Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 avril 2021, Mme A..., représentée par Me Reix, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2000147, 2000461 du tribunal administratif ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 15 novembre 2019 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre à la préfète de lui délivrer le titre de séjour sollicité sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ; à défaut de réexaminer sa situation dans le même délai en la munissant d'un récépissé de demande avec autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient, en ce qui concerne le refus de titre de séjour, que :
- le tribunal a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en jugeant que l'illégalité de la décision du 15 novembre 2019, qu'il a annulée, n'avait pas d'incidence sur la décision du même jour portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi ; en effet, cette dernière décision se fonde expressément sur l'autre décision, du même jour, annulée par les premiers juges ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en ne relevant pas que l'arrêté du 15 novembre 2019 ne trouvait pas sa base légale dans la décision du même jour et illégale ; l'arrêté du 15 novembre 2019 répond à une demande de titre de séjour en qualité de salarié présentée au titre des dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'illégalité du refus opposé à une demande d'autorisation de travail peut être utilement invoquée à l'appui du refus de titre de séjour lui-même ; il incombait en conséquence aux premiers juges d'en tirer les conséquences s'agissant de l'arrêté du 15 novembre 2019.
Elle soutient, en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français, que :
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnait son droit à une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Elle soutient, en ce qui concerne le pays de renvoi, que :
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 juillet 2021, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision de la présidente de la cour d'administrative d'appel de Bordeaux du 30 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... est une ressortissante albanaise née le 15 octobre 1992 qui est entrée sur le territoire français en septembre 2014, selon ses déclarations, avec son époux et son fils pour y déposer une demande d'asile. Celle-ci a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 15 juin 2015 confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 19 janvier 2016. Mme A... a cependant bénéficié d'un titre de séjour délivré par le préfet de la Gironde pour raisons de santé sur la période du 16 décembre 2016 au 16 décembre 2017. Sa demande de renouvellement de ce titre a fait l'objet d'un arrêté de refus du 22 juin 2018 assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la fixation du pays de renvoi, que le tribunal administratif de Bordeaux a annulé par jugement du 27 décembre 2018. Après réexamen de la situation de Mme A..., qui a également sollicité un titre de séjour en qualité de salariée, la préfète de la Gironde a pris, le 18 septembre 2019, une décision rejetant la demande d'autorisation de travail présentée pour le compte de cette dernière, confirmé ce refus par une décision du 15 novembre 2019 répondant au recours gracieux de l'employeur de Mme A... et pris un arrêté du 15 novembre 2019 portant refus de titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-10-1°, L. 313-11-7°, L. 313-11-11° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la désignation du pays de renvoi. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de Bordeaux par jugement du 3 juin 2020 a annulé la décision du 15 novembre 2019 portant rejet du recours gracieux, prescrit à la préfète de réexaminer la demande d'autorisation de travail de Mme A... et rejeté le surplus des demandes. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 15 novembre 2019 en tant qu'il porte refus de titre de séjour en qualité de salariée :
2. Aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié " (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : (...) 6° Le salaire proposé à l'étranger qui, même en cas d'emploi à temps partiel, est au moins équivalent à la rémunération minimale mensuelle mentionnée à l'article L. 3232-1 (...) ".
3. Pour annuler, au motif qu'elle était entachée d'un défaut d'examen de la situation particulière de Mme A..., la décision du 15 novembre 2019 par laquelle la préfète de la Gironde a rejeté le recours gracieux dirigé contre l'arrêté du 18 septembre 2019 portant refus d'autorisation de travail, le tribunal s'est fondé sur le fait que la préfète n'avait pas examiné les pièces produites par l'intéressée le 22 octobre 2019, lesquelles révélaient un changement dans sa situation professionnelle dès lors qu'elle était désormais titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet lui procurant une rémunération mensuelle de 1 521,25 euros.
4. Mme A... peut utilement exciper de l'illégalité de la décision du 15 novembre 2019 lui refusant l'autorisation de travail, pour autant que cette décision ne soit pas devenue définitive, à l'appui de sa contestation de l'arrêté du 15 novembre 2019 en tant que celui-ci rejette sa demande de titre de séjour en qualité de salariée. Au 13 janvier 2020, date à laquelle Mme A... a excipé de l'illégalité de la décision du 15 novembre 2019, cette dernière n'était pas encore devenue définitive.
5. Les motifs de l'arrêté du 15 novembre 2019 révèlent que la préfète, après s'être référée à sa décision du même jour ultérieurement annulée par le tribunal, a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A... au motif que son contrat de travail prévoyait une rémunération inférieure au seuil prévu au 6° de l'article R. 5221-20 précité du code du travail. Par suite, l'arrêté du 15 novembre 2019 en litige, en tant qu'il rejette la demande de titre en qualité de salariée, est fondé sur la décision du même jour confirmant le refus d'autorisation de travail opposé à Mme A.... Dès lors que cette dernière décision a été annulée par le tribunal, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas annulé l'arrêté du 15 novembre 2019 en tant que celui-ci rejette sa demande de titre comme salariée. Par suite, l'arrêté du 15 novembre 2019 doit être annulé dans cette mesure.
En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi :
6. L'illégalité du refus de titre de séjour opposé à Mme A..., qui est susceptible de se voir reconnaitre un droit à demeurer sur le territoire français en qualité de salariée, entraîne l'illégalité de la mesure d'éloignement en litige. Par suite, il y a lieu d'annuler cette dernière décision.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ". Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".
8. Le motif d'annulation retenu au présent arrêt implique nécessairement qu'il soit prescrit à la préfète d'examiner la demande de titre de séjour en qualité de salariée de Mme A.... Il y a lieu par ailleurs de faire application de l'article L. 512-4 précité en prescrivant à la préfète de délivrer à Mme A... une autorisation provisoire de séjour pendant le temps nécessaire à l'instruction de sa demande de titre de séjour.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37- 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Mme A... a obtenu l'aide juridictionnelle et son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Reix, avocat de Mme A..., de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce versement emportant, conformément à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE
Article 1er : L'arrêté du 15 novembre 2019 de la préfète de la Gironde est annulé en tant qu'il rejette la demande de titre de séjour de Mme A... en qualité de salariée.
Article 2 : Il est prescrit à la préfète de la Gironde de statuer de nouveau sur la demande de titre de séjour de Mme A... en qualité de salariée dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. La préfète délivrera à Mme A... une autorisation provisoire de séjour pendant le temps de l'instruction de sa demande.
Article 3 : Sous réserve que Me Reix renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier lui versera la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le jugement n° 2000147, 2000461 du tribunal administratif de Bordeaux du 3 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Reix. Copie pour information en sera délivrée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 30 août 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2021.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX01949 3