Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 août 2020, Mme F..., épouse E..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 19 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 février 2020 par lequel le préfet de la Corrèze l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Corrèze de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est entachée d'erreur de droit et de fait ; son époux a fait l'objet d'enlèvements, séquestrations et maltraitances par un groupe criminel en raison de dettes contractées par son père ; la CNDA a accordé à son époux le bénéfice de la protection subsidiaire ; elle est également sujette à subir les mêmes traitements ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision du 16 juin 2020 de la CNDA accordant la protection subsidiaire à son époux, les principes généraux du droit applicables aux réfugiés et personnes bénéficiaires de protection subsidiaire, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, imposent, en vue d'assurer pleinement à ces derniers la protection prévue par ladite convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut de réfugié ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille ;
- le regroupement familial, le regroupement familial, l'unité familiale est un droit, garanti par la Constitution ; les réfugiés statutaires et les protégés subsidiaires échappe à l'ensemble des restrictions du droit commun ; le droit au séjour de plein droit des membres de famille des réfugiés est prévu par l'article L. 314-11 8° du CESEDA, et par l'article L. 313-13 2° pour les protégés subsidiaires ;
- la décision méconnait son droit à mener une vie privée et familiale normale tel que protégé par le préambule de la Constitution de 1946, que par l'article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants ;
- les décisions fixant le pays de renvoi et l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi et l'interdiction de retour sur le territoire français :
- elles sont dépourvues de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- elles méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision du 16 juin 2020 de la CNDA accordant la protection subsidiaire à son époux, les principes généraux du droit applicables aux réfugiés et personnes bénéficiaires de protection subsidiaire, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, imposent, en vue d'assurer pleinement à ces derniers la protection prévue par ladite convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut de réfugié ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille ;
- le regroupement familial, le regroupement familial, l'unité familiale est un droit, garanti par la Constitution ; les réfugiés statutaires et les protégés subsidiaires échappe à l'ensemble des restrictions du droit commun ; le droit au séjour de plein droit des membres de famille des réfugiés est prévu par l'article L. 314-11 8° du CESEDA, et par l'article L. 313-13 2° pour les protégés subsidiaires ;
- elles méconnaissent son droit à mener une vie privée et familiale normale tel que protégé par le préambule de la Constitution de 1946, que par l'article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles portent atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2021, la préfète de la Corrèze conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 août 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international sur les droits civils et politiques du 19 décembre 1966 ;
- la convention sur les droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... B..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., ressortissante arménienne née le 17 janvier 1988 à Hrazdan, est entrée en France le 13 août 2019 avec son époux et ses deux enfants. Elle a déposé une demande d'asile le 17 septembre 2019 qui a été rejetée par une décision du 31 décembre 2019 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), décision confirmée par la décision de la Cour nationale du droit d'asile du 16 juin 2020. Suite à la décision du 31 décembre, par un arrêté du 5 février 2020, le préfet de la Corrèze a pris à son encontre une décision portant obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme F... relève appel du jugement du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
2. D'une part, aux termes du I de l'article L. 511-1 du même code : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-5 du même code : " En cas de reconnaissance de la qualité de réfugié ou d'octroi de la protection subsidiaire, l'autorité administrative abroge l'obligation de quitter le territoire français qui, le cas échéant, a été prise. Elle délivre sans délai au réfugié la carte de résident prévue au 8° de l'article L. 314-11 et au bénéficiaire de la protection subsidiaire la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 313-13. Une mesure d'éloignement ne peut être prise à l'encontre de l'étranger bénéficiant d'un droit au séjour. ". Il résulte de ces dispositions que l'octroi de la protection subsidiaire fait en tout état de cause obstacle à l'éloignement d'un étranger.
3. D'autre part, selon les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".
4. Par une décision n° 20008022, 20008023 du 16 juin 2020, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté le recours de Mme F... contre la décision du 31 décembre 2019 par laquelle le directeur de l'office français de protection des réfugiés et apatrides rejetait sa demande d'asile mais a annulé la décision du 31 décembre 2019 par laquelle le directeur de l'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté la demande d'admission à l'asile de M. E..., son époux, et a accordé à ce dernier le bénéfice de la protection subsidiaire. La décision d'accorder le bénéfice de la protection subsidiaire revêtant un caractère recognitif, elle a eu pour effet de rétroagir à la date de la décision litigieuse. Ainsi, Mme F... est fondée à s'en prévaloir pour contester la légalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français prise antérieurement à son intervention.
5. Dès lors qu'il n'est pas contesté que Mme F... et M. E... sont mariés depuis plusieurs années et que les deux époux et leurs trois enfants, nés respectivement le 19 avril 2015, le 28 août 2016 et le 27 octobre 2019, sont liés par des liens familiaux intenses et stables, Mme F... est fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire qui conduirait nécessairement à séparer la cellule familiale, porte à son droit de mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée par rapport aux objectifs qu'elle poursuit et porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants.
6. Par suite, Mme F... est fondée à soutenir que les décisions fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an sont illégales.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Sur les mesures d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 313-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour pluriannuelle d'une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour : 1° A l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 712-1 ; 2° A son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s'il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l'article L. 752-1 (...) ".
9. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Corrèze, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, de délivrer une carte de séjour " vie privée et familiale " à Mme F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que le conseil de Mme F... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, le versement d'une somme de 800 euros à Me D... au titre des frais exposés devant la cour et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 5 février 2020 du préfet de la Corrèze est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Corrèze de délivrer une carte de séjour à Mme F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Il est mis à la charge de l'Etat le versement à Me D... de la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... épouse E..., à Me G... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. C... B..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.
La présidente,
Evelyne Balzamo
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02565