Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 mai 2019 et un mémoire enregistré le 20 janvier 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 mars 2019 en ce qu'il a maintenu à sa charge les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que les pénalités auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- lorsque l'administration entend fonder une rectification sur le fondement de l'article 92 du code général des impôts, il lui appartient d'établir que les sommes réintégrées dans les bases imposables du contribuable constituent des revenus ; le tribunal administratif a renversé la charge de la preuve en retenant qu'il n'apportait aucun élément de contradiction à la thèse de l'administration alors qu'il appartenait à celle-ci d'établir que les sommes constituaient des revenus ;
- c'est à tort que l'administration a imposé les prêts bancaires versés sur son compte dans la catégorie des bénéfices non commerciaux alors que ces crédits relèvent d'un système de cavalerie bancaire mis en place à la seule initiative d'un salarié de sa banque ; en l'absence de terme fixé pour l'exigibilité le tribunal ne peut retenir le solde indiqué pour en déduire qu'il s'agit de profit imposable ; les opérations de cavalerie ne dégagent pas de profit imposable dans la catégorie des BNC car elles ont pour seul but de procurer des facilités de trésorerie et rien n'indique que les sommes ont été appréhendées à titre définitif et constitueraient donc un profit ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les sommes mises à disposition étaient des prêts dont la déchéance du terme prononcée par la banque n'est pas intervenue valablement et les contrats étaient donc en cours, les sommes ne pouvant donc être considérées comme un profit imposable par l'administration fiscale ;
- c'est à tort que l'administration a réintégré dans ses bénéfices industriels et commerciaux le montant d'une dette bancaire de 139 506 euros comptabilisée au bilan de l'entreprise LTMC au titre de l'exercice clos en 2011 au motif que le contrat de prêt a été établi au nom d'un tiers puisque les sommes correspondantes ont été débloquées par le crédit mutuel sur le compte de l'EURL LTCM et qu'il s'agit donc d'une dépense justifiée pouvant être déduite au sens de l'article 38-2 du code général des impôts du résultat et que le prêt a été établi à leur insu au nom de son fils ; il a produit un tableau d'amortissement communiqué en juin 2012 par le conseiller bancaire au comptable de l'EURL LCTM confirmant la réalité du financement consenti à cette société ; le prêt octroyé à l'EURL est bien une dépense justifiée .
Par mémoires en défense enregistrés le 19 novembre 2019 et le 9 février 2021, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F... C...,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,
- et les observations de Me B..., représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est associé unique et gérant de l'EURL LTCM, société de terrassement, qui a fait l'objet en 2014 d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. A l'issue de ce contrôle, l'administration a considéré que le passif comptabilisé par la société d'un montant de 139 506 euros au titre de l'année 2012 était injustifié et a procédé à son imposition à l'impôt sur le revenu au nom de M. A... dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). L'administration a également notifié à M. A... des rehaussements en matière de bénéfices non commerciaux (BNC) au titre des années 2010, 2011 et 2012 correspondants à des profits divers au sens du I de l'article 92 du code général des impôts, dont il a bénéficié. Enfin, M. A... a également fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation personnelle au titre des années 2011 et 2012. Les impositions supplémentaires résultant de ces différents contrôles ont été mises en recouvrement le 30 avril 2016 pour un montant total en droits et pénalités de 340 815 euros au titre des années 2010, 2011 et 2012. M. A..., après avoir présenté une réclamation le 1er juin 2016 qui a fait l'objet d'une décision de rejet implicite de la part de l'administration, a demandé au tribunal administratif de Poitiers la décharge de ces impositions supplémentaires. En cours d'instance, l'administration a prononcé le dégrèvement des impositions supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises en recouvrement au titre de l'année 2010, pour un montant de 188 781 euros. Par jugement du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Poitiers a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé, puis rejeté le surplus de la requête. M. A... relève appel de ce jugement en ce qu'il a maintenu à sa charge les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que les pénalités auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012, pour un montant total de 141 445 euros.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne les rectifications relatives aux BNC des années 2011 et 2012 :
2. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçant et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profit ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ". Il appartient à l'administration, lorsqu'elle entend fonder une imposition sur les dispositions de l'article 92 précité, en dehors de toute procédure de taxation d'office comme en l'espèce, d'établir que les sommes réintégrées dans les bases imposables du contribuable constituent des revenus. Dans ce cadre, il incombe au juge de l'impôt d'apprécier si l'administration établit la nature de revenus des sommes en cause, compte tenu des éléments de preuve qu'elle présente et, le cas échéant, des éléments que lui soumet le contribuable qui soutient que les sommes en litige ne présentent pas la nature de revenus ou relèvent d'une autre catégorie d'imposition et de ceux que l'administration lui oppose alors en vue d'établir, par tout autre moyen complémentaire, le bien-fondé de l'imposition.
