Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 juin 2020, le préfet des Deux-Sèvres demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 29 mai 2020 et de rejeter la requête en annulation présentée par M. E... contre l'arrêté préfectoral du 29 janvier 2020.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'erreur matérielle en ce qu'il mentionne " l'arrêté du 16 janvier 2020 du préfet de la Charente Maritime " alors que la date est erronée et que l'autorité administrative compétente ayant édicté l'arrêté en date du 29 janvier 2020 est le préfet des Deux-Sèvres ;
- le signataire de l'acte bénéficiait d'une délégation de signature ;
- l'arrêté préfectoral est suffisamment motivé ;
- M. E... étant débouté du droit d'asile, c'est à bon droit qu'il a pris à son encontre un arrêté lui portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire ;
- il n'est pas établi de difficultés particulières d'accès effectif au traitement approprié de la maladie de M. E... dans son pays d'origine ;
- M. E... n'établit pas l'existence de liens personnels et familiaux anciens, intenses et stables en France.
Par mémoire enregistré le 5 octobre 2020, M. E..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête du préfet et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 220-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... A..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., de nationalité géorgienne, né le 24 janvier 1979, est entré en France, selon ses dires, le 2 avril 2018 et a sollicité le 12 juin 2018 le bénéfice de l'asile. Sa demande a été rejetée par une décision du 21 décembre 2018 de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 22 juillet 2019. Il a sollicité, le 28 mai 2019, son admission au séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 29 janvier 2020, le préfet des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer un titre de séjour à quelque titre que ce soit, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 29 mai 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision et a enjoint au préfet des Deux-Sèvres de délivrer à M. E... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du jugement. Par la présente requête, le préfet des Deux-Sèvres relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. La circonstance que le point 4 du jugement attaqué comporte une erreur de date et une erreur sur la désignation de l'autorité préfectorale compétente, pour regrettable qu'elles soient, constituent de simples erreurs de plume sans incidence sur la régularité du jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. E... est entré en France, selon ses dires, le 2 avril 2018. Il a sollicité, le 28 mai 2019, son admission au séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, demande rejetée par le préfet qui a considéré qu'il ne pouvait pas davantage bénéficier d'un titre de séjour au titre du 7° de l'article L. 313-11. Il ressort des pièces du dossier que M. E... est atteint d'une pathologie qui a nécessité une intervention chirurgicale en France consistant en une arthrodèse lombaire et de troubles psychologiques nécessitant une prise en charge médicale. Il ressort également des pièces du dossier que M. E... vit en concubinage avec Mme D..., ressortissante géorgienne qu'il a rencontrée en Géorgie en 2011 relation qui s'est poursuivie dans ce pays jusqu'en 2014, puis en 2015 en Israël où ils se sont expatriés, jusqu'à leur départ pour la France fin 2017 et début 2018 en vue de solliciter l'asile. Mme D... bénéficie de la protection subsidiaire en France qui lui a été accordée en 2019 en raison de son récit de vie dans lequel M. E... est d'ailleurs mentionné. Ainsi que l'a estimé le juge de première instance, le couple est également reconnu comme étant en situation de concubinage auprès des services de la CAF, de l'OFII et des centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Si le préfet fait valoir que l'intéressé n'établit pas l'existence de liens personnels et familiaux en France, M. E... établit par les pièces produites, ainsi que l'a estimé le juge de première instance, l'ancienneté et la stabilité de sa relation avec sa compagne appelée à demeurer sur le territoire français avec ses enfants. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'arrêté du 29 janvier 2020 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a refusé de délivrer à M. E... un titre de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, ainsi que l'a estimé le premier juge, cette décision méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Deux-Sèvres n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à M. E.... Par suite, la requête du préfet des Deux-Sèvres doit être rejetée.
6. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet des Deux-Sèvres est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F... E....
Copie en sera adressée pour information au préfet des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme C... A..., présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. Stéphane Gueguein, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2020.
La présidente,
Evelyne A... La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02030