Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 mars 2020, Mme F..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 novembre 2019 ;
2) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, assortie d'une astreinte de 150 euros par jour de retard, à défaut, de réexaminer sa situation sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal n'a pas tenu compte du classement sans suite de l'enquête ouverte consécutive au signalement des services de la préfecture ;
- c'est à tort que le tribunal s'est basé uniquement sur le rapport du référent " lutte contre la fraude " de la préfecture dont il a interprété les termes de manière inexacte ;
- le tribunal n'a pas tenu compte des documents qu'elle a produits qui sont de nature à renverser et contredire le rapport effectué par la préfecture de la Gironde ;
En ce qui concerne la décision d'obligation de quitter le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale dès lors que la décision de refus de titre de séjour est elle-même illégale ;
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans :
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué.
Il indique qu'il s'en rapporte à son mémoire de première instance.
Par une décision n° 2020/002841 du 26 mars 2020, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé à Mme F... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... G...,
- et les observations de Me C..., représentant Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... née le 20 juin 1992, de nationalité comorienne, serait entrée en France le 22 juillet 2015, en provenance d'Italie. A la suite de la naissance de son fils A... le 9 novembre 2016 à Bordeaux, issu de sa relation avec un ressortissant français, elle a sollicité le 30 mai 2017 un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Elle relève appel du jugement du 20 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 29 janvier 2019 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...).
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... a donné naissance à Bordeaux le 9 novembre 2016 à un fils nommé A..., qui a été reconnu de manière anticipée dès le 31 mai 2016 par M. D... B..., de nationalité française. Pour refuser à Mme F... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Gironde a estimé que cette reconnaissance de paternité avait pour but exclusif de permettre à Mme F... d'obtenir de manière frauduleuse un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Toutefois si Mme F... est demeurée floue dans ses déclarations sur les circonstances de sa rencontre avec M. B... en 2016 et sur l'intensité de leur relation et qu'elle n'a pas été en mesure de fournir tous les éléments relatifs à l'état civil de M. B... lors de son audition par les services de police qui a eu lieu le 30 octobre 2018, il n'en demeure pas moins que les déclarations qu'elle a faites et celles de M. B... ne permettent pas d'établir une impossibilité matérielle quant à la conception de l'enfant, quand bien même il n'y a jamais eu de communauté de vie. Ainsi si des contradictions ont pu apparaitre dans le récit de leur rencontre et concernant leur relation, il ressort notamment de deux attestations émanant d'une assistante sociale des services du département de la Gironde en date du 29 mai 2019 et d'un éducateur spécialisé en date du 21 juin 2019 que M. B... participe financièrement à l'entretien de l'appelante et de son enfant et qu'il rencontre régulièrement Mme F... depuis juin 2016 ainsi que son fils A... depuis sa naissance. Dans ces conditions, il ne saurait être déduit de ces seules divergences ou incertitudes dans les déclarations de Mme F... et de M. B... que la reconnaissance serait frauduleuse, alors d'ailleurs que le parquet a classé sans suite l'enquête diligentée au titre de l'infraction de reconnaissance de paternité en vue d'obtenir un titre de séjour, au motif que l'infraction étant insuffisamment caractérisée. Par suite, il n'est pas établi que la reconnaissance de paternité effectuée par M. B... serait frauduleuse. Dès lors la décision de refus de titre de séjour attaquée doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 janvier 2019.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Par ailleurs, l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à Mme F... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à Me C..., avocat de Mme F..., en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce versement emportant renonciation de Me C... à percevoir la part contributive de l'État.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903078 du 20 novembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du 29 janvier 2019 du préfet de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Le préfet de la Gironde délivrera à Mme F... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, et lui délivrera dans cette attente une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'État versera à Me C..., avocat de Mme F..., une somme de 1 200 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... F..., à Me C..., au ministre de l'intérieur et à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
Mme E... G..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
Le rapporteur,
Caroline G...
Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01202