3. Par ailleurs, de simples facilités de trésorerie ou des sommes apparaissant au crédit du compte du contribuable dans le cadre d'opérations de cavalerie bancaire, qui ne lui procurent en réalité aucun revenu, ne sont pas imposables. Le principe de l'annualité de l'impôt, ou la circonstance que les mouvements de fonds soient opérés entre personnes juridiquement distinctes sont sans incidence, les sommes en cause ne pouvant être considérées comme appréhendées dès lors que les débits et les crédits sont exactement compensés.
4. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le Crédit Mutuel, par plainte contre x déposée le 29 octobre 2012, a porté à la connaissance du Procureur de la République un certain nombre d'agissements susceptibles de recevoir une qualification pénale d'escroquerie, d'abus de confiance, de faux en écriture et usage de faux et d'abus de bien social. L'organisme bancaire a en effet relevé qu'un de ses employés avait accordé à certains clients des prêts sans respecter les formalités légales, par prélèvement d'argent sur d'autres comptes, ces prélèvements étant à leur tour ultérieurement comblés par d'autres prélèvements. Faisant usage de son droit de communication auprès des autorités judiciaires en application des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, l'administration a constaté que M. A... avait perçu sur son compte personnel des virements du Crédit Mutuel intitulés " déblocage de prêt ", " prêt professionnel " pour un montant de 95 000 euros en 2011 et 206 000 euros en 2012. L'administration fait valoir que ces sommes ne correspondaient à aucun acte de prêt régulièrement consenti et que ces sommes pouvaient dès lors être regardées comme constituant des sources de profits de nature à justifier leur imposition sur le fondement des dispositions de l'article 92 du code général des impôts. Cependant, l'administration a également pris en compte des opérations bancaires intitulés " remboursements anticipés de crédits ", " commissions et frais d'assurance " pour un montant total de 61 231,28 euros en 2011 et de 144 736,90 euros en 2012. Dès lors, l'administration a considéré que seuls les crédits non compensés par des débits constituaient des profits entrant dans la catégorie des bénéfices non commerciaux pour un montant de 33 769 euros (95 000-61 231,28) en 2011 et 61 263 euros (206 000- 144 736,90) en 2012, à défaut pour M. A... d'avoir établi l'existence de prêts par la production notamment de contrats de prêts signés avec le Crédit Mutuel.
5. Pour contester cette imposition mise à sa charge, M. A... fait tout d'abord valoir que si par jugement du 10 décembre 2015, le Tribunal correctionnel de La Rochelle a condamné l'employé du Crédit Mutuel pour des faits d'escroquerie et d'abus de confiance, il n'a personnellement fait l'objet d'aucune poursuite pour complicité. Toutefois, si cette décision permet de regarder pour établi le fait que l'intéressé ignorait que les crédits dont il avait bénéficié avaient pour origine des faits délictueux commis par l'un des employés de l'agence bancaire dont il relevait, cette décision ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si le requérant a, en ce qui concerne les sommes résultant des manoeuvres frauduleuses ainsi commises, perçu des revenus ; dès lors contrairement à ce qu'il soutient la solution du litige sur le plan fiscal n'est pas déterminée par une constatation faite par le juge pénal à laquelle s'attacherait l'autorité de la chose jugée.
