Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. D....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu que sa décision était entachée d'erreur de fait ;
- par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, aucun des autres moyens invoqués par M. D... en première instance ne sont fondés ;
- il y a lieu de substituer au motif figurant dans la décision contestée celui tiré de ce que M. D... a été condamné à 22 reprises entre 1986 et 2016.
Par une ordonnance du 14 février 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 mars 2020 à midi. En application du II de l'article 16 de l'ordonnance no 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, ce terme a été reporté de plein droit au 23 juin 2020.
Le mémoire produit le 30 octobre 2020 par M. D..., postérieurement à la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Mme C..., représentant le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., ressortissant de la République du Congo né le 20 janvier 1960, a sollicité l'acquisition de la nationalité française par voie de naturalisation. Par décision du 9 septembre 2016, le ministre de l'intérieur a déclaré sa demande irrecevable sur le fondement des articles 21-23 et 21-27 du code civil. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes, à la demande de M. D..., a annulé sa décision du 9 septembre 2016.
2. Aux termes de l'article 21-23 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'est pas de bonnes vie et moeurs ou s'il a fait l'objet de l'une des condamnations visées à l'article 21-27 du présent code. " Aux termes de l'article 21-27 du même code : " Nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s'il a été l'objet soit d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l'infraction considérée, s'il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis. / (...) / Les dispositions du présent article ne sont pas applicables (...) au condamné ayant bénéficié d'une réhabilitation de plein droit ou d'une réhabilitation judiciaire conformément aux dispositions de l'article 133-12 du code pénal, ou dont la mention de la condamnation a été exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire, conformément aux dispositions des articles 775-1 et 775-2 du code de procédure pénale. "
3. Pour déclarer irrecevable la demande de naturalisation de M. D..., sur le fondement des dispositions précitées, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur ce que l'intéressé a été l'auteur, d'une part, de faits d'exhibition sexuelle, violence avec usage ou menace d'une arme et soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière le 9 juillet 1996, faits pour lesquels il a été condamné à une peine de 9 mois d'emprisonnement par un arrêt de la chambre des appels correctionnels de Paris du 5 novembre 1996, et, d'autre part, de faits de vol en réunion et de soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière le 23 mars 2005, faits pour lesquels il a été condamné à une peine de 6 mois d'emprisonnement par un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 24 mars 2005.
4. Afin de justifier la matérialité des faits sur lesquels repose la décision du ministre de l'intérieur, que M. D... conteste fermement en faisant valoir qu'il aurait été victime d'une usurpation d'identité, le ministre de l'intérieur produit le bulletin no 2 du casier judiciaire de l'intéressé, délivré le 30 juin 2016, ainsi que le même bulletin no 2 délivré le 30 octobre 2018. Ces bulletins font apparaître non seulement les condamnations qu'il lui ont été opposées dans la décision contestée, mais également une vingtaine d'autres condamnations, prononcées par des juridictions franciliennes entre 1986 et 2014, à des peines d'emprisonnement ferme, assorties d'un mandat de dépôt ou d'un maintien en détention, pour des délits de soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière, entrée et séjour irrégulier, pénétration non autorisée sur le territoire, vol - parfois aggravé, avec destruction ou dégradation, ou en réunion -, acquisition, détention, transport et offre non autorisées de stupéfiants, et enfin prise du nom d'un tiers pouvant déterminer des poursuites pénales contre lui.
5. Cependant, d'une part, si l'autorité de chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives, qui s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif, s'impose en principe aux juridictions administratives, la seule mention d'une condamnation au bulletin no 2 du casier judiciaire d'une personne, qui ne constitue pas elle-même une décision du juge pénal, n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée.
