Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, présentés le 27 novembre 2017, le 4 décembre 2017, le 30 avril 2019 et le 20 mai 2019, M. et Mme G..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter la demande de première instance de la SCI La Motte ;
3°) de mettre à la charge de la SCI La Motte la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :
- cette demande était irrecevable en application des articles L. 214-10, L. 514-6 et R. 514-3-1 du code de l'environnement dès lors que la SCI La Motte n'a aucunement fait état, dans ses écritures devant le tribunal administratif, d'une atteinte portée par l'ouvrage aux intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement ;
- la propriété de la SCI La Motte ne longe pas la portion du lit située dans l'entrée du canal, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ; il n'est donc pas établi que la remise en eau de l'ouvrage aurait des incidences sur la parcelle de la requérante de première instance.
Ils soutiennent, au fond, que :
- les ouvrages du Moulin Neuf de Chalandray bénéficient d'un droit fondé en titre pour l'usage des eaux de la Vendologne, ce qui vaut dispense de l'obligation de solliciter une autorisation au titre de la police de l'eau et au titre du code de l'énergie ;
- ce droit fondé en titre résulte de la preuve matérielle de ce que cet ouvrage existait avant la Révolution française de 1789 ; cette preuve a été apportée dans l'étude historique réalisée par Mme H... qui a analysé les actes de vente successivement intervenus ;
- ainsi un contrat d'arrentement du 22 avril 1803 décrit le moulin comme étant à l'état de " masure " tandis que le canal de dérivation et le barrage étaient alors loués, ce qui démontre l'existence à cette date des ouvrages ; un brouillard du plan du fief daté de 1707 permet aussi de visualiser un moulin désigné comme " la masure du vieux moulin de Chalandray " ; un bail authentique du 22 octobre 1738 vise également le moulin ; enfin, un aveu de fief datant du début du XVIIème siècle atteste aussi l'existence du moulin ;
- la circonstance que l'exploitation des ouvrages n'aurait pas été établie antérieurement à la Révolution française ne pouvait être retenue par le tribunal comme une condition du maintien du droit fondé en titre ; la condition de ce maintien réside dans l'existence matérielle des ouvrages essentiels du moulin avant cette date ;
- il n'y a pas eu d'extinction du droit fondé en titre du fait du délabrement des ouvrages du moulin ; cette extinction ne pourrait résulter que de la ruine des ouvrages essentiels du moulin interdisant tout usage de la force motrice des eaux ; les documents datant du XVIIIème siècle, s'ils décrivent un délabrement du moulin, ne permettent pas de faire regarder celui-ci comme en état de ruine.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 décembre 2018 et le 21 mai 2019, la société civile immobilière (SCI) La Motte, représentée par la SCP F.../Kolenc, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des époux G... la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de sa demande de première instance, que :
- sont recevables à agir à l'encontre d'une décision prise en application de l'article L. 214-10 du code de l'environnement comme tiers justifiant d'un intérêt en lien avec la défense des intérêts protégés par l'article L. 211-1 du même code ;
- l'ouverture du bief desservant le moulin a pour effet de modifier le débit et le niveau de la rivière dans sa partie bordant la propriété de la SCI ;
Elle soutient, au fond, que :
- les éléments apportés par les époux G... n'établissent pas l'existence d'une prise d'eau antérieurement à la Révolution française ; d'ailleurs ces éléments avaient été examinés, dans une précédente affaire, par la cour d'administrative d'appel de Bordeaux qui a jugé que le " Moulin Neuf " ne bénéficiait pas d'un droit fondé en titre ;
- en tout état de cause, la prise d'eau avait matériellement disparu car dans le brouillard de 1707, le moulin est décrit comme étant une ruine ; ce même document ne fait pas apparaître la prise d'eau à partir du cours d'eau.
Par ordonnance du 21 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 11 juin 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... C...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. et Mme G..., et de Me F..., représentant la SCI La Motte.
Une note en délibéré présentée pour M. G... a été enregistrée le 22 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme G... sont propriétaires d'un moulin hydraulique, dénommé " Le Moulin Neuf ", situé le long de la rivière " La Vendelogne " sur la parcelle cadastrée section D n° 208 sur le territoire de la commune de Chalandray. Par un arrêté du 26 novembre 2014, faisant suite à une demande de M. et de Mme G..., le préfet de la Vienne a reconnu comme fondé en titre le " Moulin Neuf ". A la demande de la société civile immobilière (SCI) La Motte, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté préfectoral du 26 novembre 2014 par un jugement rendu le 27 septembre 2017 dont M. et Mme G... relèvent appel.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article L. 214-6 du code de l'environnement : " (...) II. - Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre (...) ". Aux termes de l'article L. 214-10 du même code : " Les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 peuvent être déférées à la juridiction administrative dans les conditions prévues à l'article L. 514-6. ". Aux termes de l'article L. 514-6 dudit code : " I. - Les décisions (...) sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. (...) ". Aux termes de l'article R. 514-3-1 de ce code : " les décisions mentionnées au I de l'article L. 514-6 et aux articles L. 211-6, L. 214-10 (...) peuvent être déférées à la juridiction administrative : -par les tiers, personnes physiques ou morales (...) en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 dans un délai d'un an à compter de la publication ou de l'affichage de ces décisions. (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : 1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides (...) 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ; 4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ; 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; 6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ; 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. (...) 1°. II. - La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; 3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées. ". Enfin, l'article L. 215-2 du code de l'environnement dispose que : " Le lit des cours d'eau non domaniaux appartient aux propriétaires des deux rives. (...) ".
