricole dont son époux est le gérant, au demeurant postérieure à l'arrêté contesté, n'est pas de nature à remettre en cause l'analyse opérée par les premiers juges. Ainsi, au regard des conditions de son séjour sur le territoire, des liens qu'elle a conservés dans son pays d'origine, à la possibilité qui est ouverte à son conjoint, titulaire d'un carte de séjour pluriannuelle de deux ans, de solliciter pour elle le bénéfice du regroupement familial, et alors qu'elle n'établit pas que sa cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer au Maroc, pays dont est également originaire son époux, la décision contestée n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme A... B... une atteinte excessive. Elle n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Si Mme A... B... soutient que le très jeune âge de sa fille justifie qu'elle ne soit pas séparée de sa mère ou de son père, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que la séparation de l'enfant d'avec sa mère, à supposer même que son époux de nationalité marocaine ne puisse la rejoindre, serait, dans l'attente d'un regroupement familial, de nature à méconnaître les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
10. En quatrième et dernier lieu, selon l'article 16 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ".
11. En l'absence de toute circonstance mettant la requérante dans l'impossibilité d'emmener son enfant avec elle, l'arrêté contesté ne peut être regardé comme contraire à l'article 16 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990.
12. Si Mme A... B... a présenté des conclusions dirigées contre la mesure d'éloignement et contre la décision fixant le pays de renvoi que comporte l'arrêté litigieux du 1er février 2021 de la préfète de la Gironde, elle n'assortit son moyen d'illégalité d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et de la décision fixant le pays de renvoi ne peuvent qu'être rejetées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
14. Les conclusions aux fins d'annulation étant rejetées, il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions présentées par Mme A... B... à fin d'injonction ainsi qu'au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... B... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 28 février 2022, à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2022.
La rapporteure,
Agnès BOURJOLLe président,
Didier ARTUS
La greffière,
Sylvie HAYET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX02968