Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 juillet 2020, M. E..., représenté par la SCP Breillat-Dieumegard-Masson, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Vienne du 24 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne, à titre principal, de lui délivrer, un titre de séjour d'une durée d'un an dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, dans cette attente, de lui remettre dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble :
- il a été signé par une autorité incompétente ;
En ce qui concerne la décision portant refus d'un titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- le préfet a méconnu l'étendue de sa propre compétence et a commis une erreur de droit
- elle a méconnu l'article L 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est également contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de délivrer un titre de séjour ;
- elle est également contraire aux dispositions 2, 3, 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2020, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 9 novembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 24 novembre 2020 à 12h00.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. F... D..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant guinéen né le 1er décembre 1991, est entré en France, selon ses déclarations, le 29 décembre 2016. Après le rejet définitif de sa demande d'admission au bénéfice de l'asile par la Cour nationale du droit d'asile, le 11 mars 2019, il a sollicité le 13 septembre 2018 son admission au séjour en qualité d'étranger malade. Par arrêté du 24 janvier 2020, le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination. M. E... relève appel du jugement n° 2000537 du 2 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
2. M. E... soutient en appel que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'autorité signataire de l'arrêté contesté était bien compétente pour le faire, dès lors que la délégation de signature produite au dossier est extrêmement large et ne permet pas de déterminer quelles attributions ont été accordées au secrétaire général de la préfecture, notamment pour signer de tels arrêtés. Toutefois il ressort des dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 6 septembre 2019 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Vienne, que M. Emile Soumbo, secrétaire général de la préfecture de la Vienne, disposait d'une délégation de signature à l'effet de signer l'ensemble des décisions et actes relevant des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Contrairement à ce que soutient M. E..., une telle délégation n'est ni trop générale, ni trop imprécise. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
En ce qui concerne les conclusions d'annulation dirigées contre le refus de délivrance d'un titre de séjour :
3. En premier lieu, l'arrêté vise les textes applicables à la situation de M. E..., et notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 313 11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application. Il mentionne aussi les principaux éléments relatifs à la situation de M. E... depuis son entrée en France en 2016, ses diverses demandes de titre séjour, la teneur de l'avis rendu le 13 décembre 2019 par le collège des médecins de l'Office Français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et la circonstance que la décision portant obligation de quitter le territoire français ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé dans la mesure où il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 25 ans. Enfin, il ne ressort pas de l'arrêté contesté que le préfet se serait estimé en situation de compétence liée au regard de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à M. E... ni qu'il se serait encore estimé en situation de compétence liée par son refus de séjour pour édicter la mesure d'éloignement. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision attaquée, de l'incompétence négative et du défaut d'examen particulier doivent être écartés.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
5. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
6. M. E... fait valoir qu'il souffre d'importants kystes maxillaires, qui ont nécessité une intervention chirurgicale le 15 juin 2018 et pour lesquels il fait toujours l'objet d'un suivi, ainsi que de lombalgies chroniques et de difficultés psychologiques et a produit à cet égard un certificat médical d'un médecin généraliste, daté du 14 mars 2019. Cependant, M. E... n'ayant apporté aucun élément supplémentaire en appel, ce certificat, peu circonstancié, n'est pas de nature à lui seul à remettre en cause l'avis rendu postérieurement par le collège de médecins de l'OFII qui a estimé que si son état de santé nécessitait une prise en charge, le défaut de celle-ci ne devrait pas entrainer de conséquences d'un exceptionnelle gravité. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant au requérant un titre de séjour.
7. En dernier lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ". Aux termes de l'article 3 de la même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 8 de cette convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 14 de ladite convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
8. M. E..., fait valoir qu'il a une relation avec un ressortissant français depuis l'été 2018. Toutefois, compte tenu du caractère récent de cette relation et de l'absence de vie commune, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le préfet, qui a estimé qu'il n'avait pas tissé en France des liens personnels ou familiaux d'une intensité telle que la décision prise porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa privée et familiale, et ce d'autant que plusieurs membres de sa famille sont présents en Guinée où le requérant a vécu jusqu'à l'âge de 25 ans. En outre, comme cela vient d'être dit, en estimant que l'état de santé de M. E... n'était pas incompatible avec son retour dans son pays d'origine, le préfet n'a pas commis d'illégalité. Dans ces conditions, c'est donc sans méconnaissance des articles 2, 3, 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme sur le droit au respect de la vie privée et à la santé que le préfet a pu décider de ne pas accorder à M. E... le titre de séjour qu'il sollicitait.
En ce qui concerne les conclusions d'annulation dirigées contre l'obligation de quitter le territoire :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de la mesure d'éloignement, en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour doit être écarté.
10. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés au point 8 concernant la décision portant refus de titre de séjour, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 2, 3, 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dirigé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français doit également être écarté.
11. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6 du présent arrêt, le moyen tiré de la méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
En ce qui concerne les conclusions d'annulation dirigées contre la décision fixant le pays de destination :
12. M. E... reprend en appel, sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance et sans critiquer utilement la réponse qui lui a été apportée par les premiers juges, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination ne serait pas motivée et celui tiré de ce que cette décision méconnaitrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
13. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet de la Vienne du 24 janvier 2020. Par voie de conséquence, ses conclusions, aux fins d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme C... Balzamo, président,
M. F... D..., président-assesseur,
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.
Le président,
Evelyne Balzamo
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02148