4. La société La Motte est propriétaire de plusieurs parcelles de terrain sur le territoire de la commune de Chalandray dont celles cadastrées section D n° 357 et 358 limitrophes de la rivière non domaniale " La Vendelogne ", laquelle alimente en amont de ces parcelles le bief du moulin de M. et Mme G.... En sa qualité de riveraine du cours d'eau, la société de la Motte est, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 215-2 du code de l'environnement, propriétaire de la moitié du lit de ce cours d'eau dans sa partie jouxtant leurs parcelles. Par ailleurs, sur la parcelle n° 356, appartenant à la société La Motte, se trouve le " château de la Motte ", classé monument historique, ainsi qu'un jardin également situé sur la parcelle n° 357 ayant obtenu le label " jardins remarquables " de la part du ministère de la culture. Il résulte de l'instruction que la réduction du niveau du cours d'eau provoquée par l'ouverture du bief desservant le moulin est susceptible de porter atteinte à la propriété de la société La Motte, notamment en diminuant l'attrait de ses jardins aménagés. Dans ces conditions, et au regard des intérêts protégés par l'article L. 211-1 précité du code de l'environnement, la société de La Motte justifiait d'un intérêt à agir suffisant à l'encontre de l'arrêté en litige du 26 novembre 2014 lequel, en reconnaissant comme fondé en titre le " Moulin Neuf " appartenant aux époux G..., a pour effet de dispenser ces derniers de solliciter une autorisation administrative pour la mise en service de cet ouvrage.
Sur la légalité de l'arrêté du 26 novembre 2014 :
5. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux. Une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date.
6. La force motrice produite par l'écoulement d'eaux courantes ne peut faire l'objet que d'un droit d'usage et en aucun cas d'un droit de propriété. Il en résulte qu'un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau. En revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit.
7. Pour établir que la prise d'eau du " Moulin-Neuf " est fondée en titre, les requérants se prévalent tout d'abord d'un aveu de fief datant du début du XVIIème siècle attestant l'existence d'un moulin dépendant de la seigneurie du château de Chalandray et d'un simple brouillard de plan établi vers 1707, lequel mentionne également la présence du moulin. Toutefois, le brouillard de plan ne mentionne que l'existence d'un moulin en ruine désigné comme étant " la masure du vieux moulin de Chalandray " alors que le bail à ferme de 1738 portant sur la maison, terre et seigneurie de Chalandray se borne à faire état de la présence d'un moulin sans localiser ce dernier. De plus, l'acte d'achat de la seigneurie du 19 août 1779, s'il mentionne le château, les prés et divers moulins, ne fait pas mention du " vieux moulin de Chalandray " tandis que l'extrait de la carte de Cassini versé au dossier ne permet pas non plus d'identifier un moulin à l'emplacement actuel du " Moulin Neuf ". Ainsi, les documents historiques produits ne permettent pas d'établir avec certitude que le moulin construit en 1803, soit postérieurement à l'abolition des droits féodaux, et dénommé depuis " Moulin Neuf ", dont les requérants sont propriétaires, a été édifié sur la base des droits de prise d'eau, à supposer qu'ils n'étaient pas alors éteints, attachés à celui que visent les documents antérieurs à 1789.
8. Par suite, l'existence matérielle de la prise d'eau du " Moulin-Neuf " n'étant pas établie avant l'abolition des droits féodaux, celle-ci ne peut être regardée comme fondée en titre. Dès lors, M. et Mme G... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 26 novembre 2014 par lequel le préfet de la Vienne a reconnu fondée en titre la prise d'eau du " Moulin-Neuf " située sur la rivière " La Vendelogne " dans la commune de Chalandray.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de M. et Mme G... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société La Motte et non compris dans les dépens. En revanche, les conclusions présentées sur ce même fondement par M. et Mme G... doivent être rejetées dès lors qu'ils ne sont pas la partie gagnante à l'instance d'appel.
DECIDE :
Article 1er : La requête n° 17BX03689 présentée par M. et Mme G... est rejetée.
Article 2 : M. et Mme G... verseront à la société civile immobilière La Motte la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... G..., à la SCI La Motte et au ministre de la transition écologique et solidaire. Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. E... C..., président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2019.
Le rapporteur,
Frédéric C...Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX03689