Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 octobre 2021, Mme B..., représentée par Me Hervouet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 septembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 16 mars 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêté à venir, et à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour.
Elle soutient que :
- l'arrêté est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-11 11° et L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle ne pourra pas bénéficier du traitement dont elle a besoin dans son pays d'origine du fait qu'elle n'a aucun moyen de financer ses traitements qui ne sont pas remboursés dans son pays d'origine, que l'Albanie souffre d'un retard considérable en matière de prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques, que son traitement par infiltration sous scanner n'est pas disponible en Albanie et que la chirurgie pour sa hanche gauche nécessite une prise en charge spécialisée en France ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison de ce qu'elle ne pourrait vivre une vie privée et familiale normale en Albanie, où elle a été victime de violences conjugales répétées et alors que sa belle-famille l'appelle de façon répétée ; ses deux enfants sont en France et l'un d'eux a la nationalité française ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2021, la préfète de la Gironde s'en remet à son mémoire de première instance et conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme B... n'est fondé.
Par ordonnance du 16 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 5 janvier 2022 à 12h00.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Evelyne Balzamo a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante albanaise, déclare être entrée pour la dernière fois en France le 25 août 2018. Le 16 octobre 2018, elle a déposé une demande d'asile, définitivement rejetée par une décision du 17 juillet 2019 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le 14 octobre 2020, elle a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 mars 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 14 septembre 2021, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. (...) " Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires et, en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Pour refuser à Mme B... le titre de séjour sollicité, le collège de médecins de l'OFII a estimé dans son avis du 10 janvier 2021, que l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'au regard de l'offre de soin et aux caractéristiques du système de santé de son pays d'origine, elle pouvait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
5. Il ressort des pièces médicales versées à l'instance, que Mme B... souffre de plusieurs pathologies, notamment d'un stress post-traumatique compliqué d'un état dépressif dus aux violences conjugales subies en Albanie. Elle bénéficie pour ces pathologies d'un suivi psychiatrique et psychomoteur, et d'un traitement comprenant des antidépresseurs et des anxiolytiques. Mme B... présente également une coxarthrose bilatérale, pour laquelle une prothèse totale de la hanche droite a été pratiquée le 17 décembre 2019. Pour remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'OFII, la requérante produit notamment une attestation du ministère de la santé albanais du 18 juin 2021, indiquant que les médicaments que prend Mme B... pour ses troubles psychiques, ne pourront lui être remboursés. Toutefois, il ressort de ce document que cette réponse résulte d'un manque d'information nécessaire à l'instruction de sa demande. Par ailleurs, les certificats médicaux de son psychiatre, indiquant seulement qu'un suivi serait difficile à mettre en place en Albanie où elle se sent en danger permanent, et la référence générale au retard dans la prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques de ce pays, relevée par l'association Forum réfugiés Cosi, n'établissent pas que Mme B... ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié en Albanie. Mme B... se prévaut également d'un certificat médical de son médecin chirurgien orthopédiste du 8 octobre 2021, postérieur à la décision contestée, indiquant qu'elle est en attente d'une chirurgie de la hanche gauche, chirurgie non préconisée antérieurement, et qu'elle présente des lésions sévères du rachis lombaire, ce qui constitue des aggravations de son état de santé, dont il revient toutefois à l'intéressée de se prévaloir dans le cadre d'une nouvelle demande de titre de séjour. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Gironde a commis une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... déclare être entrée en France le 25 août 2018, soit depuis moins de trois ans au jour de l'arrêté contesté. Mme B... allègue la présence en France de ses deux enfants majeurs, arrivés sur le territoire en 2014, alors qu'ils étaient âgés de 14 et 15 ans et dont l'un a été confié à l'aide sociale à l'enfance et a la nationalité française. Toutefois, Mme B... ne rapporte aucune pièce, tant en première instance qu'en appel, relative à la réalité de ses liens avec ses enfants, ni au demeurant, à leur présence sur le territoire français. Elle ne produit pas non plus de pièce de nature à établir une insertion sociale particulièrement forte sur le territoire, tandis qu'elle n'établit pas être dépourvue de toute attache dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 47 ans. Enfin, Mme B... n'établit pas, par les productions d'une attestation médico-légale concernant son admission aux urgences le 27 mars 2018 à l'hôpital de Peqin, de photographies et d'une ordonnance de protection du tribunal de première instance d'Elbasan du 8 avril 2018, antérieurs au rejet définitif de sa demande d'asile par la CNDA, et par l'affirmation isolée qu'elle recevrait encore des appels de sa belle-famille, qu'elle serait exposée en cas de retour en Albanie, à des risques l'empêchant d'y mener une vie privée et familiale normale, alors qu'elle a pu obtenir de la part des autorités de ce pays une ordonnance de protection par le passé et qu'elle n'établit pas être dans l'impossibilité de s'installer dans une autre région que celle où résident son mari et sa belle-famille. Dans ces conditions, la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquels elle a été prise.
8. En troisième et dernier lieu, il résulte de ce qui a été précédemment exposé aux points 5 et 7, que le moyen tiré de ce que l'arrêté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme B... doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 mars 2021 de la préfète de la Gironde. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme B....
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Nicolas Normand premier conseiller,
M. Michael Kauffmann, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition le 15 février 2022.
L'assesseur le plus ancien,
Nicolas NormandLa présidente,
Evelyne Balzamo Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 21BX03939