6. D'autre part, il résulte des mentions figurant sur ces bulletins no 2 du casier judiciaire qu'à l'exception des condamnations prononcées par l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de Paris du 5 novembre 1996 et par le jugement du tribunal correctionnel de Paris le 24 mars 2005, les autres condamnations qui y figurent se rapportent uniquement à des " identité(s) différente(s) paraissant concerner la même personne ", c'est-à-dire à six autres identités comportant des noms et dates de naissance différents de ceux de M. D.... Ces bulletins no 2 indiquent par ailleurs que la " fiche 6 ", relative à la condamnation prononcée par la chambre des appels correctionnels de Paris le 5 novembre 1996, concerne soit " Bisanga Samuel né le 20 janvier 1960 à Brazzaville (Congo) ", soit " Mafouta Guy né le 29 juin 1968 à Brazzaville (Congo) ", tandis que la " fiche 17 ", relative à la condamnation prononcée par le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 24 mars 2005, concerne soit " Bisanga Samuel né le 20 janvier 1960 à Brazzaville (Congo) ", soit " Mafouta Guy né le 29 juin 1968 à Brazzaville (Congo) ", soit " Boutindi Gilbert né le 13 novembre1964 à Madzia (Congo) ", soit " Kyonzo Jean né le 18 mars 1958 à Brazzaville (Congo) ". La " fiche 6 " mentionne aussi que la personne condamnée par la chambre des appels correctionnels de Paris le 5 novembre 1996 l'a été, notamment, pour " prise du nom d'un tiers pouvant déterminer des poursuites pénales contre lui ".
7. Ensuite, M. D... établit, par les nombreuses pièces versées au dossier de première instance, qu'il a séjourné régulièrement en France sous couvert d'une carte de résident dont la validité a couru du 31 octobre 1995 au 30 octobre 2005, et qu'il a régulièrement quitté la France par la voie aérienne pour effectuer des séjours à l'étranger entre 1993 et 2009, ainsi qu'en attestent les nombreux visas apposés sur ses passeports, alors que les mentions figurant dans les bulletins n° 2 de son casier judiciaire font état de ce qu'il aurait été condamné, notamment le 28 août 1992 et le 19 juillet 1993, à une interdiction du territoire français pendant 5 ans, puis, à de multiples reprises entre 1996 et le 3 septembre 2005, pour des faits d'entrée ou de séjour irrégulier en France et de soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière, ces condamnations étant généralement assorties de nouvelles interdictions du territoire français. M. D... justifie en outre, notamment par des certificats de travail et son relevé de cotisation retraite, qu'il a régulièrement travaillé en France depuis 1982 et cotisé quatre trimestre par an jusqu'au moins 2009, ce qui est incompatible avec les nombreuses peines de prison qui ont été exécutées entre 1991 et 2009 selon les mentions qui figurent dans les bulletins no 2 du casier judiciaire produits par le ministre de l'intérieur.
8. Enfin, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, il ressort des pièces du dossier de première instance que M. D... a adressé au procureur de la République de Nanterre, le 25 janvier 2019, une plainte pour usurpation d'identité et une demande de rectification de son casier judiciaire.
9. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, compte tenu des incertitudes sur l'identité de l'auteur des infractions relatées dans les bulletins no 2 du casier judiciaire versés au dossier, ainsi que des éléments objectifs de preuve apportés par M. D... et de leur incompatibilité tant avec la nature des délits qu'avec les peines mentionnées sur ces bulletins no 2, la matérialité des faits tenant aux condamnations dont M. D... aurait été l'objet le 5 novembre 1996 et le 24 mars 2005 ne peut être tenue pour établie.
10. Pour les mêmes raisons, le motif tiré de ce que M. D... aurait été condamné à vingt-deux reprises entre 1986 et 2016, invoqué par le ministre de l'intérieur afin qu'il soit substitué au motif initial figurant dans la décision contestée, ne permet pas davantage de justifier légalement cette décision.
11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 9 septembre 2016.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....
Copie en sera adressée, pour information, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nanterre.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2020.
Le rapporteur,
F.-X. B...Le président,
T. Célérier
Le greffier,
C. Popsé
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 19NT02850