6. Enfin, la circonstance que M A... aurait été susceptible de rembourser intégralement les sommes mises à sa disposition en l'absence de clôture de ses comptes et de la déchéance du terme à l'initiative de la banque, est, en tout état de cause, sans incidence dès lors qu'au titre de la période litigieuse, il n'est pas contesté qu'une partie des crédits n'avait pas été compensée, le requérant faisant au contraire valoir que les comptes ont été clôturés par la banque et ne justifiant pas avoir procédé depuis au paiement des soldes des sommes dues réclamées par la banque.
7. Dans ces conditions, alors que le tribunal n'a pas renversé la charge de la preuve, l'administration doit être regardée comme établissant que les sommes de 33 769 euros et 61 263 euros restant en litige entrent dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en tant que profit imposable au sens des dispositions du 1 de l'article 92 du code général des impôts.
En ce qui concerne les rectifications relatives aux BIC de l'année 2011 :
8. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Il appartient au contribuable, pour l'application de ces dispositions, de justifier l'inscription d'une dette au passif du bilan de son entreprise.
9. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'au cours de la vérification de la comptabilité de l'EURL LTCM, dont M. A... est associé unique et gérant, l'administration a constaté l'existence au bilan de clôture de l'exercice 2011 au compte n°164520, intitulé " prêt 150 000 euros ", un solde créditeur de 139 506 euros. Cependant, en l'absence d'élément permettant d'établir la réalité du prêt accordé à l'EURL LTCM, l'administration a considéré que la somme de 139 506 euros constituait un passif injustifié et l'a imposée au nom de M. A... à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
10. M. A... soutient que c'est à tort que l'administration a réintégré la somme de 139 506 euros dans la base d'imposition de ses bénéfices industriels et commerciaux au titre de l'année 2011 dans la mesure où cette somme représenterait la différence entre le montant d'un prêt accordé par la banque Crédit Mutuel à l'EURL et les sommes remboursées de cet emprunt et qu'ainsi la somme de 139 506 euros ne constituerait pas un passif injustifié. A cet égard, M. A... se prévaut d'un tableau d'amortissement émanant du conseiller bancaire prévoyant les échéances de remboursements. Il fait en outre valoir que 1' entreprise ne pouvait présenter un contrat de prêt dès lors que la somme en litige proviendrait d'opérations de cavalerie bancaire.
11. Cependant, il est constant qu'aucun contrat de prêt n'a été produit au nom de l'EURL LTCM, qu'il s'agit de sommes qui lui ont été virées, et qui correspondent à un prêt émis au nom d'une autre personne, en provenance d'un autre compte du Crédit Mutuel. Par ailleurs, si M. A... produit un tableau d'amortissement, il résulte de l'instruction que ce document non daté et dont le nom de l'EURL est rajouté à la main ne saurait revêtir une valeur probante, d'autant qu'il existe une incohérence entre les montants de remboursement effectués (2 102,82 euros par mois, de juillet à décembre 2011, selon les relevés bancaires) et les montants mentionnés sur le tableau d'amortissement. Enfin, il résulte également de l'instruction que le compte 164520 a été soldé par une écriture de transfert sur le compte courant d'associé au 31 décembre 2012. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que le solde créditeur de 139 506 euros constituait un passif injustifié, en l'absence d'élément justificatif du prêt accordé, et procédé en conséquence à un rehaussement en matière de bénéfices industriels et commerciaux au titre de l'année 2011.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande de décharge des impositions en litige.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. F... C..., président-assesseur,
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.
La présidente,
Evelyne Balzamo
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02088